Surprenant : les maisons en « men zao »
C’est dans le Finistère sud, tout près de Pont-Aven, que l’on peut observer les maisons en « men zao », au détour d’un chemin ou au cœur d’un hameau. Impossible de faire plus solide que ces habitations-là : dans 3 000 ans leur bâti sera toujours debout, à l’image des indestructibles menhirs qui symbolisent la Bretagne...
Chacun connaît Pont-Aven, au moins de nom ; cette charmante localité est en effet réputée dans le monde entier pour son école de peinture, et notamment par le souvenir qu’y a laissé son plus célèbre résident, Paul Gauguin. Nettement moins renommé, le village voisin de Nizon tente, depuis 1992, d’exister grâce au Hang’ Art, sorte de Pop’ Art rural caractérisé par d’étonnantes peintures à la Andy Warhol, réalisées par les habitants du bourg et exposées dans les lieux publics et les commerces.
Ce n’est toutefois pas vers ces deux communes qu’il convient de se tourner pour découvrir les fameuses maisons en men zao, autrement dit en « pierre debout », mais vers leurs voisines côtières de Trégunc* et Névez*. Certes, ce sont avant tout les côtes sauvages et les superbes sentiers de douanier du GR 34 qui attirent les visiteurs dans ces deux paisibles localités. Mais l’habitat local a désormais pris une grande importance aux yeux des touristes, tombés sous le charme des hameaux traditionnels faits de maisons basses en granit coiffées de toits de chaume, à l’image de Kerascöet (16e siècle) et Kercanic.
S’il n’y a pas de maisons en men zao dans ces deux hameaux – tout juste un appentis à Kercanic –, on peut en revanche en observer en divers lieux, au gré des balades dans la campagne de Trégunc et Névez. Et c’est avec un réel plaisir que l’on découvre ces modestes habitations ou ces hangars faits d’impressionnants blocs de pierres dressés dont on retrouve l’origine lointaine dans les orthostates de l’architecture romaine. En l’occurrence des monolithes de granit juxtaposés et joints par un simple mortier. D’une hauteur de 2,70 m à 2,80 m, ces blocs présentent une largeur de 40 à 50 cm pour une profondeur de 20 à 25 cm.
Difficile de faire plus résistant ! Ce n’est toutefois pas pour construire des maisons millénaires que les habitants des deux communes ont préféré l’usage des orthostates à celui du tout-venant de pierres complété, comme il était d’usage dans l’habitat traditionnel, par des moellons d’angle et des linteaux de porte ou de fenêtre en granit. Ce qui les a motivés vers la fin du 18e siècle et dans les décennies suivantes à faire ce choix, c’est avant tout l’accroissement de la population qui les a contraints à rechercher de nouvelles terres agricoles. Un véritable défi dans un pays où de nombreuses parcelles étaient inexploitées du fait de la présence de chaos granitique !
Qu’à cela ne tienne : la technique de taille était pratiquée depuis des générations et servait d’ores et déjà à édifier des clôtures en men zao. En l’occurrence avec des blocs de taille plus réduite. Les portails des pâturages et des parcelles cultivées étaient eux-mêmes faits de poteaux de granit percés (post-klouedou) dans lesquels étaient glissées des barres de bois. Dès lors, les tailleurs ont été mis à contribution pour débarrasser les parcelles et permettre, avec des blocs de granit de plus grande taille, de construire des habitations et des bâtiments agricoles tels des étables, des granges et des pressoirs.
Aujourd’hui les maisons en men zao, petites et étroites, ne sont plus habitées par des paysans**, et la majorité d’entre elles, rachetées par des citadins, ont bénéficié d’apports techniques pour en améliorer les fonctionnalités et le confort, auparavant inexistant. C’est d’autant plus compréhensible qu’à l’origine les constructions d’orthostates qui servaient à l’habitat étaient non seulement de taille réduite, mais des plus spartiates : parfois, une cheminée sur un pignon appareillé de moellons ; quant au sol, il était fait de terre battue. Autre caractéristique : pas de linteaux pour couronner les ouvertures, mais de simples sablières directement posées sur les blocs de granite afin de supporter la charpente de bois et la couverture ; là encore, nulle ardoise ou tuile, mais – pauvreté oblige – un chaume de paille de seigle complété sur le faîtage par des mottes de terre pour assurer l’étanchéité.
Nul ne sait combien de bâtiments en men zao ont été édifiés au cours des 18e et 19e siècles sur les communes de Trégunc et Névez. Un certain nombre d’entre eux, qu’il s’agisse d’habitations ou de hangars agricoles, ont malheureusement été démantelés pour récupérer le granit. D’autres disparaissent sous le lierre et les ajoncs. Par chance, l’intérêt porté de nos jours à ces maisons hors du commun a permis de remettre la majorité d’entre elles en valeur, et ce n’est pas un hasard si la découverte de ce patrimoine singulier suscite désormais une curiosité croissante de la part des visiteurs.
Un petit conseil si vous envisagez de vous rendre dans cette région : entre les galeries d’art de Pont-Aven et les murailles de la ville close de Concarneau, ne manquez ni les hameaux de Kerascoët et Kernanic, ni les maisons en men zao qui s’égrènent ici et là dans la campagne finistérienne.
* prononcer Trégun et Névé.
** certaines maisons en men zao ont également été habitées par des marins à proximité de la côte.
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