Exclusif : les confidences de Solal Sarkozy
Nous étions deux dans la pouponnière : une fille et moi. Deux bébés. Elle avait un bracelet rose. Je portais un bracelet bleu. Vu l’odeur qui régnait dans la pièce, nous devions avoir chié tous les deux dans nos couches. Il y avait aussi deux adultes : un type d’une trentaine d’années, d’allure plutôt sportive, et une femme un peu plus jeune, assez jolie. Ils étaient venus rendre visite à Nathalie, l’espèce de chose rouge et fripée qui braillait dans l’autre berceau. Ce qui m’a plu chez eux, c’est qu’ils se sont adressés à la chose avec gentillesse et intelligence, sans se croire obligés de lui parler comme à un débile.
─ Dites, ça vous ennuierait de m’emmener avec vous ?
L’homme et la femme ont jeté sans comprendre un regard circulaire autour d’eux. D’où venait cette voix ? Il n’y avait qu’eux dans la pièce. Sur un ton plus insistant, j’ai réitéré ma demande, en précisant :
─ C’est moi qui vous parle, là, dans le berceau.
Le couple m’a regardé d’un air éberlué.
─ Ça alors, un bébé qui parle ! s’est exclamé l’homme.
─ C’est… c’est fou ! a ajouté sa compagne.
Forcément, j’ai dû leur donner des explications :
─ Je me nomme Solal. Vous avez dû voir ma mère, elle se repose dans la chambre voisine, avec la mère de Nathalie. Moi, je suis sur le départ. Dès que mon père arrive, je sors de la maternité, et c’est parti pour une vingtaine d’année de vie commune avec mes vieux. Et là, je dis non, pas question ! Je revendique le droit de divorcer de mes parents dès aujourd’hui…
Le couple me regardait avec des yeux stupéfaits. Pire que si j’avais débarqué d’une lointaine galaxie avec des oreilles en pointe et des tentacules visqueux. Je sentais bien qu’il y aurait des difficultés. De nos jours, les gens écoutent sans broncher les discours d’un vulgaire perroquet et ils tombent des nues dès qu’un bébé les interpelle. On nage en plein paradoxe !
La situation s’est pourtant débloquée assez vite. Après s’être secoué la tête pour chasser une éventuelle hallucination, l’homme s’est repris.
─ OK, a-t-il dit, on se calme (ce qui valait pour sa femme et lui, vu que j’étais pour ma part doté d’un sang-froid tout à fait remarquable pour un nouveau-né)… Donc, vous êtes un bébé qui parle. Soit. J’en déduis que vous me comprenez. Pouvez-vous dans ce cas m’expliquer : 1° Pourquoi vous parlez, parce que sans vouloir vous vexer, à votre âge les bébés normaux en sont encore au stade des vagissements ; 2° Pourquoi vous voulez divorcer de vos parents, alors que vous ne les connaissez pas encore, ou du moins ne les connaissez-vous que de manière très superficielle. Je suis persuadé qu’après vous avoir attendu pendant des mois, ils sont probablement débordants d’amour pour vous et très fiers d’avoir un fils aussi mignon.
─ Ecoutez, ai-je répondu, inutile de me jouer cette partition, vous ne m’aurez ni au sentiment ni à la flatterie. Maintenant, pour répondre à vos questions, sachez que tout est lié. Je parle parce que je tiens à exprimer dès maintenant mon hostilité à toute forme de vie commune avec mes parents. Quant à savoir pourquoi je ne veux pas vivre avec eux, c’est tout simple : ce sont des beaufs de la pire espèce : les beaufs bourges. De plus ils ont des fréquentations épouvantables, et notamment des repris de justice notoires comme Pasqua et les Balkany. Sans compter le grand-père bling-bling, l’un des plus grands menteurs que la terre ait portés. Vous êtes marrants, vous croyez qu’il n’y a que vous qui puissiez percevoir les choses. Sachez que les fœtus, immergés bien au chaud dans l’utérus de leur mère, ont accès eux aussi à des millions d’informations, du moins ceux qui veulent s’en donner la peine…
À cet instant, la femme s’est penchée vers son mari pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. L’homme a haussé les épaules et levé les yeux au ciel, comme pour le prendre à témoin d’une telle énormité.
─ Mais non, Hélène, ce n’est pas le Christ. Tu vois le Christ demander à divorcer de ses parents au motif qu’ils fréquentent les Balkany ?… Euh, excusez-nous de cette interruption, mon cher Solal, vous permettez que je vous appelle Solal ?
─ J’allais vous en prier.
─ Merci…Euh…Où en étions-nous ?
─ Je vous parlais des capacités de perception du fœtus.
─ Très juste ! Vous affirmiez avoir accès, in utero, à de multiples informations. OK, je l’admets. Mais cela n’explique pas votre capacité à parler, surtout que votre niveau d’expression est tout à fait remarquable.
─ Tout cela est élémentaire, cher monsieur… ?
─ Portefoin, Olivier Portefoin. Et voici ma compagne Hélène Bordenave.
─ Tout cela, disais-je, est élémentaire, cher monsieur Portefoin. Dès que j’ai commencé à entrevoir l’avenir qui m’était destiné, en fait dès le cinquième mois de gestation, j’ai mis les bouchées doubles pour structurer mon cerveau le plus rapidement possible. Et quand je dis doubles, je suis largement en dessous de la vérité. En réalité, j’ai fabriqué mes neurones à une cadence exponentielle. Naturellement j’ai développé au même rythme toutes les connexions nécessaires au fonctionnement de mon intelligence.
─ Hum, je vois. Mais, dites-moi, quelque chose me chiffonne : comment se fait-il que vous soyez unique dans votre genre ? À ma connaissance, et en ma qualité de journaliste scientifique, je suis bien placé pour l’affirmer, il n’existe nulle part au monde un autre bébé comparable à vous. N’est-ce pas, chérie ?
─ Absolument, je n’ai jamais entendu parler d’un tel cas, a confirmé Hélène. Tous les bébés sont comme la petite Nathalie : ils pleurent, ils braillent, ils gazouillent, ils vagissent, mais il leur faudra des années pour parler… Vous êtes bel et bien unique, mon petit Solal !
─ Comme c’est curieux ! Moi qui pensais avoir agi comme des milliers d’autres fœtus. Vraiment vous me surprenez. Je serais donc une anomalie ?
─ Anomalie est connoté négativement. Disons plutôt une exception, a corrigé Hélène.
Olivier s’est empressé d’approuver de la tête avant de reprendre la parole :
─ Cela vient probablement de l’acuité de vos observations intra-utérines. Contrairement à la plupart des fœtus qui se contentent d’un développement passif, vous avez très tôt appris à reconnaître vos sensations et à les analyser. À l’évidence, c’est ce phénomène qui a engendré la construction accélérée de votre cerveau. Votre capacité d’expression et la richesse de votre vocabulaire n’en sont pas moins stupéfiantes.
─ Je dirais même tout à fait extraordinaires ! a surenchéri Hélène. À peine né, vous surpassez déjà un grand nombre d’adultes. Prenez votre grand-père par exemple, il vient à peine de délaisser Les pieds nickelés pour lire Camus.
Pour être franc, j’avais effectivement conscience d’être un nourrisson hors normes, une sorte de surdoué talqué du derrière et fleurant bon la crème Poupina, du moins lorsque je n’avais pas chié dans mes couches. Ces compliments n’en comblaient pas moins d’aise mon ego de bébé précoce et, je l’avoue, un tantinet cabotin, la faute sans doute à mon patrimoine génétique. Désireux de faire bonne impression au couple, j’ai pourtant gardé une attitude modeste :
─ Je n’ai guère de mérite à m’exprimer ainsi, cela tient sans aucun doute à la profession de ma mère. Elle est l’héritière des magasins Darty et, à ce titre, se croit obligée de tester tous les produits en vente dans le rayon audiovisuel. Plongé dans mon bain amniotique, je n’entendais au début qu’une sorte de bouillie incompréhensible. C’était très agaçant. J’ai donc développé mes capacités auditives pour obtenir un niveau de réception correct. C’est comme cela que j’ai pris conscience du monde extérieur, notamment par l’écoute assidue des programmes radio et télévision. J’ai naturellement tâtonné durant de nombreuses semaines avant d’avoir une idée quelque peu structurée de mon futur environnement. Très vite pourtant, j’ai eu une prédilection marquée pour les volets sociopolitiques de l’actualité. L’économie et l’écologie m’ont également beaucoup intéressé. La pauvreté de la programmation musicale n’a en revanche pas réussi à accrocher ma sensibilité sur cette forme d’expression artistique… C’est bien évidemment cette acuité acoustique qui m’a ouvert les yeux, si je puis dire, sur la médiocrité intellectuelle de mes géniteurs, grands amateurs de pince-fesses. J’ai éprouvé de grandes difficultés à l’admettre, mais il m’a bien fallu me rendre à l’évidence : mes parents sont des beaufs, des vrais de vrai, des archétypes de la beauferie la plus repoussante, la beauferie bourgeoise, obnubilés par les cours de la bourse et, ascendance oblige, la carrière politique accélérée par les trahisons. Côté distraction, ils en sont encore à la danse des canards et hurlent de rire aux saillies les plus affligeantes de Brice Hortefeux ou Nadine Morano. Des beaufs et des obsédés sexuels : malgré la grossesse de ma mère, mes parents ont continué leurs galipettes presque jusqu’au bout. Forcément, j’étais aux premières loges pour recevoir les coups de boutoir, et je vous jure qu’il n’y a rien de plus inconfortable pour un fœtus que d’être agité comme je l’ai été. Sans compter que mes chers parents se croyaient obligés d’accompagner leurs coïts des commentaires les plus vulgaires. Décidément, je trouve cette animalité proprement écœurante.
─ Bah, vous ne direz pas toujours ça à propos de sexe. Évidemment, pour le moment, vous êtes un peu jeune.
─ C’est sûr que ce n’est pas avec mon corps de bébé et mes deux centimètres de pénis que je peux conclure. L’ennui, c’est que mon intellect n’est pas en rapport avec mon physique. Résultat : je ne peux pas m’empêcher d’être sensible aux situations érotiques dont je suis le témoin.
Regard étonné du couple.
─ Mais vous ne totalisez que six jours d’existence, a observé Hélène. Ce n’est quand même pas à la maternité que…
─ Détrompez-vous, ma chère Hélène, cette maison n’est qu’un vaste lupanar. Tenez, pas plus tard que ce matin, l’un des médecins est venu copuler dans cette pouponnière avec une infirmière, la petite rousse aux yeux verts. Il l’a prise sur la table à langer. Ce spectacle a naturellement laissé Nathalie de marbre. Moi pas. Et croyez-moi, il est très frustrant de s’échauffer dans son berceau en sachant qu’il faudra attendre des années pour pratiquer sa première branlette… Mais revenons à nos moutons : Êtes-vous disposés à me prendre en charge si je divorce de mes parents ?
─ Croyez-bien, mon cher Solal, que ce serait avec plaisir, a répondu Olivier, mais je crains fort que cela ne soit impossible en l’absence d’une loi permettant ce divorce. Et c’est là que le bât blesse car l’homme qui fait les lois dans ce pays, c’est votre grand-père, et j’ai peur qu’il ne soit pas disposé à vous émanciper de la tutelle familiale biologique. De plus, l’écrasante majorité des textes qu’il fait voter à la hussarde par ses parlementaires godillots sont inopérants faute de loi organique ou de décret d’application.
─ Olivier a raison, surenchérit Hélène. Vous allez devoir attendre votre majorité. Cela dit, malgré tout le fric que nous pourrions obtenir de Gala ou Voici, soyez assuré de notre totale discrétion : nous serons muets comme des tombes sur vos capacités et vos intentions, foi de Bordenave !... Heu, vous ne dites rien ?
J’étais atterré, incapable d’émettre le moindre son.
─ Putain, 18 ans !!! me suis-je dit in petto…
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