Oui... il arrive souvent un moment de la vie où on croit à « l’enracinement »... c’est un besoin... bon... il y en a qui deviennent même « nationalistes » après avoir dilapidé leur jeunesse dans l’insignifiance... c’est un grand classique. Avec tout mon respect pour la démarche de Simone Weil, je pense qu’elle se trompe.
Deux-trois idées à méditer.
- jusqu’à preuve du contraire, l’homme appratient au règne animal, et non végétal. Sa condition-même est le déracinement. Puisqu’il a des jambes et non des racines. Oui... l’homme est « migrant » par nature biologique.
Je pense qu’il faut assumer cette condition réelle de l’homme. Et que la philosophie ne doit pas s’employer à nous entretenir d’histoires à dormir debout « d’hommes-enracinés ». ... mes mots choqueront peut-être certains qui me prendront pour un idiot qui ne sait pas de quoi il parle, mais je demande à ce qu’on réfléchisse à deux fois à ce que je dis.
- la société avant 1789 n’était pas un idéal d’harmonie et de réciprocité. C’est justement cela qui a précipité la révolution... quoi qu’on en pense et même si on regrette les rois absolus et les curés. Il ne sert à rien d’idéaliser un passé qui n’a jamais été idéal, et qui n’a jamais existé.
Je ne connais aucune société qui fait une révolution par caprice ou par plaisir. Et je ne connais aucun « énergumène de salon » apte à renverser un pouvoir absolu sans terminer en prison dare-dare... c’est donc que la société « ancienne » était bien vermoulue. N’en déplaise aux faiseurs de « belles-histoires ».
- la condition paysane n’a rien de plus « naturelle » à l’homme que celle d’ouvrier. L’agriculture est une « mutation technologique » apparue il y a seulement 8000 ans, et qui a poussé « l’homme viril et enraciné dans sa condition » de chasseur-cueilleur, vers la « condition rabaissée, cosmopolite et dégénérée » de paysan. Arc-bouté comme un vieillard sur sa terre, cultivant un domaine pour le bénéfice d’un marquis qui l’exploite...
Je ricane un peu... mais le bobo à smart-phone n’est pas moins « enraciné » que le paysan de l’âge de bronze au regard de l’archéologie. La condition de l’homme n’est-elle pas précisément d’être un « génie créatif », qui l’obnubile depuis les silex taillés, le feu et les peintures de la grotte Chavet, jusqu’aux enfers numériques d’aujourd’hui. Si j’ose. Le problème ne tient pas dans la technologie (qui progresse sans rien demander), mais dans le progrès moral qui doit l’accompagner. Et là est le travail urgent et utile des intellectuels de chaque génération. A mon sens.
- la figure « totalisante » du Général de Gaulle est une parfaite idiotie démontrée par l’histoire. Certes, Charles De Gaulle fut un homme politique éminent de son temps. Mais sa « papification » sans cesse renaissante me semble faire fi de tous les désastres dans lesquels il nous a englué. Son souvrainisme fut surtout de la propagande. Et il fut un conservateur en tout. En vérité, sous De Gaulle, la France s’est engagée résoluement dans le productivisme, le consumérisme, la pollution, la débilitisation des esprits, la déchristianisation, l’américanisation, la bruxellisation, la déculturation, la centralisation, l’étatisme de la culture, l’agriculture chimique et européiste, l’exode rural, la mort du petit-commerce, l’urbanisation bétoneuse, et quoi d’autre... faut pas pousser sur le Général Utopique. Sans parler de son cher Pompidou qui nous a mis à la botte des banques en 1973.
- pour ce qui est de la « détestation du patriotisme », Simone Weil morte en 1943 nous prouve qu’il n’a rien à voir avec « mai 68 » comme le clament certains conservateurs actuels. Effectivement, l’anti-militarisme est né du fond des tranchées de 14-18, et il concerne beaucoup plus les classes populaires que les salons parisiens. « L’ogre » Naopléon ayant laissé aussi une bonne mémoire dans la destruction de toute une génération de jeunes français. Sans parler des guerres de Louis XIV qui furent d’épovantables massacres.
Ce ne sont pas « les rouges » qui avaient le pouvoir de mettre fin au sentiment patriotique populaire (on l’a vu en 1914)... c’est la guerre elle-même qui a fait cette oeuvre (on l’a vu en 1918)... On peut regretter la « fleur au fusil » et les cartes postales, mais les faits sont les faits. Et il faut bien penser le réel.
- elle prend dans un même mouvement le « consentement à la mort » et le « consentement à la loi ». Elle-même place le consentement à la mort en premier. Et pour cause. La mort est un constant de la condition humaine. On n’y peut rien faire. La loi, au contraire, peut se discuter.
D’aucun faisait précisément la différence entre « la destinée qui est divine » et « la fatalité qui est sociale »... en d’autres termes, entre ce qui est implacable (la mortalité de l’homme) et ce qui est réformable (l’injustice sociale ou le crime). C’est précisément sur cette « faille » que nait la pensée progressiste dans son ensemble, il me semble.
Pour faire simple, ce n’est pas parce-que l’homme est une crétaure mortelle, que mon banquier peut me piller avec des agios prohibitifs.
- sur le « scientisme », je préfère parler simplement de science... la découverte de la condition de la Terre dans l’espace, ou encore de la condition de l’homme sur Terre (évolution), n’a rien enlevé à la poésie des choses... tout au contraire.
Méditer sur les anneaux de Neptune ou la consistance de Jupiter est un sujet vertigineux quand on y pense. Et cela interroge profondément la vie humaine sur cette petite Terre. De même pour ce qui est du mouvement « interne » qui jaillissant de la simple condition animale, a « créé » l’homme à force d’ambition, de pensée et d’évolution.
Le chrétien ne doit-il pas préférer la Création au Livre, l’Original à la Copie ? (au contraire du musulman par exemple, semble-t-il).
Voilà... je m’arrête là... je ne connais pas assez la pensée de Simone Weil. Et puis le but n’est pas de l’agonir.
Mais j’ai un sentiment de « sous-Chateaubriand » à lire ces quelques éléments. Et Virgile n’a-t-il pas écrit ses « buccoliques » pour renvoyer le romain déraciné « à la terre » ? C’est un peu du maoïsme salonard si j’ose, un camp de rééducation littéraire

Le sentiment du passé idéal est plus une manière de supporter le présent, que de parler du réel. A mon sens.