Les
premières familles
Après
un temps plus ou moins long, la maternité plusieurs fois reproduite constitue
des groupes, formés d’une Mère et de ses enfants. Ce fut la première ébauche
d’une famille, un lien unissant ces nouveaux êtres à leur Mère, un autre lien,
l’affection fraternelle, les unissant les uns aux autres. Ils eurent des intérêts
communs, un même nid, dans lequel ils avaient passé ensemble leurs premières
années, un petit coin de terre, qui avait été le théâtre de leurs ébats. La
Mère vivait au milieu de ses petits, dont elle était la source de vie et le
génie tutélaire, elle les couvait, les soignait, les allaitait, tant que cela
leur était nécessaire, et ne les délaissait que lorsqu’ils n’avaient plus
besoin d’elle.
Tous
les mammifères restés à l’état de nature nous donnent encore l’image de ce
groupement familial dans lequel le mâle n’a pas de rôle ; il a cherché la
femelle, dans un moment de besoin physiologique, mais, après le besoin
satisfait, il s’est éloigné sans se douter des conséquences de son acte.
Cette
première famille, dont la Mère est le centre, a gardé sa forme primitive
pendant de longs siècles.
La
période pendant laquelle la Mère, toute-puissante, a régné sans trouble, est
celle qui a été désignée par le mot matriarcat, mot qui est entré dans la
littérature historique pendant le 19ème siècle et qu’on doit à Bachofen.
Le
mot Patar, dans le sanscrit primitif, ne signifie pas celui qui
féconde, mais celui qui protège.
C’est
le frère de la Mère. C’est pour cela que longtemps c’est lui, l’oncle, qui
s’occupe surtout de l’enfant, et, quand les hommes de cette époque parlaient de
la descendance, ils ne disaient pas « nos fils », ils disaient « nos
neveux ».
M.
Leblois dit : « Le mot Père, qui dans notre langue a un sens précis, n’avait
pas ce caractère dans la langue aryenne. Patar était moins un nom, un
substantif qu’une expression descriptive dont le sens était « celui qui protège
».
« Matar
voulait dire celle qui enfante. Fratar, celui qui aide. Swasar, celle qui
réjouit. ».
Renan,
dans l’Histoire du peuple d’Israël, nous dit :
« Le
mot Patriarche ne se trouve pas avant le premier siècle de notre ère, mais il
est bien fait ; nous l’employons ».
Et
il l’applique aux primitives tribus matriarcales qu’il décrit en substituant le
rôle du Père à celui de la Mère. Singulière façon de faire connaître l’histoire
de l’humanité ! C’est, du reste, le système employé par la plupart des
historiens.
Cette
époque aujourd’hui retrouvée a été cachée pendant des siècles, et c’est la
condamnation des historiens. Toutes les Écritures primitives qui la
mentionnaient ont été altérées. C’est du 10ème siècle avant notre ère au 4ème
siècle que cette œuvre de falsification a été accomplie ; on effaça de l’histoire
le rôle de la Femme, son règne primitif, ses luttes, ses mérites, toutes ses
grandeurs. Et quand le Droit paternel fut introduit dans le monde, vers le
11ème siècle avant notre ère, on mit le mot Père dans les Écritures révisées,
partout où l’on trouvait le mot Mère.
La
réalité, comme tout ce qui est très loin de nous, se perd dans les brouillards
de l’histoire et semble invraisemblable, extravagante même à ceux dont la vue
superficielle ne juge le passé que d’après le présent. C’est ainsi que la
famille paternelle et le droit paternel de date récente sont nés d’un régime de
renversement que nous, verrons plus loin commencer. Ce Droit est devenu pour
les peuples dégénérés un fait si naturel qu’ils ont de la peine à concevoir et
à croire que la famille maternelle n’ait jamais existé. L’esprit s’est fait au
renversement, on l’a pris pour un état primitif, né de la Nature, alors que
c’est un état secondaire, né d’une altération des lois de la Nature.
Figurons-nous
un homme habitué à porter son habit à l’envers et que l’on n’aurait jamais vu
que recouvert de ce vêtement dont la surface est une doublure ; l’œil s’y
serait si bien fait que, si quelqu’un venait à dire que cet habit est retourné,
qu’il a une autre face que nous ne voyons pas, personne ne le croirait et c’est
la primitive surface qui semblerait la doublure.
Faitset temps oubliés