6 mai 2012 : les élections grecques ont eu lieu
Hier dimanche 6 mai 2012 ont eu lieu nombre de scrutins. Outre le second tour des élections présidentielles françaises, il y a eu également en Serbie des élections législatives conjointement au premier tour de l'élection présidentielle anticipée, ou encore une élection régionale en Allemagne faisant figure de "test" pour les prochaines élections générales de 2013.
Bien plus déterminantes que toutes ces élections, les élections législatives grecques ont à juste titre suscité un vif intérêt... notamment des milieux financiers. En effet, se joue là-bas rien moins qu'une bonne part de l'avenir de l'Europe : le pays emblématique de la crise de la monnaie unique depuis plus de deux ans révolutionnera-t-il suffisamment son système politique pour remettre en question l'austérité ?
Les résultats n'en sont pas encore connus avec certitude au moment où j'écris ces lignes, mais les données partielles à disposition permettent de dessiner le visage du futur parlement et donc d'analyser les scénarios envisageables.
Pour bien comprendre la situation, il est nécessaire de faire une revue préliminaire de la vie politique grecque, qui s'est considérablement diversifiée depuis la chute du gouvernement Papandreou.
Commençons par le plus évident. Depuis 1974 (fin de la dictature militaire) et surtout 1980, la vie politique est littéralement dominée par deux partis politiques : le PASOK (Mouvement Socialiste Panhélénique) et la ND (Nouvelle Démocratie). Ces deux partis réunissaient depuis le début des années 1980 entre 79% et 87% des suffrages à chaque élection législative. Une hégémonie qui s'est exercé sous forme d'une alternance "classique" opposant des clans et des familles héritières symboliques ou réelles des républicains et royalistes de la période pré-dictatoriale. Une hégémonie qui a été sérieusement battue en brèche à l'occasion de ce scrutin, mais je vais y revenir.
- Les résultats cumulés du PASOK et de la ND aux élections législatives depuis 1974
Vient ensuite le KKE (Parti Communiste de Grèce), historiquement depuis 1974 le troisième parti du pays, loin derrière le PASOK et la ND, même si à l'occasion de la courte législature de 1989 il a été associé au gouvernement, d'abord conjointement avec la ND, puis dans le cadre de "la politique oecuménique" avec les deux partis hégémoniques. A cette période, il avait approché brièvement les 15% des suffrages, avant de brutalement regresser à environ 5% pendant toute la décennie 1990. La décennie 2000 le voit revenir à son niveau des années 1970, approchant les 10%.
Dans cette mouvance politique de la gauche radicale, l'autre formation majeure est SYRIZA, une coalition électorale née au milieu des années 2000 d'une conjonction entre scissionnistes du KKE, mouvements d'extrême-gauche (notamment maoïstes) et la Synapsismos (elle-même coalition entre le KKE dit "intérieur" pro-européen et des mouvements d'extrême-gauche et écologistes). Malgré une période de crise interne, elle obtient des résultats honorables qui lui permettent d'être présente au parlement, mais demeure dominée électoralement par le KKE et en porte-à-faux avec les tentations de certains courants internes de se tourner vers le PASOK.
C'est précisément à l'occasion d'une crise interne de SYRIZA qu'est née en 2010 la troisième composante majeure de la gauche radicale, la DIMAR (Gauche Démocratique). Sur une ligne plus modérée que SYRIZA, et bien que n'ayant pas soutenu le gouvernement "d'unité nationale" PASOK-ND, la DIMAR entretient vis-à-vis des socio-démocrates des relations moins conflictuelles. Elle a connu de rares résultats aux élections régionales de 2010, étant généralement alliée avec des partis écologistes et/ou le PASOK ou SYRIZA lors de ces scrutins. Avec la chute électorale du PASOK, elle a bénéficié d'un moment d'engouement courant mars-avril. L'engouement populaire dont est l'objet la gauche radicale pouvait aussi permettre au KOISY (Accord Social), une scission anti-austérité du PASOK, de parvenir à obtenir une représentation parlementaire.
En revanche, l'extrême-gauche grecque demeure depuis 1974 au stade du foisonnement groupusculaire. Le nombre de petits partis marxistes-léninistes, maoïstes, trotskystes, écologistes radicaux, alternatifs, etc. est extrêmement impressionnant. Si certains d'entre eux s'allient fréquemment avec le KKE, le PASOK ou SYRIZA, la plupart essaient de présenter des listes soit de manière autonome soit en s'alliant entre eux. Du fait de sa division extrême, de son caractère très protéiforme, de sa faible implantation et de son rayonnement le plus souvent régional, l'extrême-gauche grecque, qui représente pourtant généralement près de 5% des voix, n'a jamais eu de représentation au parlement.
En 2009 s'opère une alliance entre différents partis d'extrême-gauche parmi ceux ayant rencontré le plus de succès électoraux : SEK, APAN, EKKE, NAP, OE, etc. se réunissent au sein de l'ANTARSYA (Front de la Gauche Anticapitaliste pour la Révolution), rassemblement qui fait assez rapidemment parler de lui. Bien qu'aucune enquête n'ai indiqué qu'il ai pu obtenir une représentation parlementaire, ce mouvement semble être à terme capable de fédérer une part significative de l'extrême-gauche grecque, qui souffre de la concurrence avec les succès relatifs du KKE et de SYRIZA.
De l'autre côté de l'échiquier politique, l'extrême-droite est présente de manière significative en grèce depuis 1974. D'abord de manière "dissimulée" au sein de la ND, elle acquiert un visage politique distinct autant que spectaculaire avec l'EP (Camp National) en 1977, un parti qui intègre la ND dès 1980. Jusqu'aux années 2000, l'extrême-droite se présente sous la forme de groupuscules politiques dépassant rarement 1% des voix, qui s'allient régulièrement à la ND, comme le DIANA (Renouveau Démocratique), le POLAN (Printemps Politique), l'EPEN (Union Politique Nationale), l'ELLMET (Front Grec) ou le KEG (Parti des Femmes Grecques). Mais en 2004, le LAOS (Alerte Populaire Orthodoxe) réussit à fédérer une partie de l'extrême-droite grecque et entre au parlement en 2007, avant de franchir la barre des 5% en 2009. Il semblait en passe d'être totalement hégémonique sur une extrême-droite réunissant entre 7% et 10% des suffrages mais sa brève participation au "gouvernement d'union nationale" avec le PASOK et la ND semble l'avoir considérablement démonétisé aux yeux de ses électeurs protestataires, qui auraient tendance à se tourner plutôt vers des partis ne s'étant pas commis avec la politique d'austérité, notamment la XA.
La XA (Aube Dorée) est un parti politique d'inspiration ouvertement néo-nazie qui a vivoté sous la forme de provocations violentes jusqu'au début des années 2010, où il a commencé à enregistrer des progrès électoraux marquants dans des scrutins locaux, notamment à Athènes, sur une orientation violemment anti-immigrés. D'abord considérée poliment par les observateurs, l'éventualité de son arrivée au parlement s'est sensiblement accrue au cours de la campagne, ce parti faisant manifestement usage de vote sanction pour une part croissante des électeurs. Il a fini par totalement éclipser le LAOS dans le dernier mois de la campagne, et par s'y substituer avec un résultat important lors des législatives, ce qui est étonnant dans un pays encore très marqué par l'occupation nazie. Néanmoins, de part sa nature même, il est très isolé, bien plus que ne l'aurait été par exemple le LAOS, qui eût pu à sa place se tourner vers une droite radicale avec le vent en poupe.
En effet, l'ANEL (Grecs Indépendants), une scission anti-austérité de la ND, connait depuis les dernières semaines de la campagne un engouement soudain. Fondé par des députés de la branche droite de la ND, ce mouvement politique assez atypique en Grèce (qualifié par nos commentateurs journalistiques de la tarte à la crème de "populiste"), qui se réclame "ni de droite, ni de gauche" et qui est d'ailleurs allié au PARMAP (Char Citoyen), une scission anti-austérité du PASOK, est, de tous les mouvements nés de la crise, celui qui enregistre le plus grand succès, loin devant le DX (Reconstruire la Grèce), le Pirate Party ou encore le DP (le mouvement "nous ne pouvons pas payer, nous ne paierons pas"). En mordant résolument sur l'électorat ND défavorable à l'austérité, il obtient un résultat subit autant qu'inattendu.
En revanche, au centre, le succès est plus que mitigé. Si l'OP (Verts Écologistes) avait réussi une performance historique en frôlant sans l'atteindre le seuil d'entrée au parlement, l'irruption de deux nouveaux partis parmi les traditionnels partis centristes (Parti Libéral, Union des Centristes, Renouveau Démocratique, etc.) rebat les cartes et surtout préempte une partie de l'électorat sur lequel l'OP pouvait espérer prospérer. En effet, DRASI ("Action"), un petit parti libéral né en 2009 qui a connu un regain d'audience lors de la campagne de 2012 en réunissant plusieurs collectifs politiques autour de lui, et surtout la DISY (Alliance Démocratique), une scission libérale-démocrate de la ND, entendent bien incarner chacun un centre libéral et européen.
Apparemment, la ND est bien première des législatives grecques quoiqu'avec un résultat historiquement bas de moins de 20% des suffrages. Avec les 50 députés "bonus" pour le parti arrivé en tête, cela lui ferait néanmoins plus d'une centaine de sièges. Le PASOK en aurait lui une quarantaine. Il manquerait ainsi une poignée de sièges à une coalition ND-PASOK pour former une (précaire) majorité.
Or il semblerait que les partis du centre (OP écologiste, DISY libérale, DRASI libéral-conservateur) ne sont pas parvenus à entrer au parlement. Du coup, on risque fort de se trouver dans l'impasse.
L'extrême-droite semble devoir se réduire à la représentation de la XA, le LAOS n'arrivant apparemment pas à 3%. La XA ne dépasserait cependant pas le record absolu d'un parti d'extrême-droite établi par l'Ethniki Parataxis en 1977 (7%) mais obtiendrait plus de 20 députés.
L'extrême-gauche, représentée par 6 des 32 listes, reste à des résultats très marginaux (moins de 5% pour les 6 listes), seule la liste de l'ANTARSYA enregistrant un progrès notable, dépassant 1% des voix, ce qui ne lui permet néanmoins pas d'entrer au parlement.
La gauche radicale en revanche enregistre une grande progression. Si le KKE ne dépasse finalement pas les 10% et reste dans les eaux électorales qu'il a réussit à atteindre depuis les années 2000 (8,5%), et si la DIMAR, après un succès éphémère dans l'opinion (certains sondages l'avaient placé en deuxième position à 18% il y a plus d'un mois) est parvenue à un résultat certes honorable mais loin des espérances (6%) et légèrement devancée par la XA, c'est SYRIZA qui, en obtenant plus de 16% des voix et la place de deuxième parti du pays, fait considérablement augmenter le total de la gauche radicale en plus que triplant son résultat de 2009. La gauche radicale rivalise ainsi avec la somme des deux partis de gouvernement qui structurent de manière hégémonique la vie politique depuis 1974. En revanche, le KOISY, une scission anti-austérité du PASOK que certains sondages avaient placé en position d'entrer au parlement, réalise une contre-performance avec moins de 1% des voix. La gauche radicale obtiendrait près d'une centaine de sièges.
La droite radicale a également connu un important succès, avec plus de 10% pour l'ANEL, scission anti-austérité de la ND, alliée au PARMAP, scission anti-austérité du PASOK. Elle obtient une trentaine de sièges.
- Ce à quoi devrait ressembler le prochain parlement grec.
Au final, s'il semble qu'un éventuel "bloc anti-austérité" est capable de concurrencer voire dépasser la probable coalition ND-PASOK, il n'y a pas de majorité gouvernementale évidente entre les trois groupes d'importances inégales. Deux situations sont possibles :
- un gouvernement "central-étendu" soutenu par la coalition PASOK-ND et une partie de l'ANEL et de la DIMAR
- un gouvernement minoritaire de gauche radicale soutenu sans participation par la droite radicale et l'extrême-droite afin d'éviter l'éventualité d'un gouvernement pro-austérité
Selon la constitution, le parti arrivé en tête a dix jours ouvrables pour former une majorité gouvernementale, puis c'est le deuxième parti qui en est chargé, et s'il échoue également, c'est le troisième parti qui en est chargé. Si cela échoue encore, le président organise une réunion avec les présidents de tous les groupes parlementaires pour trouver une solution.
Il est néanmoins possible (voire probable) que la procédure ordinaire ne soit pas suivie et qu'un échec de la ND à former une majorité entraînera dissolution.
Cet article est repris d'une note de mon blog.
PS (7 mai 2012, 6h30) :
Voici les résultats officiels des élections :
|
ND | 19,20% | 59+50 |
|
SYRIZA | 16,59% | 51 |
|
PASOK | 13,39% | 41 |
|
ANEL | 10,54% | 33 |
|
KKE | 8,41% | 26 |
|
XA | 6,92% | 21 |
|
DIMAR | 6,07% | 19 |
|
OP | 2,90% | |
|
LAOS | 2,87% | |
|
DISY | 2,60% | |
|
DX | 2,11% | |
|
DRASI | 1,76% | |
|
ANTARSYA | 1,19% | |
|
KOISY | 0,94% |
On a ainsi égalité parfaite entre partisans et opposants à l'austérité. Grâce à la prime majoritaire de la ND, l'éventuelle coalition PASOK-ND atteint tout de même les 150 députés. Il lui en manque un pour obtenir la majorité absolue.
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