Antisémitisme : une critique aujourd’hui galvaudée
POUR STEPHANE HESSEL, EDGAR MORIN, ALAIN BADIOU, MICHEL ONFRAY ET LES AUTRES
Stéphane Hessel, ambassadeur de France et auteur du célébrissime « Indignez-vous ! », pose très légitimement, dans une tribune publiée tout récemment sur « Le Plus - Nouvel Obs », une question aussi judicieuse, sur le plan philosophique, qu’essentielle au bon déroulement du débat démocratique : « Critiquer Israël est-ce de l’antisémitisme ? ».
En voici le lien électronique :
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/591191-occupation-nazie-inoffensive-critiquer-israel-est-ce-de-l-antisemitisme.html
Cet article, Stéphane Hessel l’a par ailleurs écrit en guise de réponse à une critique, aussi agressive dans la forme qu’infondée sur le fond, que venait de lui adresser Jonathan Hayoun, président de l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF), en réaction à une de ses interventions, il y a plus d’un an, dans le journal allemand « Frankfurter Allgemeine Zeitung ».
Certes ne reviendrai-je pas ici sur cette absurde polémique : Hessel, dont cette tribune du « Plus » est un exemple d’honnêteté intellectuelle tout autant que de nuance conceptuelle, a suffisamment bien remis les choses en place, à ce niveau, pour que l’on puisse encore y voir, hormis pour quelque esprit décidément bien malveillant, une quelconque ambiguïté dans son propos sur cette épineuse et douloureuse question.
Qu’il me soit toutefois permis de dire, à ce stade de la controverse, que cette interrogation que Stéphane Hessel fait à bon droit sienne, ici, est celle-là même que j’abordais aussi déjà, dans une de mes propres tribunes (parue le 12 avril dernier) d’ « Agoravox », concernant les très virulentes critiques dont Günter Grass fut également l’objet, et avec combien plus de violence verbale encore, lorsqu’il avança, lui aussi dans un journal allemand, « Die Süddeutsche Zeitung », que « la puissance nucléaire d’Israël menace la paix mondiale ».
De fait : « Peut-on encore critiquer Israël sans être taxé d’antisémitisme ? », y demandais-je très explicitement.
Je ne reviendrai cependant pas en détail, là non plus, sur le contenu de mon papier. Ceux qui voudront en savoir davantage pourront par ailleurs le lire, très aisément, à cette autre adresse électronique :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/gunter-grass-israel-et-les-juifs-114557
Ce que j’y soutenais, en substance, c’est que, tout en condamnant ces indignes et injustes propos de Günter Grass quant à cette hypothétique menace que l’armement atomique d’Israël ferait ainsi planer, via une possible agression de l’Iran, sur la paix du monde, je n’en inférais pas, pour autant, que ce même Grass, malgré son antisionisme avéré, fût nécessairement, tant s’en faut, un antisémite.
Nuances, donc !
Cette prise de position, pour circonstanciée et même dûment argumentée qu’elle fût, ne m’empêcha cependant pas d’avoir à alors subir, moi aussi, les foudres de quelques-uns de mes pairs juifs, lesquels me considérèrent ainsi comme un traître à ma propre cause.
D’autant que j’y osais, effectivement, la question, tabou à leurs yeux, qui fâche : est-il encore permis aujourd’hui de critiquer publiquement la politique menée par tel ou tel gouvernement israélien lorsque l’on considère, à tort ou à raison, qu’il outrepasse la légalité internationale ou qu’il ne respecte pas le droit humanitaire, comme le font, par exemple, un Stéphane Hessel, un Edgar Morin ou un Alain Badiou, sans se voir automatiquement, et de manière souvent abusive, traité d’antisémite ?
Cette interrogation vaut aussi, par ailleurs, pour Michel Onfray, lequel, lui aussi, s’est vu tout récemment accusé d’antisémitisme, pour avoir fait l’éloge du dernier essai de Jean Soler, « Qui est Dieu ? », en même temps qu’il s’en prenait ouvertement là, par-delà ses trop faciles amalgames, aux trois grands monothéismes, dont, précisément, le judaïsme.
Voici, du reste, le lien vers les deux défenses d’Onfray auxquelles, là encore, je m’adonnai successivement, nonobstant les importantes réserves philosophiques et théologiques que j’y émettais, sur le site d’ « Agoravox » :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pour-michel-onfray-119212
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/pour-michel-onfray-recidive-119745
Davantage : que des intellectuels eux-mêmes juifs, et non des moindres de surcroît (outre ma modeste personne), tels Stéphane Hessel ou Edgar Morin, rescapés des camps de concentration nazis, puissent être traités d’ « antisémites », voilà qui, certes, relève d’un paradoxe difficilement concevable pour les lumières de l’intelligence, sinon pour la vérité de l’Histoire en tant que telle !
Ainsi conseillerais-je donc à ces trop zélés adeptes du dogmatisme judaïque, et accessoirement de la politique israélienne, que sont un Elie Wiesel, un Bernard-Henri Lévy ou un Alain Finkielkraut (je laisse expressément de côté, ici, le sage Marek Halter, qui m’apparaît plus bienveillant et modéré, malgré ses propres griefs, en la matière), pour ne citer que quelques-uns de noms les plus emblématiques au sein de l’intelligentsia juive, de réserver dorénavant leurs ignobles épithètes à d’autres que nous.
Ils font en effet un usage si excessif et si généralisé, si répétitif et si hâtif, de l’outrageant qualificatif d’ « antisémite » qu’ils finissent, tant celui-ci s’avère ainsi galvaudé et néfaste, par le vider de tout sens et lui ôter toute pertinence. Pis, ils le rendent, par ce désastreux et très dommageable effet de boomerang, aussi inefficace qu’inopérant, voire contre-productif et même inespéré aux yeux mêmes de leurs séculaires ennemis : ce qui, en plus du caractère particulièrement aberrant de pareille insulte à l’encontre de notre mémoire la plus sacrée, équivaut, comble du paradoxe, à une deuxième, criminelle et infamante, mort de nos propres pères en cette abominable nuit de l’humanité que fut la Shoah.
Et cela, désormais, nous ne le permettrons plus : qu’on se le dise une bonne fois pour toutes !
D’autant que, s’il est vrai que nous sommes tous - juifs, chrétiens, musulmans - des fils d’Abraham, pour reprendre les termes mêmes du monothéisme biblique, vouloir faire alors du peuple juif le « peuple élu » de Dieu, au détriment des deux autres, revient forcément, en toute logique, à se rendre ainsi coupable, plus paradoxalement encore, d’une autre espèce, mais non moins condamnable sur le plan moral et humain, d’antisémitisme : un antisémitisme, celui-là, quasiment, à l’exception des Juifs, universel !
Dieu serait-il donc, en favorisant de manière aussi inéquitable et flagrante l’un de ses propres groupes d’enfants, un mauvais père ?
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
*Philosophe, écrivain, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (PUF) et « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (François Bourin Editeur), signataire du « JCall » (« European Jewish Call For Reason » - « Appel des Juifs Européens à la Raison »).
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