C’est l’Etat qui paye
On peut tout à fait comprendre que les « gilets jaunes » n’aient pas accepté entre autres les hausses des taxes sur le diesel, présentées sous le prétexte fallacieux d’une protection de l’environnement alors qu’il s’agissait avant tout de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Un peu de réalisme dans leurs demandes actuelles ne serait toutefois pas un luxe.
Si l’on regarde les réclamations plus récentes des gilets jaunes, on voit à la fois des patrons de petites entreprises qui réclament un abaissement des charges, des chômeurs, des smicards qui demandent une revalorisation des minima sociaux et des retraités qui demandent une amélioration des retraites. En d’autres termes, on demande à l’Etat d’effectuer la quadrature du cercle, de dépenser plus et taxer moins ce qui revient au final à simplement augmenter la dette de la France avec au bout du compte une hausse des taux d’intérêts sur cette dette à l’image de ce qui s’est passé récemment en Italie ou auparavant dans la Grèce d’Alexis Tsipras avec au final un revirement honteux de politique.
Comme disait Jacques Delors amorçant en 1982 avec sa « politique d’austérité » un virage à 180° par rapport aux promesses électorales du président Mitterrand, « on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre ». Un changement des mentalités et une amélioration de la culture économique des Français sont nécessaire si l’on veut éviter les pièges de la démagogie.
Le journal de 13h de tf1 est une émission très populaire, pleine de bonnes intentions, qui se veut à l’écoute de la population. Mais si l’on écoute les nouvelles présentées par Jean-Pierre Pernaut, l’on a souvent droit à une litanie de plaintes dans le même journal télévisé venant d’agriculteurs, d’infirmières, de parents d’élèves réclamant une classe supplémentaire ou autres catégories « en colère » à cause du manque de soutien de l’Etat, suivi de petits patrons, autoentrepreneurs, chauffeurs de taxi ou autres qui se plaignent de la hausse des charges, sans bien sûr que le moindre lien logique ne soit fait entre ces deux types de plaintes qui sont présentées comme indépendantes les unes des autres.
Toutes ces personnes semblent penser qu'un gouvernement n’a pas de choix difficiles à faire avec l’argent public entre différentes priorités, mais qu’il suffit de se montrer humain, « à l’écoute des gens », comprendre les difficultés que traversent les agriculteurs, retraités, actifs, salariés, entrepreneurs, personnes âgées, parents d’élèves, mères d’enfants en bas âge et distribuer des aides à tout ce monde.
Le résultat de ces demandes contradictoires est un pays qui a le plus haut taux de prélèvements sociaux au monde avec un Etat souvent inefficace à qui l’on demande d’intervenir dans tous les domaines et qui bien souvent le fait pour des raisons électorales.
Il semblerait que l’on vit toujours sous l’ancien Régime et qu’il s’agit en exprimant ses doléances, de faire appel à la générosité et à la bonté du Seigneur du coin ou au Roi, l’amenant à ouvrir sa bourse pleine de pièces d’or et non dans une République où les citoyens sont conscients que l’argent de l’Etat est leur argent et doit être utilisé avec sagesse dans l’intérêt général.
Le gouvernement a bien sûr sa responsabilité dans cette situation : on se souvient de François Hollande qui proposant lors d’une émission télévisée face à un jeune une coûteuse idée de création d’emplois grâce à « la politique du climat », s’était vu objecter par Gilles Bouleau de Tf1 « mais ça coûte très cher ».
A cela Hollande répondit superbement « C’est l’Etat qui paye » comme si cela faisait disparaître la question du coût puisqu’il était à la charge de l’Etat.
Il y a quelques temps, une jeune femme dans un village de l’Est expliquait à un journaliste de tf1 qu’elle recherchait du travail mais qu’il n’y avait pas de places dans les crèches publiques pour son ou ses enfants et, ajoutait-t-elle, si je me tourne vers les crèches privées, on me demande 1100 Euros par mois pour le garder quand je travaille. 1100 Euros, c’est effectivement une somme quand on recherche un emploi payé autour du smic, somme qui vous donne de bonnes raisons d’hésiter à poursuivre votre recherche.
La réponse simpliste est qu’il faudrait plus de crèches financées par l’argent public et non qu’il faudrait rechercher une combinaison d’argent public et privé moins dispendieuse, donnant par exemple à cette jeune femme la possibilité de recevoir un revenu minimum pour la garde de son enfant.
On peut se demander aussi par quel mystère cette crèche qui coûte 1100 Euros par mois dans le privé coûterait moins dans le public. En fait les coûts ne sont pas très différents entre public et privé et même on arrive généralement à des coûts supérieurs dans le public, par exemple dans les domaines de la santé, de l’éducation ou des transports.
La seule différence, c’est que pour beaucoup de gens, dont cette jeune femme, les coûts des dépenses publiques sont moins visibles, ne sortent pas directement de leur portefeuille et donc semblent tomber du ciel.
La question n’est pas qu’il ne faille pas que la puissance publique aide dans certains cas mais que cela soit fait de façon transparente avec une évaluation claire des coûts et gains éventuels.
Sinon, on peut se préparer à avoir encore de belles manifestations pour des objectifs contradictoires, des agriculteurs demandant plus de subventions, des entrepreneurs ou auto-entrepreneurs se plaignant du RSI et demandant moins de charges, des retraités demandant une revalorisation de leurs revenus. Bien sûr, il existe toutes sortes de situations particulières, des retraités ou des agriculteurs ont vraiment besoin d’être aidés mais on ne peut généraliser et par exemple simplement demander plus d’aides et de subventions toute une catégorie. Ainsi pour les retraités, une étude de 2015 de l’Institut Montaigne indique que 45% du patrimoine global du pays est aux mains des plus de 60 ans, ce qui devrait faire réfléchir avant de demander une revalorisation globale. De même, si l’on regarde la Politique Agricole Commune des 40 dernières années appliquée au monde agricole avec le soutien de la FNSEA, on s’aperçoit que les 3/4 des aides européennes sont allées au quart des agriculteurs les plus riches avec des effets sur la pollution non négligeables, les quantités de pesticides déversées en France ayant atteint des sommets en 2017. La démagogie aboutit à des conflits d’intérêts, ainsi ces derniers jours les agriculteurs réclament la suppression des offres spéciales de prix ou promotions pour les biens alimentaires en grande surface, ce que vient de rejeter le gouvernement) arguant avec raison qu’une telle mesure affecterait négativement le pouvoir d’achat des plus nécessiteux et que dans la situation actuelle, la préservation ou augmentation de ce pouvoir d'achat était une priorité.
Avant de réclamer de nouvelles subventions, le bon sens commande d’évaluer l’utilisation et l’efficacité des subventions passées. Il faut reconnaître au Président Macron quelques bonnes mesures : ainsi quand Jean-Louis Borloo est venu lui proposer un rapport volumineux pour un nième plan d'aide aux banlieues au coût astronomique comme les précédents depuis Bernard Tapie, ancien ministre de la ville, il a simplement mis son rapport à la poubelle. Avant d’ouvrir le robinet des aides publiques, il faut faire un bilan des aides passées et, concernant les banlieues, le bilan est loin d’être « globalement positif ».
Alfred Sauvy, le grand économiste de la France d’après guerre, avait remarqué, lors d’un colloque sur le chômage des jeunes au début des années 80, que chaque plan gouvernemental de lutte contre le chômage était suivi dans les six à douze mois d’une hausse du chômage et que ce n’était pas simplement l'effet du hasard. L’utilisation d’argent public pour « créer des emplois », expression que Sauvy critiquait fortement, sans s’attaquer aux causes profondes du chômage, ne menait qu’à augmenter la dépense public et en conséquence le chômage.
Pour Sauvy, le chômage résultait d’un déséquilibre entre les besoins d’un pays et l’offre en biens et services de ce pays et ce n’était pas en « créant des emplois », sans qu’il y ait un besoin monnayable correspondant dans la société que l’on pouvait réduire le chômage, bien au contraire.
Inspirateur de la politique familiale d’après guerre et critique de l’idée selon laquelle le développement de la machine crée du chômage (voir son livre « La machine et le travail ») ainsi que des politiques malthusianistes et montrant avant tous les autres économistes les risques liés à une immigration massive venue d’Afrique, il fait partie de ces personnalités qui ont été couvertes d’honneurs mais pas vraiment écoutées par les gouvernants.
Les gilets jaunes ont de bonnes raisons d’exprimer leur colère mais cela ne suffit certainement pas à définir une action politique. Un peu de réflexion sur l’économie, le rôle de l’Etat et les effets pervers d’une augmentation des dépenses publiques dans un pays qui a déjà atteint des sommets mondiaux dans ce domaine leur éviterait de sombrer dans la démagogie et la violence.
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