Charlie adulé, Charlie exploité, Charlie bafoué
* Parce que j’ai été, comme beaucoup, terriblement choquée, terriblement bouleversée par la tragédie qui s’est déroulée dans les locaux de Charlie Hebdo,
* parce que, dès que j’en ai eu connaissance par une alerte reçue via ma boîte de réception de courriers électroniques, je l’ai ressentie, moi aussi, comme un crime perpétré contre la liberté d’expression,
j’aurais aimé, moi aussi, participer à la marche républicaine
Pour des raisons personnelles, cela m’a été impossible ; j’ai donc suivi sur mon écran de télévision celle qui se déroulait à Paris.
Charlie adulé
J’ai suivi la marche républicaine sur mon écran de télévision avec une émotion intense tant étaient impressionnantes la cohésion de ces représentants de multiples pays dans le monde, l’union apparemment sans restriction des diverses mouvances politiques, la communion de tous ces citoyens lambda de différentes ethnies, religions, situations sociales.
J’ai suivi la marche républicaine sur mon écran de télévision avec, pourtant aussi, cet esprit réaliste et critique qui ne me quitte jamais, cet esprit à la Cavanna qui lui avait fait dire lors d’une interview : « Quand j’entends de la musique militaire, instinctivement, je me mets à marcher au pas cadencé jusqu’à ce que la raison me rappelle à l’ordre en m’interpellant : ‛Mais qu’est ce qu’il te prend, pauv' con ?’ »
Et donc, pendant que je regardais cette marche républicaine au cours de laquelle seuls ont pu réellement marcher les représentants étrangers et diverses personnalités politiques tant la foule de par son importance empêchait tout mouvement, je ne pouvais m’empêcher de me demander combien de temps s’écoulerait avant que se fissure toute cette admirable cohésion sociale scandée au nom de Charlie.
Cette cohésion sociale que les rescapés de Charlie Hebdo ont ressenti, je le sais maintenant, comme une imposture.
De même, je ne pouvais m’empêcher de songer qu’il fallait l’impudence de la jeunesse pour pouvoir afficher cette affirmation sur divers supports : « Même pas peur ».
Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer les djihadistes en train de ricaner devant tant de naïveté puisque, moi-même, je méditais :
- Mais que savez-vous de la peur, pauvres petits gentils couillons ? Vous qui, ce soir, allez retrouver votre foyer, votre console de jeux pour certains, une discussion entre adultes avec papa pour d’autres, pendant que maman préparera le repas sans que quiconque songe à lui proposer de l’aide.
- Mais que savez-vous de la peur, pauvres petits gentils couillons qui ne connaissez la terreur que par les images de la télévision sans jamais avoir entendu d’autres tirs d’armes à feu que ceux de fêtes foraines ou de parties de chasse, qui n’avez jamais vu d’autres blessures sanglantes qu’un doigt accidentellement blessé en utilisant mal un couteau pour couper un fruit ?
- Mais que savez-vous de cette peur immonde qui fait chier dans son froc ?
Beurk ! C’est dégueulasse comme image, hein ? Mais c’est ça la peur, pauvres gentils couillons.
Donc, pendant que je regardais la marche républicaine sur mon écran de télévision, mon esprit réaliste et critique, après qu’il se soit empoigné avec mon émotion, remportait le combat haut la main en m’assénant cette évidence :
- connaissant la mentalité humaine, cette magnifique et vibrante communion ne peut être qu’éphémère.
Et je constatai la réalité de ce constat moins de 48 heures après. Sauf qu’il s’est manifesté différemment de ce que j’avais imaginé.
Charlie exploité
J’avais supposé qu’en toute logique les partis politiques seraient à l’origine de l’ébranlement de cette belle cohésion sociale qui s’était manifestée le 11 janvier.
Je me trompais.
Elle n’a pas tardé à se dévoiler la vilaine face de ceux qui savent exploiter les bons sentiments pour en tirer bénéfice.
Personne n’ignore plus maintenant
- comment certains ont créé des noms de domaine avec le nom de Charlie. Noms de domaine qui peuvent se vendre très chers, très très chers, à qui veut les utiliser pour quelle que raison que ce soit.
- comment d’autres ont fabriqué et mis en vente des objets ou des vêtements avec un logo Charlie, accommodé selon quelques variantes sans originalités, persuadés, à raison, qu’il se trouverait suffisamment de gogos pour les enrichir avec ce genre de commerce immonde.
Charlie bafoué
Et voilà que maintenant, nous assistons à la polémique la plus insultante qui soit à la mémoire des victimes de la tuerie perpétrée parmi les journalistes et dessinateurs de Charlie Hebdo : la négation même de ce qu’ils représentaient pour nous, citoyens lambda, cette liberté d’expression qu’à tort ou à raison ils symbolisaient à nos yeux et qui a réuni une multitude de personnes ce 11 janvier 2015.
Parce que ça ressemble à quoi cette polémique à propos de jeunes scolarisés qui ont refusé de se soumettre à la minute de silence ? Ça ressemble à quoi ces mesures et même parfois sanctions qu’il est envisagé de prendre contre ceux qui refusent d’être « Charlie » ? Ça ressemble à quoi de fustiger tous ceux qui refusent de se considérer comme des ‛émanescences’ de Charlie ?
Que l’apologie du crime ou l’incitation à la haine soient condamnés, soit. Que la déférence due à des professeurs soit rendue obligatoire, soit. Que le respect à la mémoire des victimes, journalistes dessinateurs de Charlie Hebdo ou victimes de n’importe quel attentat soit imposé, soit.
Mais de quel droit vouloir astreindre qui sent insulté sa religion ou ses convictions à honorer la mémoire de ceux qu’ils considèrent comme ses offenseurs ?
Depuis quand est-on, en France, un terroriste ou un asocial parce qu’on exige le respect pour sa religion ?
Depuis quand l’esprit Charlie se traduit-il par : « Tu es libre de t’exprimer à condition d’être d’accord avec notre conception de la liberté d’opinion » ?
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