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Coronavirus, la pénurie du sens

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Une contamination venue des confins de la mondialisation et tout s’arrête. Suspendre le fonctionnement d’une société pour prolonger sa survie n’a de sens que si l’on aspire à modifier ce qui a contribué à la déstabiliser. Sinon, il s’agit d’une crise gâchée.

La mesure d’une force politique contemporaine se situe aussi dans sa capacité d’acceptation d’un monde privé d’équilibre, ce qui constitue le pessimisme de sa force, la face active de son nihilisme relatif. L’effrayant, le chaos, l’ambivalent, le hasard, toutes ces interrogations privées de gouverne à court-terme doivent pouvoir être digérées sans entraîner un désordre organique général, mais au contraire stimuler de nouvelles perspectives. Bien que la prospective politique soit à l’avenir ce qu’est la criminologie aux criminels, secondaire et facultative, et que ces myriades d’éditoriaux qui prétendent dire ce qui aura lieu dans les années suivantes relève de l’exercice de pure vanité, il n’est cependant pas interdit, une fois accepté le caractère imprévisible et indéterminé du processus en cours, d’établir des constats factuels susceptibles d’ouvrir des perspectives éclairantes.

 

Le premier constat est patent : l’impréparation à peu près complète de l’Etat face à cette pandémie. Via des économies de bouts de chandelles, l’abandon des stocks au profit d’une économie de flux délocalisés à l’infini, l’on a abandonné tout principe de souveraineté médicale. La volonté de minimisation des coûts a provoqué cette externalisation de production en Inde et Chine principalement. https://reflets.info/articles/penurie-de-medicaments-une-imprevoyance-organisee

Une pénurie médicamenteuse, une pénurie de prévoyance avant tout, qui provoquait de fait un confinement sécuritaire plus long que de raison du même fait.

Comme si l’Etat ne garantissait rien, bien au contraire, qu’il induisait en erreur la population pour mieux masquer ses carences. Se reporter aux longues semaines pour ne pas dire mois où l’on a servi aux médias un doucereux discours dégoulinant d’optimisme fallacieux à base de gripette anodine et de masques inutiles (parce qu’absents). Vertige d’une parole publique démise de toutes ses fonctions et devoirs, secondée par quelques experts très zélés, ravis d’escamoter ou d’euphémiser une crise qui s’annonçait dès ses prémisses hors de leur contrôle.

Cette situation de sidération s’avérait suffisamment extraordinaire pour ces citoyens qui se retrouvent acculés à démontrer que non seulement ils se passent du sublime « cadavre » de l’Etat mais qu’ils sont en mesure de s’y substituer eux-mêmes ! Accepter un ordre social momentanément épuré de toute légitimation venue d’en haut et le faire vivre n’est pas donné en soi ni gage d’un avenir radieux, bien au contraire. Nombre d’individus formant forte minorité en temps de crise s’avèrent blêmes et couards, jamais à la hauteur de l’acte inaugural qu’induit cette suspension des autorités mises face au mur de leur incompétence statutaire.

 

Le double solaire de l’ombre portée par cette puissance de mort virale consiste en la volonté vitaliste du corps médical, héroïsé bien malgré lui par lesdites autorités tentant de surcompenser leur propre naufrage en incitant au culte de ceux-là même qu’il y a peu l’on faisait gazer et dont on gérait dans l’indifférence le dénuement pourtant crié sur les toits et les façades lézardés depuis des années. Car la cohorte de ceux décrits comme de valeureux taxis de la Marne et autres fantassins sacrificiels d’un front fantasmé contre un prétendu ennemi terminal était composée de ces sans noms, petits riens, pleins les gares (fermées pour cause de rendement libéral).

La guerre était déclarée par ceux qui en avaient assuré la défaite.

 

 Le citoyen post-coronavirus devra endosser un destin et une mission d’un nouveau genre, devenir son propre état, faire de sa volonté un accueil de toutes ces failles qui la menacent, à commencer par un nouveau cycle de décadence, de déshérence, de dépression et pourquoi pas, en bout de course, de disparition. En termes biologiques, envisager l’entropie et l’assumer pour mieux y répondre par la néguentropie. Cette compréhension doit en somme se tenir en permanence prête, sur le guet, à intervenir et réorganiser ce qui se délite.

Point d’avenir dans le déni du négatif, on le constate quotidiennement. D’authentiques pessimistes auraient su anticiper cette pandémie, prévenus qu’ils étaient par l’OMS https://www.sciencesetavenir.fr/sante/l-oms-estime-que-la-maladie-x-pourrait-etre-la-prochaine-menace-mondiale_121999?fbclid=IwAR1-RExzIdW0oK5Njp3FaLmyWvvbWsPQePBiD8va13j-KVfgXJCR0YfrLyE,

au lieu d’escompter sur son arrêt aux frontières nationales, comme du temps de Tchernobyl.

 

Accepter l’advenue du pire pour préparer le meilleur possible semble la condition sine qua non de toute politique publique minimale. Ce qui était arrivé aux EHPAD pouvait être endigué par un dépistage systématique et précoce des usagers comme du personnel soignant, suivi d'une mise à l’écart des individus touchés. Cela valait pour le reste du territoire national. Aurait-il fallu pour ce faire disposer des tests adéquats.

 

Il était bien question de faire de la place au fait naturel, via ce pandémique rappel violent, à cet écosystème ravagé de toutes parts et qui, du fait de la proximité violente imposée par la surexploitation de ses ressources, entraînait ces infections animales surpuissantes, ou au contraire de poursuivre sur cette voie d’aveuglement bolsonaro-trumpiste consistant à estimer que le déluge interviendrait toujours plus tard, et qu’en attendant, il fallait prendre tout ce qu’il y avait à prendre et remiser toute volonté d’autolimitation aux calendes grecques.

 

Pour ces croyants d’une volonté de puissance cynique, toute théologie et toute téléologie ont disparu, rien n’a vraiment plus d’importance, et le règne du dernier homme, de la médiocrité populaire et de l’affadissement généralisé sont à intégrer et exploiter égoïstement dans ce processus spectaculairement dissolvant. Ils sont prêts à exploiter sans retenue ce qui demeure des ressources naturelles, libérés de tout finalisme, de toute intentionnalité, le destin de leur surhomme peinturluré d’un vernis nationaliste et religieux, dissimulant fort mal la présence d’une primitive avidité la plus bassement matérialiste et cynique.

 

Leur exact opposé, la figure de l’écologiste radical, vegan, pacifiste, prompt à décrire toute la nocivité de l’hominidé dans chacune de ses expressions, peut, sous bien des aspects, proposer une nouvelle option au finalisme eschatologique, évolutionniste et darwiniste d’un homme nouveau, tel que développé tragiquement jusque-là par le marxisme et le national-socialisme notamment.

 

Un homme qui ne songerait plus qu’à se limiter, se réadapter à son environnement, au service de ce dernier et non l’inverse, un homme au service du monde plutôt que rivé à son contrôle, est particulièrement d’actualité et aura sans doute le vent en poupe durablement. Cette figure n’est pas moins lourde d’applications totalitaires que celles ayant eu à modeler la civilisation occidentale de ces derniers siècles.

 

Car si le fait du vivant est le fruit d’un contact entre l’organisme et son milieu, ni l’un, ni l’autre ne doivent totalement prédominer dans une dissociation létale, faute de quoi ils s’annulent mutuellement. C’est seulement dans un rapport alternatif et parallèle, établi dans une autonomie et une interdépendance réciproques entre les organismes et leur milieu, que le vivant prospère, s’affirme et s’épanouit, dans une dyade aux confins dialectiques infinis.

 

L’un des nombreux prodiges accomplis par ce virus infinitésimal est d’avoir mis en suspension les empires gouvernant la politique internationale de ces dernières décennies. Le cours du pétrole est même frappé ces derniers jours de dévaluation. Le pétrole ne vaut rien quand les voitures ne roulent plus. Et elles ne devraient sinon plus rouler, disons moins rouler (éthiquement parlant) pour longtemps. Car la température mondiale continue de monter.

 

L’humain étant ce superprédateur qu’il est devenu, il est fort à craindre qu’il ne s’arrête pas en si mauvais chemin de poursuivre sa quête en avant nihiliste qui ruine son propre habitat, et dissèque et désagrège son milieu. Le monde peut aussi s’achever avec l’homme, c’est tout le problème de l’anthropocène.

Seul un coup d’arrêt (proprement fatal) de son expansion démographique délirante pourrait lui intimer une remise à niveau volontaire de ses principes de survie. En attendant, tragiquement, ce point de rupture faisant bifurcation civilisationnelle, qui demanderait de remettre en cause certains points névralgiques de l’humanisme, et cette transition non seulement énergétique mais avant tout ontologique, il est à craindre qu’il ne tienne pas compte de ce modeste coup de semonce en quoi consiste le Covid-19. 


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7 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 23 avril 2020 17:32

    Vous écrivez :

    « …c’est tout le problème de l’anthropocène. »

    Le mot est lâché !

    Pourtant, la pertinence de ce concept à la mode est douteuse, car l’action de l’humanité est de la même nature que la production d’oxygène par les cyanobactéries il y a 2 500 millions d’années, et qui a constitué une énorme pollution des océans et de l’atmosphère, ce qui a altéré la composition du vivant, provoqué l’extinction de nombreux organismes et permis le développement de la biodiversité des 600 derniers millions d’années, humains compris.

    Le concept d’ »anthropocène » met en avant une opposition entre Homo sapiens et le reste du vivant alors que nous faisons partie intégrante de la biodiversité par notre origine, par ce que nous sommes et par l’avenir que nous partageons avec les autres espèces.

    Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas de dégradation environnementale. Il nous reste simplement à montrer que nous sommes plus capables de réagir que les bactéries précambriennes. Décréter l’anthropocène, c’est un peu comme si des dinosaures crétacés, à l’approche de l’astéroïde, avaient proclamé : « Nous venons d’entrer dans le Tyrannosaurocène ! ».



    • Bernard Dugué Bernard Dugué 23 avril 2020 21:29

      Transition ontologique, vous êtes sur la bonne voie

      nihilisme, le diagnostic est correct, tout dépend à quel degré la société est atteinte

      Les dés ne sont pas encore joués

      Macron ne rime pas encore avec Néron


      • caillou14 rita 24 avril 2020 07:57

        Vous avez raison, il fallait tester la population (masquée) pour isoler les malades, mais tâche trop compliquée pour ces fiers a bras cassés préférant la fuite que le combat ?

        Nos dirigeants-fantômes, se noient dans leurs mensonges, le dernier la commande de respirateurs pour les ambulances (10.000) pas adaptés pour les hôpitaux ?

        Cerise sur le gâteau bientôt la vente de masques dans les marchands de tabacs les grandes surfaces etc ?

        Imaginez un instant une catastrophe nucléaire en France ?

         smiley


        • Abou Antoun Abou Antoun 24 avril 2020 10:13

          @rita
          Bonjour,
          Imaginez un instant une catastrophe nucléaire en France ?
          J’ai déjà essayé d’attirer l’attention des lecteurs sur cette éventualité.
          A ce jour rien n’est changé, numéro d’appel spécial désactivé pour cause de Coronavirus.
          Déjà, en temps normal on peut s’interroger sur les plans ’ORSEC’ consacrés à cette situation. Le public connaît-il les stocks de pastilles d’iode disponibles dans les pharmacies ? A-t-on déjà procédé à des exercices d’évacuation (simulations) ?
          Quels sont les plans d’hébergement des situations déplacées ? Tout citoyen devrait avoir un point de ralliement en cas d’accident dans sa zone de résidence principale. Qu’en-est-il exactement ? Avez-vous déjà vu une enquête diligentée par le gouvernement ou par les mairies ? Rien, rien et encore rien.
          Les casernes de pompiers sont-elles équipées de tenues spécifiques anti-radiations ? J’en doute. Comme les soignants dans le cas d’une attaque virale ils seront envoyés au front sans armes, ce que les Russes ont fait à Tchernobyl au prix de milliers ou de dizaines de milliers de morts. Les Français ont-ils ce sens du sacrifice, ou bien assisterait-on à un sauve qui peut généralisé ?
          Quels sont, pour chaque centrale les plans de refroidissement alternatifs (détournement de cours d’eau, gestion des phénomènes de marée, etc. ?
          Je suis absolument sûr qu’en temps normal rien, absolument rien n’est prévu, alors en période de pandémie ...
          Il faut toutefois être conscient que la pandémie même augmente les risques d’incident ou d’accident dans une ou plusieurs centrales. La totalité du personnel est-elle en place ?
          EDF fait savoir qu’à cause de la diminution de la demande causée par le ralentissement de l’activité industrielle elle doit mettre certains réacteurs à l’arrêt. J’imagine que ce sont des procédures exceptionnelles.
          Ce gouvernement, comme ceux qui les ont précédés, n’est qu’une somme d’incompétences et l’incurie est la règle.
          En face d’un cataclysme, ils ne sont capables que de faire des discours, de légiférer de manière idiote, de sanctionner tout et n’importe quoi.
          Covid-19 met en évidence tout cela, mais au lieu d’en tirer les leçons ces cons de Français se massent devant la télé pour écouter la parole du ’chef’ et selon des statistiques augmentent leur confiance.
          A désespérer.


        • Abou Antoun Abou Antoun 24 avril 2020 13:43

          Erratum
          des situations déplacées
          lire ’des populations déplacées’


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