De Tipasa à Disneyland, les tribulations de la présidence Sarkozy
Ce n’est pas tant le fait que le président Sarkozy ait un nouveau béguin qui signe une ère nouvelle de la République française. C’est qu’il choisisse de le faire savoir et qu’il le fasse dans un lieu, Disneyland, que même son ennemi intime n’aurait pas songé à lui souffler pour faire une telle annonce.

La fascination du pouvoir et ses menus plaisirs
Le pouvoir séduit, fascine, rend des services. Les hommes qui y parviennent, deviennent l’objet de toutes les assiduités, tant leur rayonnement éblouit. Parmi elles, la faveur des femmes n’est pas la moindre à laquelle ils opposent bien peu de résistance, quand ils ne la recherchent pas, si l’on jette un coup d’œil simplement sur le siècle écoulé. Les palais seraient, à en croire certains, des lieux enchantés où l’on vient se donner. Comment, après tout, refuser ces offrandes empressées qui à tout instant montent de partout vers soi sans même avoir rien demandé ? C’est la définition que Camus donnait du charme, dans La Chute : « Vous savez ce qu’est le charme, écrit-il : une manière de s’entendre répondre oui sans avoir posé aucune question claire. » Le sortilège du pouvoir est de parer l’être le moins aimable de la grâce qui n’appartient qu’aux dieux. Il faut, en pareille situation, une vertu que justement la brigue du pouvoir ignore par nature. Pas d’aspiration aux plus hautes fonctions et à l’adulation des foules sans une avidité à en goûter toutes les saveurs ! Existe-t-il même des hommes qui, parvenus au faîte de la puissance et résolus à y rester, n’y aient pas succombé, mordant à pleines dents la bonne chair qui s’offrait, sans avoir à contraindre celle qui s’y refusait à la façon d’un Khadafi se jetant sur une journaliste de FR3 en 1984 ?
Une continuité monarchique et républicaine
À ce titre, l’ère qu’inaugure le président Sarkozy est en parfaite continuité avec celles qui l’ont précédée. Le président Chirac, au dire de son ancien chauffeur ou selon les silences de son épouse elle-même, aurait fait preuve d’une vigoureuse santé en la matière. Le président Mitterrand ne paraît pas lui avoir été inférieur. Avant lui, le président Giscard d’Estaing s’est vu prêter quelques rentrées tardives au logis présidentiel, parfois même contrariées à l’heure du laitier. Il n’y a guère que le général de Gaulle, un militaire pourtant, sur qui semble ne courir aucune anecdocte.
Les favorites royales étaient un signe distinctif du métier de monarque consacré par l’usage. Il semble qu’entrée en catimini dans les institutions françaises le 30 janvier 1875 par un simple amendement adopté à une seule voix de majorité, avec pour seule fonction de garder la place à une monarchie plus souple dans l’attente de la mort d’un premier prétendant réactionnaire, la République n’ait rien eu de plus pressé que d’imiter les mœurs monarchiques. Un président de la République sans maîtresses, c’est comme un roi sans favorites, une incongruité. On se raconte encore l’histoire du président Félix Faure, mourant, le 16 février 1899, dans les bras de sa maîtresse Marguerite Steinheil. La rumeur a pieusement transmis jusqu’à aujourd’hui le prétendu échange entre son secrétaire et le prêtre pour les uns, le médecin pour les autres, accouru au chevet du malade : « Le président a-t-il encore sa connaissance ? - Non, on l’a fait descendre par l’escalier de service. »
Une tradition de dissimulation apparemment congédiée
Les amours « illégitimes » étaient alors soigneusement dissimulées. Le cas du président Mitterrand montre même jusqu’à quel point pouvait être poussée la dissimulation, au mépris des libertés publiques. Un service d’écoutes à l’Élysée, installé sous couvert de lutte contre le terrorisme, a eu pour principal objet la protection des secrets de la seconde famille du président et de sa fille cachée Mazarine, puis la surveillance de tous ceux qui étaient présumés susceptibles de nuire par les informations dont ils étaient détenteurs dans des affaires où la présidence et ses agents étaient compromis, comme « l’affaire des Irlandais de Vincennes ».
Il faut un singulier concours de circonstances pour que ces secrets d’alcôve soient divulgués. Même aux Etats-Unis où les médias ont peu d’égards pour la vie privée de leurs dirigeants, les frasques sexuelles du président Clinton n’ont pu être connues que par une machination de l’opposition républicaine dont la jeune stagiaire Monica Lewinski ignorait l’existence en confiant ingénument à une amie ses rapports croustillants avec le président.
Le président Sarkozy se distingue donc de ces prédécesseurs en posant avec sa nouvelle conquête devant les photographes de presse préalablement ameutés. Il entend faire connaître au peuple sa favorite du moment et le plaisir narcissique qu’il tire de son pouvoir de séduction. C’est bien un changement d’époque et de génération. Il a beau l’avoir décrié pendant la campagne présidentielle pour sa libération des mœurs à la satisfaction de l’électorat d’extrême-droite dont il guignait les voix : Mai 68 le rattrape comme le diable...
De Tipasa à Disneyland, la descente aux enfers d’une sous-culture
Le second symptôme de cette nouvelle époque est le lieu choisi pour révéler sa liaison : le parc d’attractions de Disneyland en région parisienne. On croit d’abord à un gag. Est-il lieu moins indiqué pour une annonce qui ne se veut pas frivole ? Ce parc de loisirs pour beaufs qui s’ennuient, à la recherche d’artifices grossiers dans un décor enfantin déserté par l’esprit, et qui tuent le temps à coups de surprises infantiles, manquent singulièrement de dignité non seulement pour un président de la République mais pour l’épiphanie de son nouvel amour.
Le 4 décembre dernier, le président Sarkozy avait tenu à s’exhiber en homme de culture dans la ville romaine de Tipasa près d’Alger, avec dans les mains d’un de ses amis, Noces, le recueil de poèmes d’Albert Camus qu’il disait avoir lu. Il y était resté, c’est vrai, moins d’une heure sous l’œil des caméras, comme on l’a rappelé dans un article précédent. Par mauvais esprit, on l’avait soupçonné d’avoir voulu faire croire à une profondeur de pensée dont on ne le croyait pas capable. On n’avait sans doute pas tort.
Peut-on aimer Tipasa et Disneyland à la fois ? Les dispositions d’esprit pour goûter l’un sont si contraires à la vulgarité qui aime à s’ébrouer dans le second. On tient dans Disneyland l’exemple des sous-produits culturels dont les Etats-Unis inondent le monde pour maîtriser les esprits. Avant eux, les Romains avaient compris que la colonisation des peuples se faisaient moins par les armes que par l’adoption par les vaincus du mode de vie du vainqueur : vivre partout dans le même cadre architectural romain, s’habiller à la romaine, manger romain, se divertir à la romaine, toutes ces conduites façonnaient une manière de penser romaine. Les « romanorum mores » ont précédé l’ « american way of life ». Doit-on en déduire que par l’exemple déplorable qu’il donne, le président Sarkozy souhaite que la République qu’il préside, s’ouvre encore plus à la colonisation américaine, non dans ce qu’elle a de merveilleux d’intelligence et d’invention, mais dans ce qu’elle produit de plus vil et imbécile ?
Il avait parlé de rupture au cours de la campagne électorale : on allait voir ce qu’on allait voir. On en a, c’est vrai, plein la vue, au point de redouter ce que le président Sarkozy se réserve encore de montrer à l’avenir. Si cette exhibition d’une favorite bat heureusement en brêche une tradition d’hypocrisie, le cadre vulgaire où elle s’est produite fait craindre le pire : une accélération de la colonisation américaine des esprits par la promotion présidentielle d’une « fast food » culturelle qui éradique jusqu’au souvenir de ce que représente Tipasa. Paul Villach
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