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Accueil du site > Tribune Libre > Drogues : Cynisme, hypocrisie et défaite morale de la droite (...)

Drogues : Cynisme, hypocrisie et défaite morale de la droite française

Dès le début de l’après guerre et jusque dans les années 1970, les barons de la French Connection, cette multinationale essentiellement corse qui, bon an - mal an, se faisait un milliard de dollars de bénéfices de son commerce d’héroïne possédait des réseaux de veille au sein de l’administration qui les prévenaient de tout changement législatif concernant les drogues. Ils avaient aussi une ribambelle d’hommes politiques, locaux ou nationaux qu’ils payaient grassement pour éviter procès et prison, pour protéger les dizaines de laboratoires sur le sol français pour surtout éviter à tout prix que l’on dépénalise l’usage de l’héroïne et son trafic (voir Thierry Colombié, La French Connection, Les entreprises criminelles en France, Non Lieu ed.).

A la même époque le réputé organisateur de l’opération X en Indochine, le colonel Trinquier disait : si l’on veut des Méos fidèles, il faut leur payer l’opium au juste prix. Ce concept, qui permet de toujours sous-estimer, voire utiliser les drogues au nom d’une cause plus importante, n’a pas évolué d’un pouce : c’est lui qui a permis au Maroc d’être le premier producteur - exportateur de haschich en Europe, et c’est lui qui transforme les soldats sensés chasser les talibans en collaborateurs des plus grands trafiquants afghans, quasiment tous députés ou ministres à leur pays.

La défaite morale n’est surtout pas le fait d’une ministre écologique (qui aurait pu, éventuellement, rappeler sa position à un autre moment plutôt qu’à la veille d’une élection cruciale), mais de cette pensée oxymore qui fustige la consommation d’une drogue, tout en s’abstenant de combattre ceux qui la produisent au nom d’une efficacité géopolitique. 

Plus globalement, le concept de la guerre à la drogue nait chez un président américain, Nixon, qui n’avait rien trouvé de mieux que de négocier, la destruction de la production annuelle d’opium turc en échange d’une aide militaire conséquente. Cette guerre se perpétua sous l’administration Reagan, ce qui n’empêcha en rien ce président à financer la guerre contre les Sandinistes nicaraguayens par des tonnes de cocaïne transitant par le Panama, entrant aux Etats-Unis par les bons soins de l’armée américaine et mis à disposition des Contras. Le seul à avoir payé pour ce commerce infernal fut le « transitaire », en l’occurrence Noriega, qui croupit aujourd’hui dans une prison française. Pendant les guerres yougoslaves, soldats et officiers néerlandais en particulier, furent aspirés, corrompus, et en fin de compte changèrent de métier se transformant, à l’instar de certains fonctionnaires de l’Indochine française, en trafiquants de drogues. Ces derniers alimentaient les fumeries d’opium à Toulon en particulier, considérée à l’époque par l’administration américaine comme la ville avec le plus grand nombre de fumeries, Chine exceptée

C’est de l’histoire pourrait-on dire. Oui, mais aujourd’hui, les cartels mexicains sont considérés, en termes d’armement, comme le sixième armée du monde, présidents de région, maires, policiers ou juges se démettent volontairement de leurs fonctions, abandonnant des territoires entiers aux mains des Cartels. L’ensemble des pays de l’Amérique Latine sent que l’Etat de droit est en train de chanceler sous les assauts du crime organisé ou qu’il cogère déjà le pouvoir comme en Colombie, au nom justement d’une guerre contre…la narco-guérilla.

La production et le commerce des armes - de plus en plus lourdes -, qu’on utilise dans les favellas de Rio (comme dans les quartiers nord de Marseille), n’est nullement illégal. Aucune convention internationale ne limite leur production et leur vente. La (quasi) totalité de celles utilisées par les mafias latino-américaines, sont produites et revendues en toute légalité aux Etats-Unis. A celles-ci, s’ajoutent (surtout en Europe) celles des casernes albanaises, des guerres périphériques, parfois terminées (Angola, Mozambique, Afrique du Sud, Ex-Yougoslavie, Transnistrie, Abkhazie, etc.) d’autres en pleine mutation (Soudan, Tchad, Sahara, etc.) et qui se baladent d’un conflit à l’autre, en toute liberté.

Devant cette impasse guerrière, des chefs d’Etat et de gouvernement responsables, des hauts fonctionnaires onusiens moins cyniques que les autres, proposent aujourd’hui, surtout en Amérique Latine, de cesser cette guerre à la drogue absurde. Il n’est plus question de santé, de « phénomène de société » ou de « perte de repères éthiques liés à l’interdit » chez le consommateur mais de la vie ou de la mort de l’Etat de droit tout court. Comme l’indiquait Moïse Naim en 2011 (International Economics Program, Carnegie Endowment for International Peace, Washington D.C., Genève, Working Paper) : « lutter contre les trafiquants a désormais peu à voir avec les drogues. Et tout à voir avec les gouvernements. L’objectif n’étant plus d’aider simplement les victimes et autres toxicomanes, mais de mettre un frein à la mainmise du crime organisé sur les états eux-mêmes ».

Dans son train-train franchouillard, adeptes et opposants de la dépénalisation continuent à utiliser des arguments figés aux années 1970. Comme si l’Histoire, les changements radicaux du monde où nous vivons, les enjeux essentiels de la démocratie et de son fonctionnement étaient figés eux-mêmes. Comme si, ce qui se fait ailleurs ou autrement n’avait aucune importance. Comme si, les enjeux se limitaient à la victoire de Mme Duflot ou au ballotage défavorable de Mr Guéant. La dure réalité étant qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent, ni du monde qui les entoure…


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12 réactions à cet article    


  • Le chien qui danse 8 juin 2012 10:11

    Bonjour et merci.


    • Politeia 8 juin 2012 11:39

      La drogue n’est qu’une facette du problème. Vous pouvez légaliser toutes les drogues du monde vous n’éradiquerez pas le problème. Le trafiquant de drogue n’est pas trafiquant par conviction. ll trafique de la drogue parce que c’est interdit et que comme c’est interdit, ça rapporte. Si la drogue n’est plus interdite il se tournera vers un autre trafic interdit, les armes, les femmes, les enfants, les organes ou tous simplement, racket, vol qui reste une source de revenue très importante des organisations criminelles.


      • joelim joelim 8 juin 2012 14:25

        Mais il n’aura plus un « chiffre d’affaires » qui lui permet de corrompre les Etats.


      • chantecler chantecler 8 juin 2012 12:08

        Bonjour !
        Bien d’accord .
        Quand j’entends quelques porte paroles contre la « légalisation » du H je me demande toujours s’ils sont idiots ou corrompus .
        Politiciens à coup sûr .
        Et souvent ni ouverts, ni courageux .
        Je mets légalisation entre guillemet car il s’agit d’encadrement de la vente du H et tout ce que cela implique , dont une assistance médicale pour le sevrage éventuel et la détection de certains troubles de la personnalité pour les drogués .
        Comme pour l’alcool et autres addictions .


        • morice morice 8 juin 2012 12:27

          Mince, je suis juste en train de le lire, ce livre, vous me coupez l’herbe sous le pied : permettez que j’en fasse la critique ce week-end, Michel, car votre livre est tout simplement.... passionnant, et j’aimerai en effet inciter les lecteurs à se précipiter en librairie pour se le procurer..


          Oui, c’est de la pub. Mais pour une fois, elle vaut le coup. Un rédacteur d’Agoravox a aussi besoin de coups de pouce médiatiques, parfois.

          La guerre a la drogue est un échec patent en effet. L’Afghanistan et sa production multipliée sous Karzaï en est le plus bel exemple je pense.

          • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 8 juin 2012 12:47

            Merci Morice. Le livre n’était pas le sujet, mais je n’en peux plus d’entendre les platitudes des une et des autres. C’est juste une humeur de ras le bol...


          • Emmanuel Aguéra LeManu 8 juin 2012 13:18

            Michel, une révision de la législation aurait-elle été trop simple à envisager ? Elle t’aurais évité un article en tous cas, car si j’ai bien compris c’est la dichotomie entre le phénomène « drogue » chez les consommateurs et le même chez les producteurs qui est en cause. Nul doute que le shit libanais s’est fait rare depuis que le besoin en kalashnikov a baissé dans cette région (encore que les foubourgs de Damas n’étant qu’à 50 bornes, il pourrait y avoir du sport dans les prochaines années), mais je pense que les interdits non-seulement fonctionnent à l’envers, créant pour chacun l’opportunité d’un cap à franchir consciemment ou non, mais de plus empêchent de remédier au problème, bien sur sociétal, de l’intérêt d’un grand nombre pour ces substances.
            Tout ceci ayant mis à part les arguments moraux complétement surfaits qui ne manquent pas dans le domaine.
            On le sait, les interdits foutent le bordel, de la prohibition d’alors à la burka d’aujourd’hui. La diabolisation puis l’interdiction du cannabis, pour ne parler que de lui, date de l’invention du nylon et du grand danger du chanvre pour l’empire Hearst/Dupont de Nemours. L’alcool serait interdit depuis longtemps s’il n’était un produit local : culture locale à tous les sens du terme.
            Mais il ne me semble pas que nos sociétés soient parties pour laisser tomber les a-priori moraux : tu pourras réécrire, à mon avis, le même article dans 20 ans.


          • SATURNE SATURNE 8 juin 2012 13:57

            @L’ateur,
            D’ordinaire, vous étes limpide et précis, mais là, je peine à comprendre où vous voulez en venir.
            Si vous alertez sur la menace que constituent les « Etats faillis » ou les « quasi-états » de certains oligarques issus de la criminalité organisée transnationale (Guinée Bissau, Mexique, etc) et leur porosités avec les appareils d’état locaux, et donc , à terme, pour la sécurité et la stabilité ( notamment économique) des Etats dits normaux, on vous suit, mais ce n’est pas vraiment nouveau.
            Mais quel rapport avec la dépénalisation du canabis, ou à un changement de politique face aux drogues ? Quel rapport avec les armes ? ( sauf à faire de la bouillie pour chat style Rauffer, qui, pour 1.000 euros de l’heure, court le vaste monde criminologique pour nous dire sans rire que « tout est dans tout et inversement », ce qui justement fait bien rire).
            Bref, l’article est confus.
            Du reste, vous donnez vous même des limites à la pertinence de vos propos en citant avec raison la phrase « lutter contre les traficants a désormais peu avoir avec les drogues et tout à voir avec les Gouvernements ».
            Certes. Mais alors nous parlons d’autre chose : de la difficulté à criminaliser les grands cartels et OCG qui sont à présent du grand affairisme organisé et plus du crime organisé. Dont les activités criminelles initiales (nécessaires pour pénaliser le blanchiment) sont soit prescrites, soit sans lien territorial dans un pays européen donné pour qu’un juge s’y interesse.
            Bref, si certains veulent prendre 20% de Renault ou acquérir une respectabilité en achetant des parts dans une société connue pour diluer leur réputation criminelle initaile -schéma connu- , c’est en effet un enjeu d’Etat et de sécurité économique, mais ça n’a plus de rapport avec la drogue, ni méme avec le code pénal, qui peine à incriminer ces prédations hélas devenues légales.
            Pour un oligarque russe de Gazprom, ou un letton de la Rietumu Banka (je ne choisis pas ces noms au hasard, vous l’observerez, vous qui connaissez la question) , bronzer dans la piscine de sa villa à St Jean Cap Ferrat ou en Toscane avec deux call girl n’est pas interdit. C’est bien le problème.
            Ces gens -là, un mai américain a tendance à les désigner pertinement comme les « too big, too late ».


            • Emmanuel Aguéra LeManu 9 juin 2012 18:01

              Je l’ai mal dit plus haut : cette « dichotomie » purement occidentalo-morale qui conduit notre bien-pensance à condamner la drogue chez nous alors qu’elle en favorise la production par géopolitique interposée dans les pays concernés, c’est l’ironie de fond que soulève Michel, si j’ai bien saisi le sens général. Et le cynisme que j’y vois, c’est la sémantique diplomatique en cours qui bien sur se doit d’éluder ce problème.
              Et en effet, l’oxymore est patent. Et en effet, la révision de la position que je définis comme « morale » vis à vis des drogues, non seulement entre en contradiction avec nos agissements à l’étranger, notamment en Afghanistan, mais de plus empêche toute approche sereine et objective du « problème ».
              Après, que les cartels se jouent de cette morale et finissent par pendre gouvernements et organisations internationales en otage, quoi d’étonnant ? Quand on voit la culture et les trafics de pavot, qu’avaient éradiqués les Talibans, revenir en force avec l’appui des dollars de la coalition des « civilisés », peut-on reprocher à des Farc de pactiser avec les cartels ?
              Il faut choisir : on ne pourra pas indéfiniment aller dans ces pays avec des médicaments dans une main et des kalashnikovs dans l’autre : d’une part nous serons vite, nous le sommes déjà, à bout de crédibilité, mais de plus les différentes parties, que nous maintenons à bout de bras dressées les unes contre les autres, pourraient bien s’apercevoir un jour qu’en s’alliant, elles pourraient enfin nous obliger à payer les ressources que d’une troisième main bien cachée, on leur vole tranquillement.
              Alors, critiquer des oligarques russes ou des mafia calabraises ou autre, dans ce contexte, c’est un peu la paille et la poutre.
              D’autant que sans les paradis fiscaux et l’arsenal de l’évasion fiscale, ces derniers seraient facilement éradiquables. Et à ma connaissance, ce ne sont pas les mafias qui ont crée ou qui organisent les innombrables et impénétrables circuits financiers qu’utilisent ces organisations dites criminelles, mais bien des décrêts, des lois et autres circulaires très officielles avec pignon sur rue à Génève ou dans la City.
              Le ménage, on le fait d’abord chez soi.
              Après on pourra parler de la diabolisation du shit.


            • xray 8 juin 2012 18:31


              Qu’elle soit matérielle ou cérébrale, la misère est le fondement de la société de l’argent ! 
              (Le malade, l’industrie première.) 

              Dans le cadre de la construction européenne,  la drogue est un excellent complément aux croyances,  aux religions et aux terreurs pour soumettre les populations. 

              Drogue, SILENCE ! 
              http://mondehypocrite.midiblogs.com/archive/2009/06/16/drogue-silence.html 



              • antonio 9 juin 2012 07:16

                Merci pour votre article qui « remet les pendules à l’heure » !
                Ca fait du bien de lire des choses intelligentes sur ce sujet...


                • brieli67 10 juin 2012 19:22

                  pour être au clair avec les drogues et le cerveau avec ce que la neuroscience sait de nos jours

                  Allez rejoignez suivez la conférence de Jean Zwiller

                  DROGUES SYNAPSES ET DEPENDANCES

                  http://audiovideocours.unistra.fr/r...

                  AU PLAISIR !

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