Home, des sucreries plein les yeux...
Voilà, j’ai participé à « un événement mondial » hier soir en me rendant dans une salle de cinéma pour voir le film « Home ».
Une plaquette pour gosses de riches qu’il faut amadouer par des douceurs : cela commence, puis finit, par une pub mondiale pour le luxe et quelques grandes surfaces.
N’oublions pas le « consommateur » et ce qu’il peut rapporter, surtout en ces temps de « crise », et comme le film est plus que largement distribué de par le monde l’impact publicitaire ne devrait pas être mince, bon « coup de com’ » pour celui qui l’a financé au nom de la sauvegarde de la planète.
On appelle cela « retour sur investissement ».
En ce tout début de film j’ai fait rire une partie de la salle, à l’instant de l’affichage de ces publicité, en m’esclaffant " Ah, bonjour François Pinault " : le public était donc très au courant de l’origine des fonds, cela signale qu’il est informé de bien des choses.

Peu de critiques à émettre du côté prise de vue et pour moi qui n’avais pas mis les yeux devant un grand écran depuis au moins 20 ans ou presque, pour moi qui suis plutôt fasciné par l’observation de paysages, d’insectes... de "la nature " l’attrait de ce film aurait dû être fort et constant.
Une voix " sans qualité " égrène un monologue.
Cette voix ne choque pas, n’a aucune aspérité, elle n’emporte pas non plus, ni vers ceci ni vers cela, elle énonce, pourtant sans trop de platitude : il y a un peu d’intonation.
Les images défilent et je me dis : " c’est beau... c’est beau... c’est beau... ".
Oui, c’est beau de bout en bout, on est devant un fleuve de beau que l’on pense assez mouvementé au début, pendant la première demi-heure car se suivent des séquences qui ne se ressemblent pas, sans que nous soyons prévenus de la suite.
Un effet de surprise se manifeste donc mais plus le temps passe plus l’on s’attend à ce que la nouvelle image ne rappelle pas la précédente et l’on ne s’étonne plus, sauf lorsque la caméra s’attarde comme par exemple sur ces glaces arctiques : tiens, nous sommes encore sur la glace, toujours sur la glace depuis au moins 2 ou 3 minutes ?
La voix continue d’égrener...
Car ce qui tient lieu de scénario est ce couple que fait ce discours et la succession de séquences différentes, le premier étant supposé donner ce qu’il faut de continuité au second.
Aucun personnage dans le film, le premier rôle étant supposé être donné à " la planète ".
On a connu des films sans personnage, souvenons-nous de " Microcosmos " ou de " La marche de l’empereur ", au cours desquels il était difficile de s’ennuyer, un modèle du genre étant le fameux " Duel " de Spielberg (scénario écrit par Richard Matheson, un maître de la science fiction).
Dans ces trois film était présent ce qu’il fallait d’ingrédient pour donner un souffle auquel on ne pouvait résister, mais " Home " est un courant régulier de sirop de sucre duquel on se dégage les pieds et l’esprit avec assez de facilité pour en venir à somnoler.
Car il n’y a aucun relief auquel se raccrocher malgré le dénivelé que montrent certaines images...
Le contenu du discours est en général assez peu contestable, il énonce sur la surpêche, sur l’agriculture, sur l’exploitation minière, sur les coraux, sur l’état de la biodiversité... un certain nombre de faits probablement connus d’à peu près tous, au moins dans notre société dans laquelle chacun dispose de moyens de s’informer en dehors des grandes chaînes " d’information " (qui elles, sur certains points cruciaux, se contentent d’un strict " minimum syndical "...).
A moins que, plus curieux que la moyenne de mes contemporains, je sois beaucoup plus au courant qu’eux de l’état des choses ?
Cela m’étonnerait quand même.
J’ai donc assisté à une litanie de constats connus sur fond d’une indicible beauté coulant à robinet très grand ouvert mais sans que cela me donne à quelque moment l’impression que ce flot pourrait m’emporter.
Ni souffle ni aspérité, que du lisse, de l’insaisissable, de l’inappropriable.
Sur le plan sonore rien de remarquable ou qui ajouterait un véritable intérêt.
J’ai donc regardé couler cette rivière de sucre, me suis assoupi, attendu la fin puis ai quitté la salle en me sentant libéré et frustré.
Libéré d’avoir " accompli mon devoir " : à l’envie de voir une oeuvre dont je supposais qu’elle pourrait m’apporter... je ne savais quoi succédait le sentiment d’avoir " fait le nécessaire " pour pouvoir me prononcer sur ce qui avait été présenté comme un " événement ".
Le " beau " ou le " bien fait " ne saurait suffire, le " beau " sans plus, sans perspective, n’est rien plus que " beau " et si je reconnais de la beauté à un Botticelli je ne souhaite pas que l’on vienne un jour m’offrir " La Naissance de Vénus ".
La Naissance de Vénus (Botticelli)
C’est indubitablement un très beau tableau, un travail très bien fait, une oeuvre à laquelle je reconnais un certain souffle (hors des joues gonflées de Zéphyr !) mais qu’il me fatiguerait d’avoir chaque jour sous les yeux.
Du beau, créé, inventé et mis en scène par l’artiste : une véritable oeuvre d’art, ce que n’est pas le film.
Ce film est la copie du beau qui nous environne, une juxtaposition de fragments de beau finalement très hétérogène à moins que l’on accepte que " la voix " soit le ciment de ces fragments, la couture qui les relie, les unit, leur donne une cohérence forte capable de nous convaincre, plus encore : de nous emporter, de nous donner des ailes (car nous sommes au cinéma, prêts à " décoller " sous l’effet de quelques impulsions inattendues).
Oui " la Terre " est belle, elle fourmille de magnifiques paysages même si elle doit certaines de ses couleurs à de très graves endommagements dont nous sommes les auteurs (et les palettes de couleurs de certaines exploitations minières étaient fantastiquement belles).
Yann Arthus-Bertrand a copié ces éléments de " beau " et les a accolés, j’ai entendu dire qu’il avait commencé à tourner sans scénario établi et cela se révèle : il a bien fallu tenter de donner une cohérence au patchwork.
Ce n’est pas en essayant de " recoller des morceaux " que l’on produit de l’art, ce film en est la démonstration.
Les louables efforts d’Isabelle Delannoy, qui a écrit le discours, ont été mal récompensés car l’ensemble ne m’a convaincu de rien.
Efforts louables car il me semble que le principe de base du film consistait à présenter des réalités en tentant de faire lever un ferment qui nous pousserait à agir, face à une situation du monde qui demande effectivement que nous agissions, et sans présenter une vision pessimiste des choses.
Je n’ai eu aucun choc en voyant le film qui vient après celui d’Al Gore " An inconvenient truth ", qui portait une force indéniable.
J’attendais une force au moins égale, je ne demandais pas spécialement à être " choqué " mais au moins " mobilisé " ou encore un peu plus convaincu que je ne pouvais l’être en entrant dans la salle.
Rien de tel, seulement un courant de sucre à l’écoulement régulier...
Rien non plus à la hauteur des enjeux actuels sur une Terre intensément polluée de diverses façons et sur laquelle nous disposons essentiellement d’un modèle économique dont nous avons vu qu’il était la source de multiples dégradations, qui affecte aussi bien notre environnement qu’il nous affecte, chacun d’entre nous, dans notre quotidien, et risque de nous affecter plus durement encore dans l’avenir.
Un modèle économique qui nous aura conduit à un certain nombre de succès indéniables essentiellement au cours des 50 dernières années mais en faisant peser sur notre avenir de très sérieuses menaces.
Un modèle économique essentiellement basé sur l’exploitation et l’exacerbation des antagonismes, des mésententes ou des non ententes, des conflits conduits de façon de plus en plus masquée : on ne se saigne plus à coup de lames, ce qui produit de vilaines taches rouges, mais on s’entre étouffe économiquement, chacun amassant son tas de " richesses " à la hauteur de la longueur de ses dents et s’entourant d’autant d’assurances et de barrières que possible, maintenant de caméras et de portiques, afin que les " moins nantis " d’à côté ne puissent venir grappiller...
Cupidité, rapacité, cynisme sont les grands ressorts de notre monde de " consommateurs ".
D’indispensables consommateurs pour que cette cupidité puisse réellement s’exprimer dans toute son ampleur (car que deviendrait-elle si plus personne n’achetait, demain, et trouvait un moyen de vivre sans " consommer " ?).
Ah certes le film rappelle que 80% des ressources extraites profitent à environ 20% de la population mondiale, mais cela n’est pas nouveau, cela se dit et se répète depuis quelques dizaines d’années déjà.
Cela n’a pas empêché que la cupidité conduise à ce que la part des salaires dans le résultat des entreprises soit assez largement amputée au profit des actionnaires, et ceci dans le monde entier... passons...
Heureusement avant la pub finale, mais après deux heures quand-même (ce qui peut sembler long pour en venir à ce qui compte vraiment !) apparaît un mot essentiel, seul au milieu de l’écran : " ENSEMBLE ".
Cerise sur le flot de sucre il représente effectivement le critère essentiel de la survie de l’humanité dans des conditions aussi bonnes que possible : que nous sachions aussitôt que possible nous entendre et agir ENSEMBLE pour parvenir à vivre en harmonie avec " notre environnement " et sans continuer à le dégrader.
Car si nous pouvons nous voir, chacun, comme un élément de l’environnement des autres nous sommes en fait indissociables de " l’environnement " qui est finalement une partie de nous-même...
Nous sommes des autophages, des homophages, des cannibales : le serons-nous jusqu’à l’os ?
Ensemble ?
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