Il y a quelqu’un ?

Je lis ici et la qu’il faut (remarquez la forme obligatoire de la formule) admirer l’œuvre de Céline et condamner Louis Ferdinand pour ses idées. Je suis sur que, quelque part, cachés dans la brousse et leur âge canonique, certains militaires, fonctionnaires, administrateurs coloniaux, médecins et autres préfets détestent l’œuvre mais admirent l’homme et ses idées, ou plutôt le courage d’avoir des idées et de les affirmer. Je pense même qu’existent des hommes bien pensants mais restés dans leur trou confortable tout au long de leur vie, qui désapprouvent l’œuvre, détestent l’homme mais sont jaloux de cette destinée d’aventures, de tous ces voyages, de toutes ces vies accumulées dans une seule vie.
Existe-t-il quelqu’un qui pense et dit haut et fort que la littérature est une maîtresse difficile et intransigeante, jalouse et généreuse à la fois, qui ne se donne que si l’homme ou la femme qu’elle choisit s’abandonne à elle de manière absolue, vivant une vie et pensant hors des chemins battus, les seuls par lesquels on peut l’atteindre. Ce sont des sentiers bouseux, poussiéreux, merdiques, menant souvent à des impasses, finissant dans des déserts ou des jungles n’ayant jamais connu les pas des hommes, obligeant à revenir sur ses pas, tout reprendre, tout recommencer. Vie et œuvre se confondent : pour être iconoclaste devant une feuille vierge, il faut l’être dans son être. Pour raconter des histoires, pas celles que l’on lit ou regarde devant sa télé, bourrées de faux bons sentiments et de vrais messages exigeant l’obéissance à des standards larmoyants et optimistes, mais de celles qui vous font souffrir, vous envoient vers des impasses et des pièges, vers le dégoût et la révolte, il faut avoir un petit pied dans la Cité et faire des pas de géant hors de ses murs et de l’entendement citoyen moyen. Moyen, c’est ce qu’il faut éviter comme le diable. La littérature exige le zéro ou l’infini. Ce qui se trouve entre n’est que cinéma hollywoodien.
La Cité, l’Etat, se doit par contre naviguer au sein du consensus. Gérer le vivre ensemble, faire oublier au citoyen ses parties incandescentes, subversives, celles qui viennent d’un autre âge, celui où la sauvagerie humaine faisait partie d’une nature animale, égoïste et arbitraire. Rappeler d’où l’on vient (pour éviter un retour en arrière) est le rôle que se donnent les héros grecs. Thésée ou Hercule combattent la sauvagerie d’où ils sont issus, et la fin de leur histoire (faite de combats singuliers contre tout ce qui dérange les lois et les certitudes de la cité) se conclue irrémédiablement par leur mise à mort, leur disparition. C’est le prix à payer pour que le citoyen dorme tranquille.
Le problème de notre cité à nous, agnostique et prométhéenne, suspendue dans le temps et l’urgence, c’est qu’elle exige « le beure et l’argent du beure. » Elle se croit suffisamment mature pour intégrer ses héros, sauvages par définition, en son sein. Elle veut les « commémorer », leur donner des médailles du mérite, les sortir de leur au-delà où ils reposent en guerre, pour les transformer en agneaux bêlant de quiétude.
Ironie de l’histoire, un sauvage qui a voyagé dans le monde fantasque et fantastique des sens, qui, par sa vie et ses actes a effleuré des dragons hors les murs, se transforme en ministre d’une cité dépourvue de mémoire et croit pouvoir en faire de même avec ses héros au nom du modernisme, de la civilité, et de la juste appréciation des choses. Le jour où on pourra dire pédé à la place de gay, bête humaine à la place de salarié, connard à la place d’inintéressant, le jour où ce dit ministre pourra écrire sur sa carte de visite ministre pédé de la culture et qu’il reconnaîtra que la vie et l’œuvre de Polanski c’est la même chose, alors les murs protecteurs de la cité n’auront pas raison d’exister. Mais est-ce une bonne chose ? Non, répondrait Socrate qui en sait quelque chose…
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