L’hypocrisie républicaine de la francophonie
Que recouvre réellement le terme de francophonie en dehors des beaux discours dont se diapre la République tous les vingt mars ? L’un des moyens de le savoir est d’analyser l’attitude que les services culturels d’ambassades et les consulats peuvent avoir à l’étranger. Coup de projecteur sur ce qu’explique Bernard Desportes, commissaire du 11e Salon international du livre de Tanger, suite à l’attitude méprisante face à la culture de la part des services culturels de l’ambassade et du consulat de France au Maroc, et à leur comportement proche du néocolonialisme face aux Marocains.
Le 11e Salon international du livre de Tanger s’est tenu au Maroc du 28 février au 5 mars comme nous l’avions indiqué sur Agoravox. Nous l’avons suivi entièrement en diffusant tous les jours sur vlog-trotter, des interviews des intervenants (Jean-Luc Nancy, Abdelwahab Meddeb, Christian Prigent, Mohamed Rachdi, Afid Aggoune, Bernard Collet, ...). À la fin du salon, suite à plusieurs incidents provoqués notamment par le consulat, nous avons eu un nouvel entretien avec Bernard Desportes, que nous avions interrogé tout d’abord le 9 janvier à Paris, avant la conférence de presse.
Cet entretien final, que nous donnons ici en vidéo, nous permet de revenir sur la forme hypocrite et cynique qui détermine l’idée de francophonie, mais aussi d’expliquer en un certain sens pour quelles raisons la France peut, dans certains pays, perdre de son aura, se comportant davantage à travers ses représentants comme une puissance méprisante et néocoloniale, que comme une puissance généreuse et diffusant au mieux sa propre culture.
La francophonie est l’idée d’une communauté internationale de pays partageant non seulement une langue - au Maroc, le français est l’une des langues officielles - mais aussi des valeurs et une forme de culture. L’ensemble de ce 11e Salon de Tanger était en rapport étroit avec cette dynamique, au sens où, à travers le thème de "l’étranger dans la langue", il s’agissait de faire se rencontrer une jeunesse marocaine souvent exclue des enjeux de la culture et des intellectuels français ou marocains prestigieux, qui loin de tout populisme médiatique et mondanité, garantissaient une exigence intellectuelle. Or, la principale barrière à ce salon ne fut pas justement l’écart culturel entre les étudiants marocains et cette exigence, mais l’attitude du consulat français et des services culturels de l’ambassade qui, loin de soutenir cette initiative unique, puisque c’était la première fois que les étudiants marocains étaient ainsi associés tant à l’organisation du salon qu’à sa réalisation, ont désavoué aussi bien le commissaire qu’une partie des invités.
Pour quelles raisons ?
Parce que tout simplement, ils n’avaient pu eux-mêmes déterminer les invitations des intervenants - pas assez people pour eux, contrairement aux années précédentes, ce qui fut reconnu et critiqué pour l’année 2006 - qui ne représentaient rien à leurs yeux. Or comment penser cela du philosophe Jean-Luc Nancy ? Ou bien du penseur et écrivain Abdelwahab Meddeb, qui a une émission remarquable sur France Culture ? ou encore de Fethi Ben Slama, de Christian Prigent, d’Eric Marty, etc ?
Les représentants de l’État français, notamment aux postes culturels, loin d’être forcément compétents, ayant une réelle pratique des milieux artistiques, philosophiques ou littéraires français, sont choisis selon un mode promotionnel oligarchique, qui ne s’établit pas sur la compétence mais sur la logique du réseau, du parrainage. Le mal français, nous le savons, cela est assez analysé, s’il est bien l’oligarchisation aussi bien des partis que de l’État, est d’autant plus caricatural à l’étranger. Ainsi, comme le souligne Bernard Desportes dans la première partie de cet entretien, le jour de l’inauguration du salon au consulat français, non seulement le commissaire ne fut pas invité à parler, mais en plus ne fut pas non plus autorisé à parler Larbi R’Miki, le partenaire marocain officiel de ce salon, qui finance pour moitié cet évènement. Attitude méprisante à l’encontre d’un intellectuel français reconnu aussi bien en tant que directeur d’une des revues littéraires les plus importantes de la fin des années 90 (Ralentir travaux) qu’en tant qu’écrivain (publiant chez Fayard), et attitude néocoloniale face au partenaire marocain, que l’on peut effacer d’un geste de la main.
De fait, bien souvent, nos représentants à l’étranger, loin de saisir la charge éthique qui devrait être la leur, la responsabilité de véhiculer le mieux possible la culture vivante qui anime la France, se conduisent comme des rentiers, gérant leur situation au mieux de leurs intérêts et selon des stratégies individuelles d’honneur, qui sont loin de permettre à notre culture d’apparaître.
Dès lors, il ne suffit pas de critiquer seulement l’oligarchie républicaine visible qui dérobe le pouvoir sous le prétexte du suffrage universel - comme je peux l’analyser dans le ma participation au livre collectif 22 avril, ceux qui préfèrent ne pas, qui sera en librairie le 20 mars - mais il s’agit surtout maintenant d’analyser et de mettre en critique à chaque fois que nous le pouvons les dispositifs invisibles qui structurent cette logique d’oligarchisation politique française.
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Coup de gueule de Bernard Desportes
envoyé par trame-ouest
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