La fin de la navette spatiale 1) les beaux projets, et leur coût exorbitant
Endeavour, la seconde navette retraité devait être lancée le 19 avril dernier, mais son lancement avait été reporté à ce vendredi. Si tout se passe bien (on peut le vérifier ici en direct), elle devrait décoller pour son dernier vol symbolique : cet exemplaire avait été construit en plus après la catastrophe de Challenger et avait fait ses premiers pas en 1991 à Palmdale. La navette spatiale va bientôt disparaître de nos écrans, c'est son avant-dernier vol, et pour célébrer ses trente années d'existence, je vous propose en plusieurs épisodes de revisiter sa carrière, ses succès et ses terribles échecs, et de d'entrevoir ce que sera sa possible succession. L'engin a marqué les esprits, sans nul doute, et on lui doit bien cela, je pense, ne serait-ce qu'en mémoire de ceux morts à son bord. Place à la saga du "Shuttle" comme on l'appelle là-bas, place aux détails plus ou moins connus de sa longue existence. Trente années, c'est long en carrière spatiale : à ce jour, il n'y a qu'un engin ayant fait mieux : le lance-Soyouz, la célèbre R-7 (8K71) russe. C'est cet engin, le Soyouz cargo appelé Progress qui va servir dans les mois à venir de remplaçant à la navette pour aller ravitailler la station spatiale, qui aurait pâti de la disparition de son ravitailleur attitré, les américains n'ayant pas réussi à mettre en place en temps et heure un remplaçant au véhicule devenu mythique. Une tare actuelle de la NASA, qu'elle tarde à compenser.

L'histoire de l'astronautique, ça pourrait se résumer en un seul mot : gabegie. C'est en effet une histoire aberrante : pour envoyer deux bonhommes sur l'astre lunaire et les faire revenir vivants, il faut mettre à la poubelle un engin de 7000 tonnes à chaque fois (carburant compris, la tôle ne pèse que 3 000 tonnes). Le poids de la fusée Saturn V, lancée seulement 13 fois. Alors, pendant les 14 années séparant le premier lancement de satellite de la dernière mission Apollo, on a eu le temps de réfléchir au problème, et de songer à des véhicules un peu plus économiques. En fait, dans l'euphorie de la conquête spatiale, on va voir très grand, en imaginant tout d'abord de pouvoir tout récupérer : l'engin lancé, mais aussi le lanceur, jusqu'ici abandonné. Le hic, c'est qu'au bout de la chaîne ce fameux véhicule spatial voit ses dimensions fixées... par les militaires, qui ont pris l'habitude depuis de lancer des satellites... énormes. On en veut pour exemple les futures générations du moment de satellites d'observation radars ou photographiques, comme les Corona (et plus tard les énormes Lacrosse, alors dans les cartons et qui seront lancés en 1988), ou le projet MOL de station accolée à une capsule Gemini, alors lancé par une Titan IIIC, une des plus puissantes fusées de l'époque.
"La réponse américaine à la menace soviétique" (celle des futures stations orbitales de type Salyout ou Mir). Les premiers cosmonautes avaient été sidérés par les détails visibles de leur cabine, et les militaires ne rêvaient plus que de ça depuis : se servir de stations en orbite pour espionner le monde entier. Un projet militaire qui sera néanmoins abandonné car trop coûteux. L'armée US, avec le projet de la navette, veut une soute, avant tout, et c'est ce qui va déterminer la taille de la navette, et rien d'autre. Résultat, si l'on veut envoyer un satellite ayant la taille d'un bus scolaire en orbite basse, avec un engin dont le porteur serait récupérable... ce porteur doit être lui-même... gigantesque ! Les projets qui vont s'échelonner de 1968 à 1971 portent donc tous la même marque de gigantisme. A vrai dire, les tous premiers projets datent de 1966 exactement, avec le "Reusable Ground Launch Vehicle Concept and Development Planning Study" décidé par James Fletcher, l'administrateur le plus dynamique qu'ait connu la NASA, quoique depuis 1958 on songeait déjà à chercher à moins gâcher de matériel.
La forme de la navette est vite cernée, ou presque, ce sera en quelque sorte un avion à aile delta avec une soute supérieure ouvrable pour la charge militaire. Pour le lanceur en revanche, on hésite devant la taille de l'engin nécessaire. Chez Rockwell, les premières propositions sont déjà conséquentes, et présentent encore parfois une aile droite, plus manipulable à basse vitesse, ou une delta. Chez Boeing, idem. Les militaires de l'USAF ont même leur projet secret... appelé Air-Launched Sortie Vehicle", ou ALSV qui ne sera montré qu'en 1979. Un Boeing 747, porteur... d'un lanceur, muni d'une navette. Difficile de faire plus compliqué comme principe de poupée russe !
Chez General Dynamics, le projet "Triamese" est aussi à base de porteur immense, compliqué par une aile pivotante à géométrie variable (la complexité inutile !). Chez McDonnell, c'est un véritable immeuble volant.. Chez Boeing, ça prend des dimensions.... aussi infernales. A force de vouloir tout récupérer, on est tombé dans la démesure totale. Ce n'est peut-être pas la bonne voie pour faire faire des économies au contribuable ! Le projet de 1970 de Boeing, en association avec Grumman prendra des dimensions étonnantes en effet. Plus tard remanié avec des boosters en supplément, pour un envol vertical un peu ridicule avec un porteur ailé. Bref, en 1971, on en est à 4 modèles de base différents à peu près : ceux de North American Rockwell, General Dynamics, McDonnell Douglas et Martin Marietta, les quatre retenus par la NASA. Mais aucun ne présente encore la configuration que l'on connaït aujourd'hui. L'engin final lancé en orbite, c'est simple doit servir à tout... ça on le sait, mais pour le moyen avec lequel on va l'expédier en orbite, on hésite encore.
On hésitera sur la nature même du lanceur, certains préconisant par mesure d'économie de coller la navette sur une fusée Saturne 1C, qui serait récupérée par des parachutes. Trop difficile à faire, de tels parachutes, et le choc dans l'eau abîmerait certainement les lourds et complexes moteurs qui ne supporteraient sans doute pas l'immersion, même quelques heures seulement. Mais les coûts annoncés à l'administration Nixon vont vite faire déchanter les politiques. Empêtrée dans une guerre de plus en plus coûteuse, l'Amérique n'a déjà plus les moyens de ses ambitions.
Alors que la conquête de la Lune est en cours, trois missions lunaires sont déjà supprimées, et les scientifiques doivent se battre auprès de Nixon pour maintenir la mission Skylab, précurseur de le future station spatiale internationale. Le Viet-Nam est le budget prioritaire, désormais, et la seule chance qui demeure est l'espoir que mettent les militaires dans les missions secrètes de la navette, qui en fera toute sa (longue) carrière, de manière fort discrète. Bref, on déchante très vite, question budget, et l'engin du futur va se retrouver être un compromis, et comme tout compromis il sera... bancal. Il faut trouver un moyen de faire baisser les premières estimations, qui fixent à plus de 10 milliards le budget initial.
Celui qui va sauver le programme chancelant, refusé tel quel au début par Nixon, c'est un ingénieur bourré de talent de la NASA, Maxime "Max" A. Faget, le designer des cabines Mercury et Gemini, qui va résoudre le problème insoluble du poids du carburant à bord d'un engin dont les moteurs complexes ne doivent plus finir au fond de l'océan. Au départ, son projet surnommé "DC-3" pour insister sur le côté pratique de l'ensemble (récupérable) était un gros porteur ailé surmonté d'une navette positionnée fort en avant. L'engin doit être posé sur l'avion porteur à l'aide de toute une machinerie. Le porteur dispose de réacteurs atmosphériques cachés dans des carénages sur les ailes pour rentrer une fois le largage fait. C'est une solution complexe et lourde. En mettant à bord d'une navette de simples tuyères alimentées par l'avion porteur devenu simple réservoir volant, la formule était trouvée : inutile de munir ce même porteur d'une dizaine de tuyères pour faire décoller la charge sur le dos. Comme la poussée initiale aurait été encore insuffisante, deux boosters récupérables, eux, accolés à ce gros bidon permettrait de soulever la masse imposante de l'ensemble et de mettre la navette en orbite : le premier étage est trouvé, exit l'usage de la Saturn 1C proposé. A partir de là, autant faire de l'avion réservoir... un simple bidon largable, et c'est ce qui sera proposé à l'administration US.
Le principe majeur de fonctionnement était trouvé : on ne récupérerait donc pas tout, mais la majeure partie d'un ensemble. Seules 29 tonnes disparaissent, le poids à vide de l'énorme réservoir central. C'était déjà nettement mieux ! Et surtout, avec ce système, on réduit de moitié la facture : on passe à 5 milliards de dollars ! En deux ans de réflexion, on est passé d'un engin de 84 m de long (276 feet) à un autre de 77 (255 ft) pour aboutir à un avion spatial à boosters de 53m, en gardant le même véhicule dans l'espace. Avec une flotte de plusieurs navettes, on pourrait même assurer 60 vols par an, assurent les ingénieurs, dans le projet initial (on verra plus tard qu'on en sera très loin de ce rythme infernal !). Un réservoir fait de tôle lègère, ne contenant aucun moteur coûteux, pouvait bien plonger à nouveau dans l'océan, pour l'occasion ! C'était ça le compromis entre l'ancienne technique et la nouvelle !
En novembre 1972, on a donc sur ce modèle déjà plus qu'une esquisse de faite : l'ensemble du projet a son design figé, il ne changera plus qu'avec quelques détails mineurs. Un réservoir moins pointu et des boosters plus gros, essentiellement. Ce fameux réservoir central sera donc perdu : arrivé au sommet de sa trajectoire, largué par la navette qui vient de le vider, il retombera en mer... et se brisera en plusieurs morceaux, pour finir par être visité comme épave par les poissons de profondeur. C'est ce principe de compromis financier avant tout qui va séduire Nixon : oublié l'imposant véhicule porteur, et son coût exorbitant : le 5 janvier 1972, maquette en main offerte par James Fletcher, Nixon signait l'accord pour la production de 5 véhicules spatiaux "réutilisables" (quatre véhicules et un d'essai : Enterprise-1976, pour les essais atmosphérique, puis Columbia-1979, Challenger -1982, Discovery-1983 et Atlantis-1985, *). Le coût de l'opération, malgré tout grimpera à 6,74 milliards de dollars de 1971 dollars, alors que le budget initialement prévu était de 5,15 milliards : chaque navette, devenue STS (pour Space Transportation System) va donc revenir grosso modo à 1 milliard de dollars ! Mais le grand mot était lancé, cette (coûteuse) navette est un investissement à long terme, qui allait révolutionner l'utilisation de l'espace en faisant baisser les coûts de chaque lancement !
Du moins, c'est ce qu'on espérait au début, grâce à un rythme élevé de rotations. Signé en 1972, le vol inaugural était prévu pour 1978 : en six ans, il fallait faire vite, car à l'époque personne ne s'était lancé dans pareille aventure. Au moment où on décide de sa construction une inconnue demeure : comment la protéger de la chaleur : on songe à un revêtement lourd, du type Inconel-X, comme celui qui revêt le X-15, au titane ou à la Mullite, une sorte de porcelaine comme celle des haut-fourneaux, découverte en 1924 et qui résiste à 1840°C, mais un autre procédé, plus léger, récemment découvert par un ingénieur de la NASA semble plus prometteur. L'idée d'un matériau ablatif, qui se désagrège progressivement en évacuant une partie de la chaleur est impossible à utiliser : il ruinerait le coefficient aérodynamique de l'appareil. Adieu les boucliers de Mercury, Gemini (en nid d'abeille), surtout celui de Gemini IX, et Apollo (XVI) qui avaient tant souffert lors de la rentrée dans l'atmosphère... adieu également le revêtement de record rose du X-15, recouvert de blanc au final pour faire moins... gay.
"Le 5 janvier 1972, Richard Nixon annonce sa décision de construire le shuttle. Le Congrès assortira ce feu vert d'une condition sévère : le budget de développement ne devra pas dépasser 5,2 milliards de dollars. La moitié du devis de l'agence américaine. "Engager un programme aussi ambitieux et risqué que la navette, avec un budget plafonné à long terme, n'augure pas bien de l'avenir." Ce constat visionnaire est daté d'octobre 1971 et signé par Alexander Flax, analyste au Pentagone et chef du comité chargé de conseiller le président sur les programmes post-Apollo. Ambitieux, le programme de navettes l'est assurément. Dès 1984, la flotte de quatre ou cinq navettes devait assurer un décollage par semaine. Un même orbiteur était censé repartir au bout de quinze jours et accomplir cent missions. Objectif : placer en orbite basse des charges utiles à un coût au kilo dix fois inférieur à celui de Saturne 5" résume fort justement Fabrice Nodé-Langlois dans Ciel et Espace (Hors-Série N°1999).
En tout cas, le choix de Nixon, même sérieusement raboté, ravit certains. Les militaires, qui, sont pleinement satisfaits. Ils tiennent leur plateforme de lancement et de récupérations de satellites (adverses ?). Le 2 décembre 1988 par exemple, Atlantis lançait un satellite Onyx (du type Lacrosse), qui défaillant, nécessitait une sortie dans l'espace... non comptabilisée officiellement. De 1982 à 1992, onze missions de ce type auront lieu. Logique, selon les historiens de la chose militaire, le design de la navette devait tout à la National Reconnaissance Office (NRO), une subdivision de la CIA, installée à Sunnyvale en Californie. Une mainmise notable, visible dans la nomination par l'armée de 13 ingénieurs spécialisés comme futurs cosmonautes deux ans avant le premier vol de navette ! Un seul sera envoyé en orbite : on les considérait alors comme "charge utile" et non comme être humain, et avec les autres cosmonautes civils les relations étaient... "spéciales", disons. A savoir plutôt tendues, l'usage du secret défense irritant les pilotes civils au plus haut point. Lors d'une mission, ce genre de cosmonaute "ravitaillera par exemple en énergie un satellite militaire" : un changement de réacteur nucléaire, sans aucun doute, fait par un sortie spatiale. Motus sur toute la ligne durant toute la mission, les échanges radios avec Houston étant tous codés, ce qui avait le don d'énerver les équipages civils comme les employés au sol de la NASA.
Lors du vol STS-51C, c'est le satellite espion Orion qui sera largué. Officiellement, la navette ne l'a jamais transporté ! Il est arrivé tout seul dans l'espace ! En novembre 1989, lors du vol STS-33 (lancé de nuit !), deuxième Orion de lancé et toujours le même mutisme de la NASA : à peine si on note "déploiement d'un satellite militaire" dans les comptes-rendus ! L'insigne de la mission (au début de ce chapitre) est plus significatif et bien plus parlant... A bord de la navette, John E. Blaha, militaire ayant grimpé en 1971 à 104 000 pieds (32 000 m) à bord d'un rarissime NF-104, le genre de prouesse pas donnée à tout le monde. Un pilote ayant sévi à Boscombe Bay, en Angleterre, ou aurait été aperçu un soir un avion espion (crashé) d'un type inconnu, et a aussi participé à un vol à bord de la station Mir. Pour la mission STS-36, la navette passera au dessus du pôle nord, une trajectoire inhabituelle chez elle.
A bord, un énorme satellite espion de près de 17 tonnes, du type KH-11 de Lockheed Martin (à bord aussi de la navette un appareil photo très haute résolution Aerolinhof, pas vraiment destiné à faire dans la carte postale !). Pour la presse, la "charge" à bord s'appellera "AFP-731", sans autre explication. L'insigne de la mission ne trompe pas, encore une fois (dès qu'on voit un aigle, o peut envisager une mission secrète). Le largage de celui qui sera surnommé "Misty" aura des ratés : les russes annonceront que le satellite s'est écrasé "quelque part" peu de jours après, et l'armée US n'y fera plus jamais référence. Il aurait coûté à lui seul entre 5 et 9,5 milliards de dollars... soit autant à lui seul que un ou deux programmes de navette ! Des satellites tellement secrets que la presse, plutôt ironique, titrera en 2004 à propos de l'un d'eux : "un satellite tellement invisible que même le sénat n'a pas pu le tuer" !
En novembre 1990, c'est le troisième Orion qui est expédié dans l'espace. Pour certains, dont des cosmonautes civils, il n'a pas été largué seul, mais avec un petit satellite capable de changer d'orbite pour aller visiter... d'autres satellites.La navette vient de lancer un objet qui signifie qu'elle ne sert plus aux miliaires, qui vont se passer progressivement de ses services en effet. En 1993, la NASA reconnaîtra même les vols de la NRO et affirmera qu'il avaient cessé. Or le 14 février 2001, nouveau coup de théâtre , lors de la sortir dans l'espace de Tom Jones et de Robert Curbeam, un cosmonaute resté à terre leur indique que selon lui ils ne sont pas en train de faire la 100 eme sortie comme annoncée, mais la 101 eme, selon son décompte personnel. On lui coupe aussitôt et autoritairement son micro : un des véhicules de sortie, l'EVA-2 vient de servir deux jours avant. Pour quoi faire, on ne le saura jamais. Mission top secrète ! S'approcher d'un satellite "ennemi" ? Des missions pour lesquels d'autres sont à l'affût : le 11 février 2010, un ingénieur de la NASA d'Orange Californie nommé Dongfan "Greg" Chung, qui avait travaillé en 1973 chez Boeing et Rockwell (racheté depuis par Boeing) était condamné à 16 ans de prison pour espionnage au profit de la Chine, alors qu'il avait pris sa retraite en 2002. En 2008, un de ses collègues, Chi Mak, en avait déjà pris pour 24 ans. Chez lui, le FBI avait retrouvé près de 250 000 pages de documents provenant de chez Boeing et Rockwell, dont une majeure partie portant... sur la navette ! Aujourd'hui, les Orion ont fait place aux Mentor, ou "Advanced Orion", lancés par la plus puissante fusée US actuelle, la Delta IV, comme l'exemplaire du 22 novembre 2010. Trop gros pour entrer dans la soute de la navette avec son antenne repliée de 100 mètres de diamètre... selon Bruce Carlson, le directeur de la NRO, c'est tout simplement "le plus grand satellite au monde"... la valse continue, sans la navette, désormais... trop petite !
Le marché de la construction de la navette était ainsi réparti sans surprises entre firmes fournissant essentiellement l'armée : North American devenu Rockwell International, gagnant de l'appel d'offre était déclaré maître d'œuvre, et octroyait à Grumman la responsabilité de la construction de l'aile delta wing, McDonnell Douglas obtenant en lot de consolation celui des tuyères de positionnement, la NASA choisissant l'année suivante Martin Marietta pour fabriquer le réservoir central et Thiokol pour les boosters à poudre (la firme en avait eu l'expérience avec ceux de la fusée Titan, qui avaient donné pleine satisfaction). Les grands perdants du contrat étaient Boeing, avec Lockheed, ce dernier arrivé quatrième. McDonnell Aircraft, arrivé troisième du concours, avait pourtant construit les capsules Mercury et Gemini capsules et Douglas Aircraft le Skylab.
Parmi les principes retenus, ces fameux boosters, soutenus dans leur chute par des parachutes, seront en effet récupérables, en mer, par des sortes de chalutiers-remorqueurs dédiés comme le Freedom Star et le Liberty Star. Des bateaux de 1100 tonnes, dotés d'un personnel de 24 hommes, chargés chacun d'aller à la pêche aux morceaux de fusée. Une pêche facile : en mer, les boosters flottent comme des bouées une fois retombés. Tous deux basés à la Cape Canaveral Air Force Station, sur la Banana River, infestée d'alligators, où a été construit un dock spécial pour remonter les deux blocs récupérés (parfois bien abîmés). Des bateaux puissants, assez voisins de ceux des gardes côtes comme l'USCGC Reliance.
Les deux navires peuvent naviguer loin, avec leurs réservoirs pour 6000 miles et des réserves pour 30 jours. Remorqueurs, ils servent aussi à transférer l'énorme réservoir central vers son pas de tir, protégé dans son hangar flottant. Dotés d'un rover, ils participeront évidemment aux recherches lors des deux catastrophes et raméneront les morceaux trouvés au fond par les plongeurs. La NASA, c'est donc aussi... des bateaux ! Le schéma global d'une mission de navette donne donc ceci : du décollage au recyclage des bouts de booster, dont l'intérieur est gratté et inspecté puis rempli à nouveau de poudre malaxée, ressemblant davantage a de l'argile qu'à autre chose. Les blocs étant ensuite empilés les uns sur les autres dans le VAB, chaque mission de STS commençant par l'empilement de leurs sections.
Et la NASA ; ce sont aussi des trains, car les éléments de boosters, découpés on le sait en plusieurs morceaux superposés séparés par des joints (c'est la rupture de l'un d'entre eux qui provoquera la catastrophe de Challenger) sont acheminés au VAB par de petites locomotives diesel. Un lancement commence toujours ainsi, par l'empilement des différents morceaux de boosters, arrivés grâce à des machines plus imposantes. Bref, l'infrastructure se mettait en place : à l'économie on réutilisait les imposants bâtiments du VAB ayant servi aux lancements des énormes Saturne 5, et comme pour elles, on faisait faire le chemin entre le "garage" et le pas de tir à un engin faramineux, un terrain de football à chenilles au nom de "crawler", capable d'acheminer à son rythme de sénateur les 7000 tonnes de la Saturn V. A bord, des moteurs électriques, alimentés par deux générateurs diesel débitant du 750 kilowatts... un monstre créé par la Marion Power Shovel Company, installée à Marion dans l'Ohio, et sorti tout droit du cerveau de l'ingénieur Philip Koehring (décédé en 1994, ici le plus grand à droite sur la photo). 45 ans après leur mise en service, ces monstres fonctionnent toujours sans anicroche, preuve de leur excellente conception de départ : le premier a fait ses premiers tours de chenille en janvier 1966 (voir ici les 3 vidéos montrant le fonctionnement, filmées en 2000 : comme le dit le pilote, tout est d'origine, seuls les patins de chenilles ont été changés) ! Et tout ça avec une incroyable précision : le "crawler", précise son pilote attitré, peut bouger sur 1/8 eme de pouce, grâce à ses 456 plaquettes de chenilles ! Vitesse maximale : 1 mile/heure. Pour aller dans la banlieue terrestre ou sur la lune, le voyage commence par des déplacements d'escargot.
La navette n'était pas apparue comme une génération spontanée : avant de la construire, on avait testé le principe de la rentrée dans l'atmosphère de deux façons : en lançant (discrètement !) des maquettes de satellites en forme de petit avion proche de la forme finale de la navette, pour étudier le meilleur revêtement possible, ou en construisant toute une série d'engins atmosphériques chargés d'étudier les derniers kilomètres avant de se poser sur une piste en dur et non plus de tomber en plein océan, suspendu à un parachute comme l'avaient fait jusqu'ici toutes les capsules américaines.
Ces engins furent pilotés par des gens qui avaient autant l'étoffe des héros que les cosmonautes, c'est pourquoi nous les saluerons demain, si vous le voulez bien... La navette devait à l'origine voler souvent : Endeavour, construite en 1991, n'aura effectué que 25 vols avant de partir à la retraite...
(*) en 1986, après l'accident de Challenger il fut décidé de construire à la place Endeavour, commencée le 29 septembre 1987 et terminée le 25 avril 1991.
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