La loi Macron, cimetière des « lanceurs d’alerte » et porte ouverte aux magouilles d’entreprises sous prétexte du « secret des affaires » ?
En ce moment, les députés examinent les divers articles de la loi de toilettage économique dite « loi Macron ». Soyons réalistes : il n'y a pas d'inconvénients rédhibitoires à ce qu'on secoue un peu le juteux cocotier des notaires, des huissiers, à ce que certains commerces ouvrent le dimanche dans la mesure où les salariés y trouvent correctement leur compte, sans pour autant en faire la norme. Cette loi n'a rien de révolutionnaire, « ce n'est pas la loi du siècle » a même dit notre François national. Pourtant elle recèle, planquée dans un amendement vicelard, un danger réel pour le droit à l'information. C'est l'article relatif à la protection du secret des affaires.
C’est un amendement du rapporteur général Richard Ferrand, qui a été glissé subrepticement après l'article 64. Amendement directement inspiré d'une proposition de loi du président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas et du président du groupe socialiste Bruno Le Roux.
Cet article pose le principe de l'interdiction de violer le secret des affaires et prévoit des peines très lourdes – de 3 jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et de 375.000 à 750.000 euros d'amende – pour toute personne qui « prend connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée au titre du secret des affaires ». Personne ne peut nier l'impératif, pour les entreprises de protéger leurs secrets de fabrication, leur stratégie marketing, leurs négociations commerciales. L'espionnage industriel est une réalité dont de nombreuses entreprises françaises ont fait les frais. Le monde des affaires n'est pas celui des bisounours comme on dit maintenant.
Une clarification des règles en la matière est donc bienvenue, d'autant plus que le droit communautaire va bientôt l'imposer (proposition de directive du 28 novembre 2013). Pour autant, les considérations économiques ne doivent pas prendre l'ascendant sur l'exigence démocratique qui impose de garantir la liberté d'expression et le droit à l'information concernant certaines pratiques douteuses de certaines entreprises ou acteurs économiques. Voir les affaires du Médiator, de l'amiante, du Crédit Lyonnais, des magouilles des multinationales au Luxembourg, etc. Or c'est ce qui risque d'arriver.
Les dispositions de cette loi destinées à contrecarrer les pratiques d'une concurrence sans scrupules ni éthique pourraient en effet être détournées pour empêcher la publication juste et légitime d'informations qui pourraient être dérangeantes... D'autant plus que c'est la valeur économique de l'information qui entre en ligne de compte plus que sa nature même, ce qui autorise les entreprises à étendre à leur guise le champ de la confidentialité d'une information, du « secret des affaires ». Dès lors la porte est ouverte à l'utilisation abusive de ces interdictions, procédures, sanctions, ceci au détriment de l'information légitime non seulement des journalistes, mais aussi des syndicalistes et des lanceurs d'alerte. Et la lourdeur des sanctions incitera évidemment ces chercheurs de vérité à...l'autocensure. « Ferme ta gueule ou je t'envoie en taule ! » Un boulevard pour toutes les magouilles. De plus, le texte de loi prévoit la saisie ou le séquestre des exemplaires d'un journal dont un article divulguerait des informations entrant dans le cadre de ce « secret des affaires ». Le champ d'application est si large et si flou que bien des articles peuvent donner lieu à une telle mesure, commercialement catastrophique pour un journal. D'où l'autocensure qui deviendra la règle. Idem pour les journaux en ligne voire les blogs.
Et puis, cerise sur le gâteau, il sera possible pour une entreprise d'exiger le huis clos pour les éventuelles audiences concernant les litiges impliquant le « secret des affaires ». Écartant ainsi les journalistes et les privant du droit légitime de rapporter le contenu de ces audiences.
« Je veux dissiper votre interrogation concernant les amendements sur le secret des affaires. Il s'agit seulement de mieux protéger nos entreprises en protégeant leur capital stratégique et en luttant contre l'espionnage industriel » a déclaré Manuel Valls lors de ses vœux à la presse.
Ben voyons ! Pouvons-nous, devons-nous lui faire confiance à ce sujet ? Pas évident.
Sources : Challenges
Illustration X – Droits réservés
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