Le Bac et la philo
Il n’y a pas à dire, la philosophie est une discipline indémodable. Elle continuera d’alimenter, pendant longtemps encore pour ne pas dire pour toujours, non seulement les conférences et les symposiums des universités, les discussions de « salonards », mais aussi les esprits encore jeunes des élèves de classe de terminale toutes filières confondues. Pour avoir été la mère de toutes les sciences, logiquement, elle aurait dû et pu disparaître il y a bien longtemps.
Mais, non !
Même si elle se fait vieille, trop vieille même, elle semble ne souffrir d’aucune pathologie de la sénescence, d’aucune tare liée à son âge extrêmement avancé. Bien au contraire, ces dernières années, elle a, du moins dans le monde occidental (1), retrouvé une seconde jeunesse. Partout, on lui voue encore, plus que jamais même, une certaine reconnaissance à tel point qu’à l’examen du baccalauréat de cette année, des philosophes d’une renommée internationale certaine ont été conviés à composer avec les candidats dans cette épreuve : la philosophie.
C’est ainsi que Jean d’Ormesson et d’autres philosophes français, non moins connus d’ailleurs, nous ont régalés, sur le Figaro littéraire de ce 14 juin, de leurs belles plumes, de leurs analyses percutantes sur des sujets aussi variés que "Toute prise de conscience est-elle libératrice ?" ou " Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ?", par exemple. Si les notes ont été honorables, excellentes même pour les uns, la copie de Jean d’Ormesson, elle, n’a pas été corrigée. Qui oserait, en effet, noter ce monument, cet "Immortel" de la philosophie ? En fait, la participation de ces philosophes à cette épreuve est purement symbolique et renseigne en quelque sorte sur l’état d’esprit des Français qui restent intimement attachés à une discipline littéraire qui a enfanté "le siècle des Lumières" et la Révolution française.
Je vous avoue ici que, la veille de cet examen, j’avais eu un pressentiment, une intuition et je n’avais pas manqué de mettre en garde mon fils qui, lui aussi, a présenté cette année son bac, de l’éventualité, de la probabilité plus que certaine que l’un de ces sujets soit à l’ordre du jour. Au bac algérien, série sciences, bien évidemment ! Et effectivement, il est tombé. Mais comme il y avait le choix entre trois sujets, mon fils a préféré discourir sur le "Comment se constitue la Nation ?". Heureusement pour lui, il n’a pas bâclé son sujet. Il a su prendre le taureau par les cornes et, sans être personnellement philosophe, je crois qu’il mérite au moins un 10/20. Ce qui est déjà pas mal !
Fermons cette parenthèse pour ne pas donner l’impression que, par ce papier, je suis entrain de louer les capacités intellectuelles d’un élève de terminale, qui plus est mon fils.
Il est vrai que pour un scientifique, la philosophie est considérée comme une matière secondaire. Et, une fois le bac obtenu, elle est pratiquement jetée aux oubliettes à tel point que nos connaissances en cette matière se limitent à la définition, très éculée maintenant, du mot "philosophie" : l’amour de la sagesse, selon les anciens Grecs. Pas plus. Par honnêteté intellectuelle, je suis, en ce qui me concerne, forcé de ne pas nier, de reconnaître cette évidence même : je ne dispose ni de l’un ni de l’autre, ni amour ni sagesse et encore moins des deux à la fois, l’amour de la sagesse. Dire le contraire serait trop prétentieux de ma part.
Cela fait maintenant trente ans que j’ai eu mon bac. Depuis, je n’ai lu pratiquement aucune œuvre philosophique : ni Kant ni Hegel ni "Amar Bouzoir". Attention ! Ne tombez pas dans le piège. Le dernier nom cité n’est ni philosophe ni quoi que ce soit, c’est une expression purement algérienne qui veut dire tout simplement... personne !
Quant à Marx, il y a bien longtemps maintenant qu’il a perdu son "capital" sympathie, son aura d’estime auprès de nous, et le nouvelle génération est beaucoup plus attirée par les "Mac Do" et le modèle américain que par les grandes idées du marxisme d’établir une société sans classes. Et, de toute façon, les marxistes eux-mêmes se sont progressivement détournés du marxisme. Et ceci bien avant la chute du mur de Berlin, me semble-t-il. Car, je me rappelle que, déjà, dans les années 1980, années pendant lesquelles j’ai eu l’occasion à maintes reprises de visiter un certain nombre de pays qui faisaient partie de ce qu’on appelait alors le" bloc de l’Est", il y avait quelque chose de difficile à définir dans l’air. Que ce soit en Hongrie ou en Tchécoslovaquie, il apparaissait au visiteur attentif, au visiteur averti, même à un jeune homme de mon âge d’alors qui n’était attiré que par les belles filles et les sorties nocturnes dans des boîtes de nuit huppées, que quelque chose se tramait. On avait l’impression que les gens avaient hâte de se débarrasser de cette idéologie qui exerçait une chape de plomb sur eux. Vous imaginez ? Les jeunes ne pouvaient même pas sortir à l’étranger et ils nous enviaient, nous jeunes Algériens, Français, Italiens ou autres auxquels aucune frontière de l’Europe n’était hermétiquement fermée.
Avec la chute du mur de Berlin, en 1989, c’est tout un pan de l’Histoire qui est tombé. Pas dans les oubliettes, certes. Mais, le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde n’est plus comme avant. Il est dominé par une seule puissance qui fait le beau et le mauvais temps où bon lui semble.
Ainsi donc, Marx est tombé de son piédestal et le coup qui lui a été fatal est venu de son fief même, de la grande URSS de Gorbatchev et de son concept de Glasnost et de perestroïka.
Depuis, bon nombre de ces pays de l’Est ont rejoint la communauté européenne. Mais est-ce suffisant pour construire une nation européenne ? Les peuples d’Europe sont-ils vraiment liés par une Histoire commune ? Aspirent-ils vraiment à un devenir commun quand, par exemple, les Français accusent les plombiers polonais de venir manger leur pain ?
A mon fils, il a été demandé, en philosophie "comment se construit la nation ?". Il a dit et écrit ce qu’il a pu dire et écrire. Peut-être bien. Peut-être moins bien que ce que je pense. En ce qui me concerne, j’ai préféré emprunter le chemin inverse et parler plutôt de la déconstruction d’une nation, l’URSS pour ne pas la nommer, sous les effets conjugués de la bêtise humaine interne et du travail de sape des "Think tanks" des néoconservateurs américains. L’ours est mort. On peut vendre sa peau maintenant, pense-t-on. Mais, si l’ours n’est que blessé ? Ne court-on pas le risque de le voir réagir avec plus de détermination, plus de hardiesse ? C’est, au fond, ce que tout le monde, du moins ceux qui ont une dent contre l’Amérique arrogante de Bush, attend(ent) avec impatience notamment avec cette histoire de "boucliers antimissiles" que l’oncle Sam veut implanter à quelques lieues du Kremlin.
En effet, la Russie se sent de plus en plus isolée, de plus en plus menacée par l’installation pratiquement à ses frontières d’ogives nucléaires. Pourtant, l’on nous dit bien que la "guerre froide est bien finie" (2), que ces missiles sont orientés vers un autre ennemi : l’Iran. Pourtant tout le monde sait que ce pays, même gouverné par des Mollahs qui ne craignent que Dieu, est incapable, matériellement, de s’attaquer à l’Europe et encore moins aux Etats-Unis. Qu’il est encore loin d’avoir l’arme de dissuasion par excellence, la capacité nucléaire suffisante pour se lancer dans une aventure aux lendemains incertains pour l’humanité entière.
(1) Personnellement, je crois dur comme fer que si le monde musulman se débat depuis plusieurs décennies maintenant dans des problèmes inextricables, c’est parce qu’il n’a pas accordé à la philosophie l’importance qu’elle mérite.
(2) De la bouche même de Bush lors du dernier G 8 .
32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON