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Le meilleur des mondes

Nos « maladies mentales toujours plus fréquentes » peuvent trouver leur expression dans les symptômes des névroses, très voyants et des plus pénibles. Mais, « gardons-nous », écrit le Dr Fromm (ndla : Erich Fromm, philosophe et psychiatre, auteur de nombreux essais sociaux et grand pourfendeur du capitalisme, mais aussi du stalinisme, et ce dès la fin des années 1930), « de définir l'hygiène mentale comme la prévention des symptômes. Ces derniers ne sont pas nos ennemis, mais nos amis ; là où ils sont, il y a conflit et un conflit indique toujours que les forces de vie qui luttent pour l'harmonisation et le bonheur résistent encore ». Les victimes vraiment sans espoir se trouvent parmi ceux qui semblent les plus normaux. Pour beaucoup d'entre eux, c'est « parce qu'ils sont si bien adaptés à notre mode d'existence, parce que la voix humaine a été réduite au silence si tôt dans leur vie, qu'ils ne se débattent même pas, ni ne souffrent et ne présentent pas de symptômes comme le font les névrosés ». Ils sont normaux non pas au sens que l'on pourrait appeler absolu du terme, mais seulement par rapport à une société profondément anormale et c'est la perfection de leur adaptation à celle-ci qui donne la mesure de leur déséquilibre mental. Ces millions d'anormalement normaux vivent sans histoires dans une société dont ils ne s'accommoderaient pas s'ils étaient pleinement humains et s'accrochent encore à « l'illusion de l'individualité », mais en fait, ils ont été dans une large mesure dépersonnalisés. Leur conformité évolue vers l'uniformité. Mais « l'uniformité est incompatible avec la liberté, de même qu'avec la santé mentale... L'homme n'est pas fait pour être un automate et s'il en devient un, le fondement de son équilibre mental est détruit ». ALDOUS HUXLEY, Retour au meilleur des mondes

Une citation d'Huxley qui résume, à elle seule, le mode de pensée de ceux qui, aujourd'hui, se sont laissé persuadé que le monde dans lequel nous vivons tendrait vers un idéal humaniste que nous toucherions enfin du doigt. Nous serions, nous qui pensons que cet idéal est autre que ce qu'on nous présente, névrosés, mais Huxley, dans ses mots, définit parfaitement la réalité sociophilosophique du monde actuel !

Il est même hallucinant de constater que son livre phare, le terrifiant « meilleur des mondes », comparé à la société actuelle, montre même notre mode de vie tel qu'il est réellement ! Nous vivons dans une société dans laquelle les êtres ont des rapports non pas en tant que personnalités totales, mais en tant que personnifications de structures économiques ou, quand ils ne sont pas au travail, d'irresponsables à la recherche de distractions. Soumis à ce genre de vie, l'individu tend à se sentir seul et insignifiant, son existence cesse d'avoir le moindre sens, la moindre importance. La liberté tant vantée par le capitalisme n'est, en fait, qu'une déshumanisation mise au service d'une minorité afin de faire prospérer, au nom d'un « idéal moyenniste », le système lui-même, au mépris du bien être réel de tous.

L'individu est mis au service de la société là où c'est la société qui devrait être au service de l'individu et permettre un respect de ses libertés. On en arrive à un paradoxe consistant à réduire les libertés, à enfermer l'individu dans un mode de pensée unique, « moyen », quand on ne l'enferme pas physiquement, pour officiellement « protéger la liberté » !

Grâce au contrôle des pensées, à la terreur constamment martelée pour maintenir l'individu dans un état de soumission voulu, nous sommes aujourd'hui entré dans la plus parfaite des dictatures, une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader, dont ils ne songeraient même pas à renverser les tyrans. système d'esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l'amour de leur servitude.

Les ressorts montrés par Huxley dans son livre sont à comparer à la réalité. Le cloisonnement qu'il y décrit est à comparer avec celui qui a cours dans notre réalité, et la commercialisation de l'art, de la science, au nom d'une uniformisation de la société, permettent eux aussi d'éliminer les particularités natives d'un individu pour faire de lui un modèle d'intégration, d'un loyalisme intense à l'égard du groupe et d'un inlassable désir de se subordonner, d'être accepté.

« Le monde est stable à présent. Les gens sont heureux ; ils obtiennent ce qu'ils veulent, et ils ne veulent jamais ce qu'ils ne peuvent obtenir. (...) Ils sont conditionnés de telle sorte que, pratiquement, ils ne peuvent s'empêcher de se conduire comme ils le doivent.  »

Ainsi, on pousse à la sectorisation de la société, telle que décrite dans « le meilleur des mondes », à une division de classe, mais aussi d'individus, enfermant chacun dans un modèle social bien définit et le poussant non seulement à envier la classe supérieure (ce que définit parfaitement Hervé Kempf dans « comment les riches détruisent la planète »), mais aussi à rejeter et détester les classes qui lui sont inférieures, et à rejeter sur elles la responsabilité des dysfonctionnements d'une société dans son entier, alors que le maintien de ces classes n'est pas le fait d'une nécessité sociale, mais uniquement d'une nécessité vitale pour le système lui permettant de reporter sur l'autre, sur l'individu, la responsabilité de décisions destructrices.

Ainsi, si le maintien d'une protection sociale est remis en cause, ce n'est pas par volonté délibérée de détruire cette protection et d'en récupérer les bénéfices, non, mais uniquement, dans le discours officiel, parce que les abus des classes inférieures sont inacceptables...

La comparaison avec le livre d'Huxley va même jusqu'au plus abominable, à ce cloisonnement permettant de fractionner la société jusqu'à l'extrême, jusqu'au plus pauvre des pauvres, jusqu'au sauvage écarté de nos murs et laissé dans sa « réserve », tout juste bon à offrir le spectacle de la misère extrême aux plus riches, qui voyagent chez les pauvres pour apprécier encore plus leur confort, sans jamais remettre rien en question, mais aussi aux autres, à peine plus enviables que le pauvre lui-même, à qui on fait croire que son sort n'est pas si mauvais, et qu'il se doit de protéger les plus riches pour maintenir le peu qu'il a.

« La propagande pour une action dictée par des impulsions plus basses que l'intérêt (commun) présente des preuves forgées, falsifiées, ou tronquées, évite les arguments logiques et cherche à influencer ses victimes par la simple répétition de slogans, la furieuse dénonciation de boucs émissaires étrangers ou nationaux, et l'association machiavélique des passions les plus viles aux idéaux les plus élevés, si bien que des atrocités en arrivent à être commises »

« Dans leur propagande, les dictateurs contemporains s'en remettent le plus souvent à la répétition, à la suppression et à la rationalisation répétition de slogans qu'ils veulent faire accepter pour vrais, suppression de faits qu'ils veulent laisser ignorer, déchaînement et rationalisation de passions qui peuvent être utilisées dans l'intérêt du Parti ou de l'Etat. L'art et la science de la manipulation en venant à être mieux connus, les dictateurs de l'avenir apprendront sans aucun doute à combiner ces procédés avec la distraction ininterrompue qui, en Occident, menace actuellement de submerger sous un océan d'inconséquence la propagande rationnelle indispensable au maintien de la liberté individuelle et à la survivance des institutions démocratiques. »

La propagande est portée par nos médias, par le spectacle qu'on appelle « information » dans lequel un enfant de 6 ans qui balance un seau de peinture est qualifié de « voyou », de « sauvage » et auquel on colle des termes tels ceux de terrorisme, de violence, de saccage et de vandalisme, lui prêtant un équilibre mental qu'il est loin d'avoir atteint à cet âge. Et pourtant, dans ce cas, comme dans bien d'autres, ça marche ! Et les réactions outragées face à un môme ne comprenant pas plus son geste que ne le comprendrait un autre gamin du même âge coloriant les murs de nos maisons au feutre, servent une politique sécuritaire totalement irrationnelle.

Cette propagande est de même évidente quand des populations entières sont victimes d'amalgames, de rejet, et qu'on leur fait porter, pour satisfaire une réactivité épidermique, le poids de la responsabilité de la misère qu'ils vivent. Je parle, bien entendu, des Rroms...

« La vérité est une menace, et la science est un danger public. Nous sommes obligés de la tenir soigneusement enchainée et muselée. (...) Elle nous a donné l'équilibre le plus stable de l'histoire. Mais nous ne pouvons pas permettre à la science de défaire ce qu'elle a accompli. Voila pourquoi nous limitons avec tant de soins le champ de ses recherches. Nous ne lui permettons de s'occuper que des problèmes les plus immédiats du moment. Toutes les autres recherches sont soigneusement découragées »

Ceux qui restent persuadés que la science permettrait de dépasser cet état et d'échapper au « meilleur des mondes » seraient avisés d'observer l'application qui est faite des découvertes scientifiques. Dans leur totalité, ces découvertes ne servent, en fait, que le consumérisme, que le commerce, et pas le bien être de tous. Elles ne sont plus que le moyen de développer, comme le prévoyait Huxley, le maintien du système.

Les moyens de transport ne servent qu'à vendre des moyens de transport, et à augmenter encore plus la disponibilité physique de l'individu envers la société, les arts, ou ce qui pouvait être considéré comme tel est, maintenant, de l'aveu même de ceux qui les dirigent, le moyen d'offrir au commerce du temps de cerveau disponible, la santé même n'est qu'un moyen de favoriser les bénéfices et la puissance de ceux qui, déjà, la détiennent, mais sont refusés à ceux dont ces puissants n'ont pas besoin...

Tout, dans « le meilleur des mondes » trouve son équivalent dans notre société actuelle...

Reviens, Huxley, ils sont devenus fous, ils ont fait de ton roman un programme social !


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11 réactions à cet article    


  • Gollum Gollum 10 novembre 2012 13:03

    Bien d’accord avec ce constat impitoyable.. Chaque « nouveauté » rend esclaves un bon paquet de gens.. 


    Les téléphones portables qui rendent nos ados complètement accros aux SMS. (que les parents payent, même les plus pauvres et surtout les plus pauvres..). ou qui permet aux cadres surchargés d’être joignables n’importe où, même en vacances..

    De fait le monde du travail envahit de plus en plus la sphère privée grâce à tous ces gadgets sur lesquels les gens se précipitent..

    Quant à Facebook c’est la mise à disposition de tout un chacun de la vie privée des gens.. Idem pour Googlearth où votre propriété privée est accessible à n’importe qui et pas forcément à des gens recommandables... 

    Y a pas à dire on vit une époque formidable..

    • médy... médy... 10 novembre 2012 16:31

      Et Agoravox ?


    • Gollum Gollum 10 novembre 2012 17:24

      AgoraVox ça permet de repérer toutes les têtes de lard comme vous et moi qui font de l’insoumission.. Dites vous bien que vous êtes déjà sous surveillance des RG. smiley


      On s’est fait piéger comme des débutants.. smiley

    • médy... médy... 10 novembre 2012 19:11

      Et si je suis moi-même le RG qui me surveille ? smiley


    • herbe herbe 10 novembre 2012 14:30

      Et pas que Huxley, La Boétie etc....

      Comme a dit le Sage, rien de nouveau sur le soleil...

      Et dire que certains s’émeuvent que certains peuples comme les mayas aient pu tenter d’imaginer et de gérer des cycles temporels aussi long...en fait facile avec tant d’inertie et de répétitions en mode Sisyphe...
      L’histoire a plus que jamais tendance à begayer...

      • easy easy 10 novembre 2012 16:05

        Le constat d’Huxley est valide mais incomplet. Parce qu’il est incomplet, parce qu’il ne montre que les perversions de notre société, il offre un boulevard à ceux qui fantasment d’une révolution.

        Or avant de faire une révolution, il faut faire un bilan complet de la situation actuelle. Il faut compléter ce que Huxley n’a pas dit.
        Si l’on ne fait pas le bilan complet, si l’on n’examine pas ce qu’il en serait sans ce panurgisme, on va en un éclair à croire qu’on peut conserver le concept de société mais l’orienter différemment pour aboutir au bonheur. Ce que s’empressent de faire les révolutionnaires en herbe.

        A quoi sert le fait de vivre en société ?
        Il y a deux millions de réponses à cette question puisque nous vivons en société depuis des millénaires et que nous avons tout bâti sur ce principe. (Il y a par exemple le fait de la spécialisation : La vie en société permettrait l’optimisation des compétences de chacun)
        Il ne faut pas se perdre à examiner ces deux millions de réponses car elles sont filles de la société et on virerait alors forcément au sophisme ou à l’ouroboros.
         
        Il faut essayer de trouver la cause première. Il faut essayer de trouver cette cause qui nous a conduits à accepter de vivre comme des ’moutons’ (à quelques éclats d’humeur et suicides près)

        Qu’est-ce qui peut y avoir chez l’homme non socialisé de si effrayant ou repoussant que nous ayons convenu d’un modus vivendi de ’moutons’ ?

        Probablement le cannibalisme.

        Je ne vais pas exploser ici les arguments que j’ai trouvés en ce sens mais vous inviter seulement à partir de ce fait comme postulat. D’autant que s’il n’est pas premier, il n’est pas loin derrière.

        Il a fallu trouver le moyen de parvenir à ne plus avoir une peur énorme des dents de nos congénères, il nous a fallu inventer le sourire.

        Et il nous a fallu détourner notre cannibalisme primaire en un cannibalisme secondaire puis tertiaire.
        La classification des secteurs d’activités humaines en secteur primaire, secteur secondaire et secteur tertiaire, traduit le fait que nous nous sommes mis à pratiquer une cannibalisation indirecte et de plus en plus indirecte.
        Ce n’est plus la viande de nos congénères que nous visons mais, comme pour nos chevaux, leur travail.


        Pourquoi manger cet homme alors que je peux en faire le porcher qui me livrera de bonnes saucisses ?


        Le jeu social consiste à cannibaliser l’autre en ce qu’il accepte de se faire croquer.

        Comme chacun préfère se faire croquer son travail que sa vie, ce jeu arrange tout le monde. Et voilà l’être humain devenu premier être vivant à pratiquer l’échange de nourritures (posées en tiers car on n’offre pas son bras à manger), de productions (posées en tiers car on n’offre pas ses productions corporelles à consommer. Encore qu’il y ait des exceptions, tel le sang et certains organes désormais).

         
        Il va de soi que le porcher veut bien se faire croquer son boulot à condition que le forgeron accepte de se faire croquer lui aussi son boulot.
        On convient assez aisément de ça.
        Alors on passe au troc et si de temps en temps il y en a un d’entre nous qui préfère croquer notre viande, nous, les échangistes-tiersistes, nous convenons de le pendre.
        Nous voilà devenus commerçants.
        Même les dealers, qui sont souvent des jeunes, pratiquent ce qui est devenu un réflexe des plus basiques et sont des commerçants.

        Une fois le commerce, le troc local-local établi, arrive la notion de commerce distant.
        Là on n’est plus dans l’échange entre voisins de village, on est dans l’échange avec des gens ramenant des marchandises venant de loin.
        Surgit alors l’intermédiaire.
        Ce n’est plus du troc entre celui qui propose des carottes et celui qui propose des cochons, tout ça produit dans le village. C’est du troc par personne interposée où l’intermédiaire fait son affaire des litiges qu’il a eu avec son fournisseur. Autrement dit, chacun du village peut acheter au marchand itinérant des produits qu’il a obtenus en volant, en tuant, en pillant quelqu’un au lointain.
        Ce pillé, ce tué, ce volé au lointain, chacun ici s’en fout.
        Chacun peut subodorer que l’intermédiaire a pillé mais ici, entre nous, gens de ce village, on n’en a vraiment rien à faire. Et nous voilà à échanger avec un type qui a pourtant abusé de quelqu’un hors notre vue.


        Ce principe du commerce à cloisons se développe et on en arrive à la situation actuelle où chacun participe à un jeu où il y a quelques échanges honnêtes et équitables mais aussi énormément d’abus commis envers quelqu’un qu’on ne voit pas. Chacun de nous devient un des marchands intermédiaires d’une chaîne de production parfois fort longue et chacun de nous participe au cloisonnement du point de vue de l’équité.
        Il se produit des abus, chacun en subi mais chacun cloisonne, chacun ment et rend le procès global impossible.
        Nous fonctionnons donc au forfait. Nous nous contentons de ce forfait gains-pertes dans lequel accepter de se faire croquer notre travail, nous évite de nous faire bouffer en pot-au-feu.

        Afin de consacrer notre renoncement au cannibalisme originel, nous traitons les cadavres de nos morts de sorte à ce qu’ils ne puissent être mangés.

        Ce jeu de l’échange avec cloisonnements cachotiers (Il y a 10 milliards d’échanges marchands par jour sur Terre, il n’y en a pas dix qui se passent en toute transparence « Voilà à qui je l’ai acheté, à tel endroit, à tel prix ») permet à chacun de cannibaliser des autres de manière moins radicale et plus personne ne craint d’être dévoré. 

        Alors moutons ? 
        Non, intermédiaires de commerce se prétendant herbivores, c’est cela que nous sommes devenus.
        En tant qu’intermédiaires de commerce de ce jeu néo cannibalisme, nous mentons tous, nous cloisonnons tous, et c’est cette hypocrisie commune, cette connivence néo cannibaliste qui nous donne des allures de penser tous pareillement.
        C’est la raison pour laquelle depuis le temps que nous nous faisons les uns les autres traiter de moutons, nous persistons « Quoi ? Moi, cannibale ? Tu déconnes Léon ». Personne ne veut promouvoir la fin de l’homme herbivore car ce serait le retour à l’homme cannibale.

         
        Etant entendu que comme dans tout jeu de société, il y en, a qui réussissent mieux que d’autres. Ca fait les riches, ça fait les pauvres.




        Aucune révolution qui conserverait le principe social ne changera cet état de fait.

        Il faudrait revenir au strict échange de source à source et en dyade ’’Toi, Moi, personne d’autre dans le coup« (comme cela se passait dans une relation entre amoureux du début du Monde) pour éviter le cannibalisme primaire et aussi le néo cannibalisme.
        Il faudrait en revenir aux temps où aucun commerce ne se faisait sur un principe de lointain. Il faudrait revenir en arrière de 10 000 ans, au temps des cavernes. (Les Gaulois, les Celtes, pratiquaient déjà le commerce au-delà des collines. Ils pouvaient déjà vendre ce qu’ils avaient volé)
        Mais ce retour en arrière, s’il est faisable un jour, une semaine, ne peut pas perdurer. On reviendra très vite au commerce polygonal. Nous avons trop besoin du tiers pour dissimuler notre néo cannibalisme.

        Dans le cannibalisme, il n’y a que le dévoreur et le dévoré, rien en tiers.
        Dans l’échange, il y a apparition de l’élément tiers. »Si tu ne me manges pas, je te donnes ça"

        Ce ça est l’élément qui déboule en tiers dans nos relations.

        (Seule les relations sexuelles et mère-enfant restent strictement dyades, encore que l’argent ou quelque autre argument apparaisse parfois en élément tiers)




        Nous conviendrions d’être, ne serait-ce qu’à 10% cannibales, nous accepterions davantage qu’un type qui nous propose une bague de fiançaille nous avoue que l’or provient d’un néo cannibalisme. Or nous le l’acceptons pas ; surtout pas devant la belle à qui nous offrons cette merveille. Nous exigeons que le vendeur nous raconte une ontologie où personne n’a été abusé. De même quand nous offrons à notre belle un repas au Grand Véfour, nous refusons que le maître d’hötel nous raconte ce que l’oie a enduré pour aboutir à ce foie gras. C’est ainsi pour tout ce que nous achetons, y compris pour nous-mêmes.


        Détails :

        Quand un gamin est grondé par son parent, il se défend en invoquant un troisième élément qui n’est pas là, sur place, qui est quelque part au-delà des collines et qui est un élément agissant, une sorte de Personne.
        Un procès, une dispute, entre deux personnes passe très vite à un procès à plusieurs. L’utilisation d’un tiers (sous mille formes, dont les formes On, Il, Dieu) est inévitable. 
        C’est ce qui fait qu’en France en tous cas, les verbes se conjuguent certes en Je et en Tu mais aussi en Il, en Nous, en Vous et en Ils. (Le plussage, le moinsage d’une discussion par des tiers en est un des avatars)

        Et la notion de Justice émane toujours d’un jeu à plus de deux.
        Vous réclamez plus de Justice, alors vous réclamez du commerce à plus de deux.
        Or le premier nerf des condamnations c’est le cloisonnement. On refuse que le condamné soit au contact des siens. Ainsi cloisonné, isolé, On peut abuser de lui, bouffer tout ce qu’il est possible de bouffer de lui. La Justice avec les violences qu’elle fait subir aux condamnés, sous ses airs de transparence, hyper cloisonne, met au secret et nous renvoie au plus près du cannibalisme primaire


        • médy... médy... 10 novembre 2012 16:31

          "Il faut essayer de trouver la cause première. Il faut essayer de trouver cette cause qui nous a conduits à accepter de vivre comme des ’moutons’ (à quelques éclats d’humeur et suicides près)

          Qu’est-ce qui peut y avoir chez l’homme non socialisé de si effrayant ou repoussant que nous ayons convenu d’un modus vivendi de ’moutons’ ?
          « 

          Heu... que fais-tu des sociétés où le cannibalisme ritualisé est ouvertement pratiqué, et sert même de socle à l’organisation sociale ? Simple exemple, les Aztèques, un autre plus proche, les Celtes. Par contre je suis d’accord sur le fait que le contrôle de la violence joue un rôle important dans la construction des rapports sociaux.

          Les grands bourgeois sont ceux dont le »cannibalisme tertiaire" (j’aime bien ton expression) est le plus élevé, et c’est dans cette classe que l’on trouve les techniques de contrôle de la violence primaire les plus raffinées.

          As-tu lu René Girard, l’anthropologue du sacrifice ? Je pense que ses arguments principaux sont si simples et intéressants qu’ils devraient vraiment servir à la réflexion sur le social.


        • easy easy 10 novembre 2012 17:42


          Entre Europe et Chine, nous avons eu l’idée de développer fortement le commerce à distance, donc le néo cannibalisme qui aura permis de remplacer le cannibalisme. Mais imaginons bien les énormes risques que prenaient les marchands, y compris entre Paris et Meaux (Forêt de Bondy)
          Ce commerce tiercé ne s’est pas développé un un jour et il est longtemps resté des pratiques cannibales, même ici

          Que ce soit le cannibalisme résiduel par ici ou celui des Amériques ou encore d’ailleurs, il fallait, afin de contourner le risque de se faire bouffer par son voisin, le conditionner.
          Une des premières conditions pour bouffer quelqu’un, la plus basique, consistait à bouffer ceux des autres bleds, pas ceux de notre village. On pourrait même dire « On mange ceux qui ne parlent pas notre langue ». Fondements du racisme ou de la xènophobie.

          Plus les gens se sont nationalisés, plus la notion d’ennemis de bleds voisins s’est estompée, plus il a fallu inventer des conditions d’exception. On pouvait éventuellement bouffer des gens de notre village à condition que ...Lesquelles conditions étaient appréciées par la communauté.

          C’est cette nécessaire complication dans les conditions qui aura rendu les actes de cannibalisme de plus en plus transcendants. On finissait par ne plus manger un type pour se nourrir mais pour prendre son énergie, son courage, sa force, sa valeur. Au point que les Jivaros ne tuaient plus que pour piquer les têtes brandies en trophées, de même que les Peaux-Rouges avec leurs scalps) 


          Pas question de vivre les uns sur les autres si chacun peut bouffer son voisin sans conditions.
           


          Quand ils partaient dans le grand-nord, les trappeurs du genre John Jacob Astor escomptaient tuer des animaux à fourrure eux-mêmes.
          Mais les Indiens voulaient prélever leur scalp.
          Nos trappeurs ont donc dû éveiller les Indiens au commerce tiercé "Ramenez-nous des peaux et nous vous livrerons des fusils, de l’alcool.
          Pour ces trappeur plutôt négociants, une fois leur scalp sauvé, le problème consistait à fournir assez d’alcool mais pas trop car un Peau-Rouge ivrogne ne parvient plus à ramener de peaux.


          Alors qu’il n’y avait que 1000 km entre la source d’approvisionnement et le point de vente, ce commerce avec cloisonnement a été si lucratif qu’en dix ans JJ Astor est devenu millionnaire.



        • médy... médy... 10 novembre 2012 19:09

          Ah oui, mes excuses j’avais oublié une partie de citation :

          "Qu’est-ce qui peut y avoir chez l’homme non socialisé de si effrayant ou repoussant que nous ayons convenu d’un modus vivendi de ’moutons’ ?

          Probablement le cannibalisme.« 

          Je pinaille c’est vrai mais il est toujours bien d’apporter des nuances, des précisions, même si je comprends dans le fond ton propos.

          En plus, qu’entends-tu par »homme non socialisé ?« (héhé) ça doit être très difficile voir impossible d’en trouver car même les hominidés et les animaux en général sont socialisés !

          Pour en revenir à ta théorie, je crois que tout le monde n’est pas effrayé d’être un cannibale ! Le démontre la grande quantité de snuff movies, d’oeuvres cinématographiques et de jeux vidéos qui permettent au spectateur d’accomplir lui même ce cannibalisme primaire, en tuant ou torturant la victime. Ces spectateurs/joueurs disent ensuite que le cerveau fait la différence entre le réel/virtuel mais d’après mon expérience personnelle c’est tout à fait faux ! J’ai regardé il y peu  »Funny games«  de Michael Haneke, j’étais mal à l’aise et j’ai du faire un effort conscient pour voir la fiction et les personnages et ainsi diminuer le mal-être, ce que le spectateur moyen ne fait pas devant un film gore... Un autre film excellent qui aborde la centralité de l’usage de la victime dans la société humaine est  »Srpski Film« . Ou  »les 120 jours de Sodome«  de Pasolini, n’est-ce pas ?

          C’est pour cela que j’aime la vision Girardienne du sacrifice, bien que le vénérable anthropologue qui siège désormais à l’Académie française n’accorde pas une permanence de ce mécanisme de gestion de la violence dans les sociétés modernes. Or selon moi il est même omniprésent ! Dans les exemples de »sacrifice virtuel« cités plus haut, dans les nouvelles de crimes, de guerres et d’attentats que l’on consomme tous les jours ! Si ça continue dans ce sens, on va vers une décomplexion des rapports bourreau/victime, puisque la raison économique primera sur tout droit humain.

          Et de cela, de ce sadisme essentiellement nécessaire, »Orwell" ou Huxley en parlent peu. C’est un peu comme ce que Girard énonce, à savoir que les écrivains ont de l’avance sur les anthropologues et les psychanalystes pour ce qui touche à l’humain. Maintenant ce sont les cinéastes qui ont de l’avance sur les écrivains !


        • easy easy 11 novembre 2012 13:44

          «  »En plus, qu’entends-tu par « homme non socialisé ? » (héhé) ça doit être très difficile voir impossible d’en trouver car même les hominidés et les animaux en général sont socialisés !«  »« 

          Socialisé ?
          C’est concevoir le tiers et lui accorder importance.

          Posons que le tigre ne soit pas socialisé. Il ne voit que lui et un autre, lui et des autres. Qui ressortent proies, danger, neutres)
          Posons que le lion soit socialisé. Il se voit, il voit un autre, il voit les autres (comme le tigre). Mais ne considère pas que les interactions entre ces autres et lui, il considère aussi les interactions entre ces autres entre eux. »Cette femelle de mon groupe pourrait copuler avec cet autre mâle là-bas, au loin« 
          Le lion agit donc sur ces deux autres, la lionne et l’autre lion au loin, de sorte que...

          Le tigre n’aurait que des relations directes, dyadistes en Toi-Moi. Le lion aurait des relations d’allure directes mais finalement toujours indirectes, même quand il copule avec une lionne, tant la composante indirecte devient omniprésente. Il en vient alors à chasser pour un autre.

          En fait, le tigre a tout de même des visions tiersistes »Je défends mon Territoire de l’envie d’un Autre de le monopoliser« 

          Chez toutes les bestioles, il y aurait une part de tiersage qui interviendrait par exemple au niveau de l’enfantement. »Je ramène Poisson pour mon Petit« 
          Mais paradoxalement peut-être, chez les mammifères qui allaitent, le tiers qu’est le Poisson disparaît »Je nourris mon Petit« 

          Le tiersage des pensées est fréquent mais pas systématique.

          Chez les zèbres, qui ne peuvent pas du tout se manger entre eux, le tiersage semble ne pas exister  »Je copule avec Toi«    »Je suis (du verbe suivre) le Troupeau« . Ils vivent en troupeau mais ce n’est pas de la socialisation de même que les sardines qui vivent en bandes. Alors qu’ils n’ont de visions que dyadiste, ils ne craignent rien de leurs congénères, ils ne peuvent pas se cannibaliser. (Les sardines, comme d’autres bestioles vivant en bandes, peuvent se cannibaliser les oeufs ou alevins mais ça les indiffère puisqu’ils n’ont pas d’attachements filiaux)
          Les hyménoptères, très socialisées, sont parfaitement capables de se nourrir de leurs congénères. Il leur faut sortir de la vision dyadiste pour protéger leurs larves trop fixes et trop longtemps vulnérables. La société leur devient essentielle. 

          Les singes, capables de se nourrir de cannibalisme, mais capables de se nourrir de végétaux et de larves, ont également intérêt à concevoir Lui, le groupe. 
          Les Homminidés, pareil.

          Un être humain non socialisé serait quelqu’un qui ne concevrait que »Moi-Toi« . Il pourrait aisément passer cannibale. Ce qui est stressant. Les êtres humains sont donc tous socialisés, à quelques exceptions près. Ils ont tous les moments à vision plutpot dyadiste, par exemple quand ils copulent et allaitent mais le fond tiers est toujours à leur esprit. Ils sont donc jaloux.

          Et le fait de parler, d’utiliser une langue, démontre déjà qu’un être humain pratique le tiersage et socialise. »J’utilise la Langue, pour agir sur Toi« 
          Plus un individu parle, plus il témoigne de sa socialisation (Et Hitler était très socialisé)


           »«  »« Or selon moi il est même omniprésent ! Dans les exemples de »sacrifice virtuel« cités plus haut, dans les nouvelles de crimes, de guerres et d’attentats que l’on consomme tous les jours ! »«  »« 

          Je partage cet avis.




           »«  » Si ça continue dans ce sens, on va vers une décomplexion des rapports bourreau/victime, puisque la raison économique primera sur tout droit humain.«  »« 

          Les critères qui font un bourreau et une victime ont changé, changent et changeront mais tant qu’il y aura une vision tiercée, il y aura, en plus de Toi et Moi un Tiers très gros, très puissant puisque c’est tous les autres et il y aura donc un Jugement au-delà de Toi, et Moi. Ce Tiers extérieur comprend que sa caractéristique intellectuelle (en plus de sa Force physique) est de Juger de manière quasiment absolue.

          Quand deux personnes sont en face à face, chacun a certes un jugement sur l’autre mais chacun considère que ce jugement de l’autre n’a pas forcément de Valeur impérieuse ou absolue. Alors que quand le Tiers s’en mêle, son Jugement a valeur d’absolu. Du coup, si ce Tiers dit qui est victime qui est bourreau, son Jugement ressort Valable, Considérable.

          Tant que chacun de nous sera sous la forme physique actuelle, donc vulnérable au meurtre, il y aura désignation de victime et bourreau mais sur divers plans, qui changeront tout en étant fondés sur le meurtre.

           


           »«  »« Et de cela, de ce sadisme essentiellement nécessaire, »Orwell« ou Huxley en parlent peu. C’est un peu comme ce que Girard énonce, à savoir que les écrivains ont de l’avance sur les anthropologues et les psychanalystes pour ce qui touche à l’humain. Maintenant ce sont les cinéastes qui ont de l’avance sur les écrivains ! »«  »

          Très pertinent !


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