Le mensonge comme vérité
On se doute que le mensonge a toujours existé ; du moins depuis qu'il y a langage car notre corps ne peut mentir. Les animaux connaissent le langage du corps ; ils ignorent le mensonge et on ne peut leur mentir, mais les hommes qui ont perdu cette capacité, qui n'entendent que les mots, profèrent des mensonges que d'autres croient. C'est un rapport de pouvoir : le menteur doit avoir le pouvoir pour que son mensonge marche. Cru par les indifférents ou au contraire par les aficionados, impossible à démontrer par les lucides, gobé par les benêts, le verbe se fait traître.
L'enfant ne le tente-t-il pas pour tester son pouvoir sur sa mère, sur son père, trouver son importance, garder le lien à défaut d'amour ? Un trou, là, dans le cœur, un sentiment d'injustice et un désir de vengeance. Certains le gardent toute leur vie, comme une maladie. Ce sont les plus doués, les autres maladroits se font vite repérés et finissent par considérer l'humiliation subie comme plus douloureuse que l'absence. Définitivement incapables de pouvoir.
Le mensonge, toujours, a été considéré comme un vice ; les pas francs, les filous, les hâbleurs étaient pris comme des pervers. Il est rare qu'on ait vu le mensonge alors, comme un espace de liberté.
Les talentueux, séducteurs, manipulateurs, ceux qui avaient réussi, trouvaient leur pouvoir et dans une pressante quête anxieuse, peaufinaient leur art ; à la longue et par protection, ils fuyaient les découvreurs, minimisaient leurs forfaits par des pirouettes, par le rire, l'humour, le chantage ou la victimisation. Combien d'amours se sont soldées par des enfers ?
Le mensonge par omissions est le plus commun au point d'être encouragé plus que toléré pour garder la paix au foyer, dans le groupe ou en société. Bien maîtrisé par les politiques depuis toujours, il n'existe aucun humain qui n'en ait pas usé. Toutes les raisons les meilleures sont brandies pour l'expliquer : on cache la vérité à un malade, l'aventure d'un jour pour ne pas faire souffrir inutilement, la réalité catastrophique des comptes pour ne pas décourager : celui qui omet de dire est un courageux qui prend ses responsabilités, assume ses écarts, tient la barre et se cache qu'il prend l'autre pour un con. Il oublie au passage qu'il se protège des scènes, des cris des reproches et s' il y prend goût, s'y perdra. Les femmes beaucoup plus que les hommes connaissent le langage du corps, la moindre transformation de l'autre leur saute aux yeux ; les hommes devraient le savoir ! Et en tenir compte !
Mais tout cela n'est possible que parce que le trompé, le fidèle, possède une soupape inconsciente qui le protège ; à ne pas voir, c'est vrai, on ne souffre pas. Cette cécité peut aller loin et plus loin elle ira plus la chute sera vertigineuse.
Les femmes qui mentent et trompent sont très habiles mais surtout savent que l'homme-de-leur-vie ne les regarde plus vraiment ; il ne verra pas le changement, cette soudaine propension à prendre soin d'elles-mêmes, couper ou colorer leurs cheveux, mincir, se toquer de sport et s'il s'en aperçoit, il en sera ravi. C'est le cas de le dire. Le jeu se joue à deux, comme toujours. Mais gare à l'explosion de la vérité, gare à la prise de conscience. Il n'en n'est pas qui ne fasse pas de dégâts, il n'en n'est guère qui n'engendre pas le désir de vengeance et qui efface, d'un seul coup d'un seul, tout un passé qui s'avère truqué, faux et ne laisse que rancoeur : qui peut encore imaginer qu'il y ait eu un moment de sincérité ? La haine, le rejet, la violence souvent en seront la rançon. La blessure peut être telle que plus jamais la confiance reviendra ; en quiconque. Par protection, on se méfiera de tout et de tous et s'enferrant dans une solitude de plus en plus profonde à laquelle rien ni personne ne pourra plus donner d'issue, on aura l'aigreur, le cynisme, la méchanceté comme compagne. Elle sera le piédestal ultime de la lucidité.
Or, depuis peu, le statut du mensonge a changé, du tout au tout.
On peut dire sans grands risques de se tromper que celui qui a besoin de mentir ne possède guère de confiance en lui, qu'en regard de ses buts, de ses actes ou de ses ambitions, s'il doit les masquer, les déguiser, les maquiller, les taire, c'est qu'il ne les habite pas vraiment mais en conçoit, sinon l'ignominie, du moins la relativité ; il prend le risque, dans ses entreprises, de s'isoler ou s'aliéner l'accord de complices dont rien ne prouve qu'il peut leur faire confiance . C'est une étrange psychologie de partager cette face cachée avec quelques-uns et de jouer la franchise devant le plus grand nombre ! Il me paraît là qu'il n'y a aucun machiavélisme- psychopathie trop rare- mais une molle disjonction de l'être qui n'a que peu d'égards à lui-même. Une tare, insondable, une faiblesse qui se fait force. Il fallait donc trouver le biais, l'issue pour faire du mensonge une foutaise, un bien commun somme toute bien ordinaire.
Si je situe cette trouvaille chez Bush, c'est que sans doute j'ai découvert ces ficelles chez lui, me réveillant d'un long temps assoupi. Pourtant je ne suis pas la seule ; il y a bien eu ce trio exemplaire : Bush, Berlusconi, Sarkozy. Ces trois-là en tout cas ont été moulés aux judicieux préceptes de la com, c'est-à-dire de la publicité ; tout est à vendre y compris bien sûr la politique, et pour vendre il faut vanter et flatter : le lit du mensonge était fait, adopté depuis longtemps dans les affaires commerciales, subi par l'acheteur, imposé par le vendeur ; le passage aux affaires publiques se fit en douceur. Nombreux sont ceux qui ont cru aux armes de destruction massive, à la désignation du diable, peu se souvinrent que les accusateurs avaient été les fournisseurs et les amis. Quand des groupes entiers dénoncent ces gros mensonges, on les traite de complotistes, obscurantistes moyenâgeux quoi ! Mais cela n'a qu'un temps !
Je me souviens d'une émission entendue juste après l'élection de Sarkozy en France où des journalistes étrangers commentaient l'événement ; il y avait là un espagnol, un américain et un italien et les deux derniers dirent de concert : eh bien on a Bush et Berlusconi, vous aurez Sarkozy ! La belle ronde !
Car il advint avec ces trois-là la nargue qui étouffe toute réaction ; afficher l'arrogance désinvolte d'un pouvoir qui se fiche d'être démasquer, rend l'autre, forcément, impuissant ! Ce n'est que beaucoup plus tard que l'on a pu dire : plus c'est gros, plus ça passe. Au début, plus c'était gros, plus ça passait ! Et cela ne voulait pas dire que tout le monde était subjugué, que tout le monde gobait, mais tous étaient ébahis, chez le péquin, la sidération était à son comble, au point de lui faire perdre son bon sens, et chez les chroniqueurs, la voix de ceux qui éclairaient, était quasi confidentielle ! Le gus qui s'étonnait n'avait que peu d'accès à leurs analyses.
D'ailleurs, après l'élection de Sarkozy, il y eut plus d'un an, presque un an et demi avant que ne s'éveillent quelques mouvements politiques dissidents, comme on se secoue de sa torpeur. Excepté Le Sarkophage de Paul Aries, qui parut dès juillet 2007, on ne trouvait que, ça et là, des lazzis, des commérages, des offuscations de bas étages. On attaquait le bonhomme comme on se débat dans le piège d'un marécage.
Tout était si confus si compliqué à dessein, que des vérités s'affichaient sans complexe ni ripostes : les manifestations de rues ont moins d'importance qu'un divorce, et les mensonges pleuvaient de toutes parts, hypnotisant.
Dans la très bonne vidéo écoutée sur ce site, Jean-Pierre Garnier souligne à quel point Mitterrand mentait effrontément en toute lucidité : c'était le mensonge de l'homme responsable qui tait ce que l'autre ne peut pas comprendre ou accepter ! Le mensonge qui tait ou déforme pour embellir la vie ! Il vaut mieux, pour l'autre, être tenu dans l'ignorance, son confort en dépend ! (rien qui vaille d'être absout mais qui restait dans l'habitude humaine, consentie et partagée !)
Les choses se sont sûrement dégradées à mon insu, et à l'insu de beaucoup, tant il est vrai que l'on est posé sur des poncifs que l'on prend pour des bases acquises. Le temps est long entre la puce à l'oreille et la détermination ; il passe par le doute- l'incrédulité-, la recherche de confirmation, la rencontre de la confirmation, la compréhension du phénomène, l'acceptation puis l'action.
Donc, après le mensonge pour notre bien, nous avons droit à un mesclum de vérités-mensonges, pour notre malheur. La vérité ne tenant d'ailleurs qu'à une seule attitude : on fait ce qu'on veut ; un seul constat : vous pouvez toujours brailler, on s'en fout !.
Mais c'est la méthode Coué bien sûr, la pétoche les a saisis déjà et ne les quittera plus.
Je dois dire que je n'ai pas suivi avec assez de passion la campagne de Nicolas Sarkozy pour pouvoir agrémenter cet article de détails croustillants ; ni même son règne ; j'ai fui les médias, les annonces, les discours et les vœux J'en savais assez .
Tatcher est l'icône du libéralisme dévastateur, mais on ne peut pas lui reprocher d'avoir menti ! Au bout de ce constat, que nous reste-t-il ? Rien, rien.
Il n'empêche que le dédain affiché, les mensonges proférés, et qui trouvent aujourd'hui leur apogée, ont rendu possibles toutes les théories de complots les plus extravagantes, les accusations les plus vertigineuses ( Kadhafi violeur de milliers de vierges !) car tout est possible désormais.
Nous vivons bien dans un chaos où la conscience n'a plus de prise, dans un nouveau monde avec de nouvelles donnes.
Avant, les faux-culs étaient rejetés ; aujourd'hui, on les élit. C'est comme ça qu'une société se transforme ; on ne peut même pas dire mine de rien car, hors le temps de la sidération et celui, plus ou moins long, où il nous faut nous retrouver sur nos pieds, nous suivons l'affaire.
La bravoure, l'honneur, - cette vertu chevaleresque- n'existe plus. Nous avons affaire dans cette société à une perméabilité valétudinaire entre la bassesse généreusement dévolue au peuple et le pouvoir des élites qui n'ont plus aucune obligation de se maintenir au-dessus du panier.
Pourtant on dit que l' ascenseur social ne marche pas ! Si ! Il descend.
L'esprit chevaleresque n'habitait pas tous les nobles, et pas que les nobles mais était attribué à la noblesse qui se devait d'en être la garante. Aujourd'hui, pour un peu, on demanderait au peuple d'être noble, mesuré dans sa douleur, digne dans son sacrifice, tandis que les élites se vautrent dans l'abjection. Vous me direz, on a connu les Borgia, et la débauche des pouvoirs féodaux était monnaie courante. Mais elle ne se cachait pas ; avec Sarkozy, la féodalité nous a rattrapés mais, à une époque où l'on vante la démocratie au point de faire des guerres à ceux qui ne l'utilisent pas, où l'on affecte de jouer le jeu des programmes et des bilans, ce collapse est indigeste.
Les chevaliers, qui certes n'étaient pas calqués sur la noblesse dirigeante, n'avaient pas le mensonge comme arme ; ils détenaient au contraire une vérité profonde et l'insigne privilège de fréquenter les chevaux, à qui on ne peut mentir, souvenez-vous...
Nous sommes toujours à la veille d'une surprise ; avec Sarkozy nous avions pensé avoir vécu le pire ; eh bien non. Le chemin est tracé dans une pente de plus en plus vertigineuse.
Les vieux corps malades subissent, eux, la porosité entre leurs différentes tuyauteries et souffrent d'infections urinaires chroniques tandis que ceux qui sont atteints d'Alzheimer mélangent tout et souffrent de paniques. Cette porosité atteint toutes les couches de la société et n'est nullement l'exclusive des classes dominantes ; aussi sera-t-il improbable qu'une embellie s'amorce. Le fait est que tant qu'on vit, on aura ce rôle de frein ; des soins palliatifs en quelque sorte. À moins que l'on ait affaire à un cancer ; dans ce cas le traitement doit être radical : éradiquer la publicité et toutes ses métastases : communication, médias, campagnes électorales... une amputation pure et simple des membres atteints, les rayons n'y suffiraient pas ; assainir les tissus au scalpel et prendre le temps d'une convalescence avant rééducation !
Mais j'ai bien peur que notre société donne donc des signes de vétusté organique et de dégénérescence mentale, car, aussi loin que nous possédons des écrits, les civilisations aussi différentes fussent-elles, arborent toutes comme principes fondamentaux : la probité, la responsabilité, le courage ; certes l'ambition personnelle et les petits avantages dus au pouvoir n'ont jamais manqué, ni le dédain du peuple dans les grands empires mais ce mélange détonnant semble être tout bonnement le symptôme d'une maladie létale d'un monde à bout de souffle.
44 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON