Le terrible aveu d’Emmanuel Macron
En appelant à une réforme de l’assurance-chômage qui réduirait la durée et le montant d’indemnisation des chômeurs, Emmanuel Macron avoue que les politiques initiées par le gouvernement visant à restaurer la fameuse « compétitivité » n’ont pas pour objectif de réduire le chômage quoi qu’il ait été dit au moment de l’annonce des réformes.
Le déficit de l’Unedic : conjoncturel ou structurel ?
En 2013, le déficit de l’Unedic s’élevait à 3,6 Md€ contre 2,8 Md€ fin 2012. L’aggravation du déficit de l’Unedic s’explique par le fait que les dépenses (allocations chômage) ont plus rapidement que les recettes (respectivement +1,5% et +5,2%). Autre point important à signaler : l’analyse du compte de résultat de l’Unedic montre que celle-ci perçoit plus de cotisations qu’elle ne donne de prestations : ainsi le total des cotisations reçues était de 33,5 Md€ en 2013 contre 30,8 Md€ d’allocations payées. Pour aboutir à un déficit de 3,6 Md€, il faut prendre en compte 0,9 Md€ d’aides au reclassement, 1,8 Md€ liées au coût de la validation du point retraite complémentaire des allocataires et 3,7 Md€ « d’autres charges de gestion technique » qui incluent principalement la contribution de 3,1 Md€ due par l’Unedic à Pôle Emploi au titre du budget de fonctionnement de cette dernière. Les autres mouvements (dotations aux provisions, reprise nette des provisions, charges financières etc.), de moindre ampleur que ceux cités se compensent.
Néanmoins, l’essentiel de l’accroissement du déficit provient de la hausse des allocations payées : cette hausse résulte de la hausse du nombre de chômeurs indemnisés. Ainsi, le nombre d’allocataires recevant des indemnités chômage a augmenté de 4% en 2013 passant de 2,87 millions à 3,00 millions. À noter que cette augmentation est cohérente avec celle du montant du montant des dépenses d’allocations chômage.
De ce panorama de la situation comptable de l’Unedic, on peut faire plusieurs constats :
- Plus il y a de chômeurs indemnisés, plus les dépenses de l’Unedic augmente. Il faut faire attention au fait qu’un chômeur n’est pas forcément indemnisé : parmi les chômeurs non indemnisés, on retrouve les chômeurs de longue durée ayant épuisé leurs droits aux allocations, des chômeurs jeunes n’ayant pas suffisamment cotisés, des chômeurs dépendant d’autres dispositifs etc.
- Le montant des contributions est tributaire de plusieurs variables : principalement l’évolution de la masse salariale et l’évolution de la population active occupée (ayant un emploi). Si la France continue à détruire des emplois (65 000 en 2013 selon les premières estimations de l’Insee), celle-ci n’est pas suffisante pour enrayer la hausse des cotisations chômage.
- Selon l’Unedic, l’indemnité moyenne reçue par un allocataire était de 986 euros brut par mois. Par conséquent le déficit correspond environ à l’indemnisation de 300 000 chômeurs. Ainsi pour que l’Unedic retrouve l’équilibre, il faudrait réduire le nombre de chômeurs indemnisés de 300 000, soit environ 1 point si on l’exprime en pourcentage de la population active, nonobstant l’évolution de la masse salariale et de la population active occupée (forcément supérieure au nombre de chômeurs ayant retrouvé un emploi, puisque la population active totale continue d’augmenter).
On pourrait même pousser le raisonnement un peu plus loin : les statistiques de la Dares montrent que la crise de 2008 a surtout entraîné une augmentation du chômage de (très) longue durée : la situation de l’emploi est telle qu’il y a un « stock » de travailleurs au chômage depuis plus de deux ans voire trois, ne retrouvant aucun emploi. Pour beaucoup, ils ne reçoivent plus d’indemnités chômage et dépendent d’autres dispositifs dépendant de la solidarité nationale et non pas de l’assurance-chômage. Par conséquent, une stabilisation du chômage à ces niveaux (trop élevés hélas) entraînerait de facto une réduction à moyen terme du déficit de l’Unedic.
Mais par delà ces commentaires que certains pourront qualifier de cyniques, il faut savoir le taux de chômage structurel de la France est en dessous du taux de chômage actuel (9,8% au sens du BIT) et se situe très probablement autour de 8 à 8,5 % de la population active, soit un niveau où l’Unedic serait largement excédentaire (et les comptes de la sécurité sociale très proches de l’équilibre si ce n’est excédentaires). Il y a une sous-utilisation manifeste des facteurs de production, en témoigne un niveau d’investissement en berne en-dessous de sa moyenne historique sur les vingt dernières années.
Dès lors que l’on conclut que le chômage est conjoncturel, au-delà du problème des chômeurs de très longue durée qui risquent de rester au chômage même en cas de reprise de l’activité (pour ceux-ci, c’est la question de la formation qui est centrale), une réforme de l’assurance-chômage s’avère inutile. Seule une approche idéologique du chômage peut être à l’origine de cette déclaration. Dans les années 1980 on avait choisi de réduire l’inflation au détriment du chômage pour le plus grand plaisir des économistes monétaristes et des rentiers souhaitant conserver la valeur de leur capital. Dans les années 2010, les gouvernants veulent remettre au travail les chômeurs quitte à en faire des travailleurs pauvres. C’est un moyen (travail de longue haleine, devrais-je dire) d’appliquer une politique déflationniste tout en contournant le problème de rigidité des salaires : créer du chômage qui renverse le rapport de force au profit du « capital » (vu dans son acceptation large : actionnaires, dirigeant d’entreprise, technocrates) et au détriment des travailleurs puis mettre ces derniers devant le fait accompli lorsque le chômage atteint un niveau trop élevé pour continuer comme si de rien n’était (généralisation du travail payé en dessous du SMIC, du temps partiel et détricotage du CDI pour aboutir à un contrat de travail « unique » qui précarisera tous les salariés). Voilà le processus que le sociologue Robert Castel décrivait comme le passage d’une société de plein-emploi (propre aux trente glorieuses) à une société de pleine activité (symbolisée par le travail partiel, l’intérim, le CDD ou les contrats de travail précaires).
Le CICE, une arme contre le chômage ?
Le crédit d’impôt compétitivité emploi était censé être l’arme massive contre le « manque de compétitivité » des entreprises françaises (compétitivité uniquement analysée à travers le taux de marge et sans aucune approche sectorielle, ce qui est relativement réducteur) mais également une arme pour réduire de façon significative le chômage.
Ce crédit d’impôt offre une réduction de l’impôt sur les sociétés 2014 sur les résultats de 2013 égale à 4% de la masse des salaires inférieurs à 2,5 SMIC puis 6% à partir de l’impôt sur les sociétés 2015. Si les entreprises jouent (un peu) le jeu en allouant un tiers de cette réduction d’impôt à l’embauche (c’est-à-dire 2% de la masse salariale), vous conviendrez avec moi qu’il y a là de créer plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Encore mieux, si les entreprises consacraient le reste de crédit d’impôt à l’investissement, on pourrait espérer la formation d'un effet boule de neige (l’investissement créant l’emploi qui crée de l’investissement etc.) propice à la création d’emplois ! En pratique, le CICE devrait permettre de réduire le chômage et donc de réduire le déficit de l'Unedic. Alors, pourquoi vouloir réformer l’Unedic puisque l’inversement de la courbe tant souhaitée par Michel Sapin est à portée de main ?
Bien sûr, les choses sont plus compliquées dans la vraie vie : ce crédit d’impôt va bénéficier à des entreprises appartenant à des secteurs ayant un taux de marge déjà élevé et qui évoluent parfois dans des secteurs pas vraiment concurrentiels. C’est ce qu’on appelle un effet d’aubaine qui profitera davantage à améliorer le compte de résultat et à augmenter le versement de dividendes qu’à autre chose. D’autres connaissent des difficultés réelles et préféreront l’utiliser pour augmenter leur trésorerie, parfois amoindrie par le refus d’un prêt par les banques commerciales (à quoi sert la Banque publique d’investissement, une drôle de banque sans licence bancaire ?). La sortie d’Emmanuel Macron sonne comme un demi-aveu : le CICE va permettre aux entreprises d’augmenter leurs marges (et donc leur excédent brut d’exploitation). Geste salvateur pour certaines entreprises, cadeau sans raison pour beaucoup d’autres.
Et pourtant, il faut se rappeler de toute l’agitation politico-médiatique à l’annonce des « diminutions de charges » des entreprises : le pin’s de Gattaz (« 1 million d’emplois »), les conférences de presse triomphantes, les déclarations d’amour sans cesse répétées de la part du gouvernement, sans oublier le fait que le gouvernement a annoncé qu’il ne ferait aucune vérification quant à la bonne utilisation du crédit d’impôt (ne dit-on pas que l’amour rend aveugle ?).
À quoi sert donc le CICE ? Cette dépense creuse le déficit sans pour autant montrer d’effets bénéfiques tangibles sur l’économie française et va surtout justifier de nouvelles coupes budgétaires pour toutes les administrations publiques, en particulier dans l’assurance-chômage. Exemple de performativité diront certains...
Conclusion
La dernière sortie d’Emmanuel Macron est révélatrice de la vision qu’ont les gouvernants de notre pays. Soit le chômage apparaît comme un mal qui a pour origine la mauvaise foi de ceux qui se trouvent dans cette situation : dans ce cas, il faut punir les chômeurs, vus comme irresponsables par essence, en les contrôlant davantage (c’est là que l’on ressort le mythe des centaines de milliers de milliards d’offres d’emploi non pourvus) ou en réduisant le « coût » que représentent ces chômeurs (alors que la description que j’ai faite plus haut montre que la situation de l’Unedic doit être vue tout en nuance). Soit le chômage apparaît comme un choix de société préféré à tort à une société de travailleurs pauvres : dans ce cas, il faut tout faire pour baisser le coût du travail soit par l’intermédiaire de crédits d’impôts (dont le coût se traduit par des coupes massives sur les autres dépenses qui affectent les ménages appartenant aux classes populaire et moyenne) soit plus franchement à travers les positions de certains dirigeants de l’opposition voulant importer en France les lois Hartz (par exemple Laurent Wauquiez).
De nombreux indices laissent penser que les processus de production que ça soit dans l’industrie ou dans les services auront de moins en moins besoin de l’être humain. Si nous nous dirigeons vers une société où il y aura toujours plus de chômeurs et une production toujours plus élevée (ou qui saura à défaut se maintenir), il faudra se pencher sans vouloir faire de l’idéologie sur le partage des gains de production. Ce partage pourra se faire à travers la diminution du temps de travail ou par la création d’un revenu universel. À défaut, nous aurons à faire à des crises de surproduction de plus en plus rapprochée dans le temps et une société de plus en plus précarisée et forcément toujours plus violente. Certainement, pour appréhender plus justement le monde de demain, il faudrait prendre en compte la crise écologique (toutefois porteuse de nombreux débouchés pour les sociétés), l’émergence de la « société du gratuit » (le coût de la culture, des communications, des technologies s’est fortement réduit, l’imprimante 3D est porteuse de nouvelles formes de production plus locales et moins chères etc.) ou encore la croissance démographique (quel monde à 9 ou 10 milliards d’habitants alors que des terres entières risquent d’être submergées par la montée du niveau des mers ?). Mais, tout ce que l’on voit ce sont des dirigeants fascinés par un court-termisme symbolisé par la fascination de la rentabilité, cause de la surexploitation de notre Terre. Ils veulent changer le monde, il nous faut changer de monde !
photo par Gouvernement français
(CC BY-SA 3.0 FR) http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/fr/deed.en
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