Les folies de la Guerre Froide révélées (6) de monstrueux archaïsmes
Les premiers essais de caméras à bord de satellites sont des bricolages calamiteux, on l'a vu hier dans un des épisodes précédents. Mais très vite, les militaires ont compris l'intérêt pour eux de maîtriser ce genre de possibilité : ils passent de la surveillance des champs de bataille, ce qu'ils avaient fait autrefois avec des ballons (en 1914-1918) ou même des pigeons (ils l'ont même refait récemment avec l'oiseau), à la suveillance complète d'un pays. L'enjeu étant de taille, des sommes considérables vont être déboursées dans l'aventure, qui commence par un problème de taille : celui de fabriquer la caméra adéquate, qui devra être légère et performante, alors qu'on s'engageait au même moment sur des monstres embarqués par des bombardiers gigantesques. Très vite, un deuxième problème se profile, celui de récupérer les films réalisés par ces caméras. Pour ce faire, on va bricoler un système assez aberrant, qui va cependant connaître une longue carrière : tant que l'on ne sait pas émettre de grands clichés nets à distance par système de communication radio, il en sera ainsi. La télévision existe, pourtant, dans les années 50, mais sa définition est trop faible pour ce genre d'exercice... en 1969, quand il faudra envoyer des image de la Lune, on se contentera de 325 lignes à 10 images par secondes... (*)
C'est encore Mécanique Populaire qui met les pieds dans le plat dans son numéro français de mai 1958 ; avec un très étonnant article signé James Joseph, révélant les efforts américains pour lancer des satellites espions. L'article débute par l'annonce du lancement réussi d'Explorer III, présenté justement comme un de ces fameux satellites espions. Bien entendu, ce qui est craint, c'est que les soviétiques soient plus avancés : "Les satellites-espions ont dépassé le stade du projet des deux côtés du rideau de fer leurs missions sont déjà établies et probablement leurs dates de lancement. La Russie, à la suite de l'impulsion du camarade Kroutshchev (sic) lui-même, a travaille six ans sur l'espion céleste (probablement Spoutnik VI ou VII). En octobre dernier, au Congrès de la Federation Astronautique Internationale de Barcelone, un savant soviétique de grande classe spécialiste de des questions a avoué que le satellite espion russe sera capable "d'exercer une surveillance constante sur les activités du monde entier". Les porte-parole de la Division des Engins Spéciaux Lockheed, à l'Université de Stanford sont moins loquaces ; c'est là que, depuis le début de 1956, les savants américains ont été invités à réunir leurs efforts pour la luise au point de "Pied Piper", nom officiel du satellite espion (chut-chut) des Etats-Unis, Le projet est aussi surnommé « Big Brother » (le Grand Frère)". En fait de satellite espion Exporer III n'a pas du tout la forme présentée par le magazine (ici à gauche au milieu de ses concepteurs, eux-mêmes révélant ici son contenu purement scientifique), c'est la même en crayon que le premier exemplaire, et il n'a pas de caméra à bord, seulement un compteur Geiger et un détecteur de météorites ! Les américains jouent l'intox, c'est évident !!!
Etonnament, pourtant, le nom donné au projet réputé secret est le bon : en fait c'est le surnom de "l'Advanced Reconnaissance System" qui deviendra plus tard le "Sentry", managé par l'Air Force puis l'Advanced Research Projects Agency (ARPA, devenue DARPA en y ajoutant devant en 1972 le mot "Defense"), créée exprès le 7 février 1958 par un décret, la "directive 5105" et de nouveau à l'Air Force en 1959, pour y être renommé "Samos". Les retards de l'Air Force feront reprendre le dossier par la CIA, avec un nouveau projet accepté le même jour par Eisenhower appelé "Corona", sous la houlette du redoutable Richard Bissell, qui se charga aussi de l'U-2. Mais personne, aux Etats-Unis, ne saura ce que sont les satellites Corona. Et quand au "Big Bird", il faudra attendre...1971 pour le voir s'envoler : voilà un article bien prémonitoire !
En fait, les américains ne sauront pas avant longtemps ce qu'est le projet Corona : ils apprendront qu'une nouvelle sorte de satellites contenant des expériences scientifiques seront lancés sous le nom plutôt "neutre" de "Discoverer" car l'annonce sera une ruse complète : aucun objectif scientifique réel n'a été planifié sur ces missions. On montrera àl a presse un personnel travaillant sur les instruments scientifiques, y compris les boîtes pour des souris d'espace (visible ici dans la main du technicien), sans alimentation en oxygène (?) mais aucune n'a jamais été lancée ou n'a été destinée à être lancée : les souris mourront près du pas de tir après avoir été montrées à la presse, dit-on. La séance photo spécialement faite (visible ici à droite) était complétement "bidon" !!!
Le personnel du projet Discoverer était fictif, et ne savait rien du véritable projet en cours. Le couvercle mis en place par la CIA était si bein fermé que les pseudos instruments scientifiques placés sur les satellites Discoverer montrés ostensiblement aux médias seront retirés avant le lancement effectif !
Un peu plus loin encore dans l'article, l'indicatif du projet réputé secret est le bon également : "Ce n'est pas un secret de dire qu'au moins milliards de francs (22 millions de dollars) ont déjà été utilisés pour le projet, dont la codification officielle est le Système d'Armes 117-L (WS-117L) (Or le projet WS-117L était bien celui chapeautant Corona et Samos !). La date de lancement de Pied Piper », comme celle de son confrère russe, est déjà fixée pour l'année prochaine. Les problèmes se réduisent essentiellement à l'adaptation des techniques éprouvées de photographie aérienne, de télémesures (communications du robot air-sol) et de la poursuite automatique - : vers l'espace. Le problème du pouvoir de « résolution est typique — c'est-à-dire de la faculté pour la télévision ou le film de cinéma d'enregistrer un détail depuis des altitudes élevées. L'Explorer III sera-t-il capable de pénétrer jusqu'à votre maison ?". Question argent dépensé, le magazine US, porte parole en France de la politique américaine officielle, était très, très loin des comptes :
en 1958, le programme WS-117L recevra de l'Air Force 108,2 millions de dollars (0,87 milliard en 2012). Pour les satellites Discoverer, l'Air Forceet l'ARPA débourseront 132,3 millions de dollars de 1959 soit 1,05 milliard de 2012) et 101,2 millions en 1960 (soit 0,8 milliards actuels)... l'espionnage était un gouffre financier sans nom, entretenu par une peur bleue de l'invasion soviétique. Les miltaires orchestrent la peur, et en touchent financièrement les dividendes, pour assouvir leurs folies. Le plus étrange, dans l'article de Mécanique Populaire, c'est l'allure du prétendu Explorer III qui ressemble alors comme deux gouttes d'eau à un projet russe, comme visible ici à gauche... les espions US en savaient-ils plus qu'ils ne le disaient ?
Le sujet était donc lancé, avec dans la suite de l'article une digression sur la qualité des images, prévue comme étant "100 fois supérieure à celle du B-58" puis le magazine aborde déjà le point crucial du système, ou son défaut essentiel : "le problème véritable, cependant, est celui de la transmission, Les experts stationnés à terre n'auront pas sous la main le négatif original Il restera dans l'espace. Ce dont ils disposeront, sera un fac-similé de l'original. La caméra dont nous parlons enregistre environ un million de points d'image par pouce carré de film. Comme le négatif normalisé fait 9 pouces carrés, une petite multiplication montre qu'on peut impressionner 81 millions de points d'image sur ce simple négatif. Mais pour relayer cette image à une station terrestre, il faut la transmettre. Supposons que la fréquence d'émission soit de 10 mégaherz, soit 10 millions de périodes par seconde. On ne peut transmettre qu'un seul point d'image par période. On est donc limité à 10 000 points d'image par seconde. Que deviennent alors les 71 millions d'autres points encore disponibles sur le film ? Eh bien ! ils sont perdus, à moins que vous n'imaginiez quelques jolis petits circuits astucieux. Ils sont encore inscrits sur le film, bien entendu. Mais le film se trouve dans le satellite. Et vous êtes sur la terre. Bref, si vaste soit le champ de la caméra, on est limité par la transmission". En fait, la caméra qui équipera plus tard le SR-71 donnera une résolution de 100 lignes par millimètres, et donnera une résolution au sol de 8 pouces (60 cm). Une version de de cette caméra signée Hycon, appellée "H Camera", qui équipe toujours aujourd'hui la dernière version de l'U-2 "Dragon Lady"..
Le moins qu'on puisse dire, en tout cas, c'est que le Magazine de bricolage US avait mis dans le mille : même s'il clamait en intertitre que "le problème de la transmission est résolu", c'était pour se dédire dans le chapitre qui suivait : "Actuellement, ce problème est près d'être résolu. Toutefois, l'illustration n'explique pas seulement les difficultés, mais pourquoi les appareils liés à la terre, recevant l'information, ne peuvent avoir qu'un fac-similé fidèle de ce que voit l'espion de l'espace. Pied Piper (**), néanmoins aura d'autres yeux".... et d'évoquer pour meubler le rôle novateur de l'infra-rouge :
"Par exemple, les indicateurs infrarouges de la "Servo Corporation of America", maintenant en plein développement, sont capables de tracer la carte "thermique" du terrain ennemi. Un porte-parole de la "Servo" à dit que « chaque objet émet un rayonnement infrarouge. Plus un objet est chaud, plus fort est son rayonnement infrarouge ». On peut déceler une différence de 1 degré. Le détecteur infrarouge' aéroporté tout récent et encore secret de "Servo"est si sensible à la chaleur qu'il permet de distinguer des objets dont la température diffère de 1°C (en plus ou en moins) d'avec ce qui les entoure. Ces détecteurs sensibilisés à l'infrarouge peuvent démasquer un camouflage d'une zone importante militaire - , particulièrement villes, zones industrielles écartées peut-être même des terrains d'atterrissage. Les détecteurs infrarouges (en photo lla Vallée du Rhône vue par Spot, avec 20 m de résolution sur 50 km2), jusqu'ici déconsidérés, peuvent mettre en évidence, à partir de hauteurs opérationnelles de 15 000 m des routes (qui absorbent la chaleur, ressortant ainsi du terrain avoisinant) des camions et des chars de combat (trahis par leurs moteurs) des villes et des usines (dévoilées par les masses d'air qui les couvrent, plus chaudes que l'air environnant) et des bateaux (dont les hélices brassent l'eau chaude de surface avec les couches inférieures plus froides et laissent un sillage inévitable d'eau plus froide que la surface)". Jolie démonstration en forme de digression (les américains indiquant par là aux russes qu'ils surveillent aussi leurs sous-marins), mais il n'empêche : en 1958, personne n'a encore résolu le débit d'envoi d'un cliché pris à des centaines de km d'altitude. Le 4 octobre 1959, Lunik enverra à la terre une photo de la face cachée de la Lune dont la définition sera exécrable : non, pas moyen de compter dans un délai bref de pouvoir transmettre les photos à la Terre. Décision est donc prise par les militaires... de les ramener sur terre, sous forme de rouleaux de films classiques sensibilisés à développer. Le super-projet démarre d'emblée avec un gros handicap. Comment donc ramener sans encombre des rouleaux de films de l'espace ?
Pour ce qui est de la caméra censée équipée ses satellites espions, il faut revenir un peu en arrière, avec celles équipant 'U-2. Le livre de Norman Polmar va nous donner quelqes lueurs sur ces dernières : "les caméras standard aériennes disponibles au début de 1950 pourrait atteindre des résolutions de l'ordre de 20 à 25 pieds de côté quand elles étaient utilisées à une altitude de 33 000 pieds -10 000 mètres (environ 25 lignes par millimètre en termes de référence actuels). Cette résolution a été considérée comme suffisante, car la photographie aérienne à l'époque était principalement utilisé pour choisir des cibles pour les bombardements stratégiques, pour évaluer les dégâts des bombes après les frappes aériennes, et d'établir des cartes et des graphiques, et non pas pour la collecte des renseignements détaillés. Une telle caméra était trop grossière pour être utilisé à des altitudes prévues pour l'U-2."
Les satellites lancées plus haut risquent fort de ramener des images moins bonnes qu'avec les ballons, si on les équipe des mêmes caméras. Impérativement, il faut donc améliorer les caméras existantes si on veut lancer des satellites performants. "En effet, aux fins du renseignement une résolution de moins de 10 pieds était nécessaire pour distinguer des cibles plus petites de façon plus détaillée. Cela signifie que n'importe quel appareil photo réalisée à des altitudes au-dessus de 68 000 pieds devait être près de quatre fois plus puissant que les caméras existantes aériennes. En conséquence, certains scientifiques doutaient que la photographie utiles pourraient être obtenus à partir des altitudes de plus de 40 000 pieds. Le premier succès dans la conception de très haute acuité lentilles est venu au milieu des années 1940, quand James G. Baker, de Harvard et Richard S. Perkin de la Société de Norwalk Perkin-Elmer, dans le Connecticut, ont collaboré à un projet pour un appareil expérimental pour l'Army Air Force. Ils ont développé une caméra à balayage de 48 pouces de focale (1,21 m) qui a été monté dans une version modifiée du bombardier B-36. Lors d'un essai sur Fort Worth, au Texas, à 34 000 pieds (10 300 m), le nouvel appareil a produit des photos sur lesquelles deux « balles de golf » sur un green pouvaient être distinguées. Ses objectifs étaient de 3 pouces de diamètre seulement (7 cm). Pourtant, ces photographies ont démontré l'acuité élevée du système." Le B-36 ; tellement inspiré des plans retrouvés chez Messerschmitt, tel le P-1085, durant l'opération Lusty, que ça en était confondant... encore un détour par l'Allemagne ! Les appareils-photos à bord avaient-ils eux aussi un lien avec l'Allemagne ?
On pouvait légitimement y penser. L'opération Lusty (***), le pendant matériel de Paperclip, qui avait aussi ramené de bien belles bêtes en optique : "en 1945, les Américains occupant Jena organisèrent l’opération paperclip avant de remettre le secteur aux occupants soviétiques. A cette occasion, ils mirent la main sur des équipements et une précieuse collection Zeiss, qui furent envoyée aux USA et étudiés de près par Edward Kaprelian (1913-1997 - nota : un collectionneur compulsif un peu fou !) et d’autres. Parmi les objectifs lumineux figuraient un 90 mm et un 250 mm tous deux f/1,0 ; et le 400 mm ouvert à f/1,5 que montre l’illustration ci-contre". L'auteur ajoutant plus loin ceci : Il y a très longtemps, j’ai lu que des avions de reconnaissances de la Luftwaffe utilisaient un appareil de prise-de-vue muni d’un objectif ouvert à 0,7. C’est possible puisque des viseurs à infra-rouge utilisant des objectifs Zeiss UR existaient à cette époque"... On commence à mieux comprendre la longue réplique de Patrick Mc Goohan dans Ice Station Zebra : 'les russes ont mis votre camera, faite par nos scientifiques allemands, et votre film, fait par nos scientifiques allemands dans leur satellite fait par leurs scientifiques allemands".... les américains auraient-ils réalisé leurs nouvelles caméra sur la base des objectifs Zeiss "rapatriés" ? C'est fort probable en effet !
D'où l'apparition après la fameuse K-18 de Fairchild d'engins plus gros, telle cette caméra présentée en octobre 1951 dans Mécanique Populaire comme étant déjà la K-34 fabriquée par Eastman Kodak, sur un procédé Zeiss semble t-il (l'obturateur est au milieu des lentilles). L'engin est présenté comme ayant une ouverture de 1,6 ce qui est impossible avec une telle focale de 1,50 : elle devrait être de 4,0 pour un diamètre d'objectif de 40 cm (16 pouces). La course au gigantisme était lancée. Or, avec un super-bombardier, on peut en emporter des énormes de caméras ! Or les Etats-Unis en possèdent un, même s'il est encore à hélices ou remis à neuf en 1956...
A bord du gigantesque B-36, il y avait justement de la place pour ce genre de caméra, voir pour une plus grande encore. suffisamment par exemple pour embarquer la plus grande caméra de photo aérienne du monde, appellée "Camera Model, K-42" qui occupait toute une partie de la soute, fabriquée pour l'US Air Force par "l'Université de Boston" en 1951 (autrement dit c'était bien l'œuvre Baker, une nouvelle fois, pour sûr). Plus tard, elle sera utilisée dans un C-97 volant le long du corridor aérien de l'Est communiste en Allemagne, à Berlin, handicapée par une restriction d'altitude de 10 000 pieds imposée par les communistes.
Elle fera lontemps partie des équipements pour les missions de reconnaissance le long des frontières des pays européens de l'Est. La gigantesque caméra de trois tonnes insolait un négatif 18x36 pouces (45x90 cm) et était puissante au point de"détecter une balle de golf à une altitude de 45 000 pieds".... en affirmait la publicité : c'était bien celle de Baker ! Un énorme hublot, sur le côté du fuselage, s'ouvrait pour prendre les vues. La caméra faisait 6 096 mm de focale (240 pouces), grâce à un jeu de miroirs, ouvrait à f/8, et prenait les photos au 1/400 de seconde : un vrai monstre ! Un monstre dangereux : un bon nombre de B-36 s'écraseront, l'avion n'étant pas un gage de sécurité avec sa motorisation complexe (ici le crash du 13 février 1950, en British Columbia, d'un B-36B, numéro 44-92075, provoqué par l'incendie de 3 moteurs sur 6 !). L'avion, avant de se crasher, avait largué sa bombe nucléaire Mk 4 non armée en pleine mer). Le B-36, trop lourd, trop grand, trop voyant et trop peu fiable avec ses moteurs trop compliqués (visibles ici aussi) représentait de facto le plus mauvais choix comme avion espion. En prime, l'arrivée des premiers Migs à réaction le condamnait.
Mais sur le B-36 (quel son !), bizarrement, le système de l'U-2 sera aussi expérimenté : "le système A-1 d'appareil photo à bord se composait de deux caméras K-38 de 24 pouces L'une a montée verticalement photographiait une bande de 17,2 degrés au-dessous de l'appareil sur un rouleau de 9 pouces de film. La deuxième K-38 était placé dans un support à bascule pour photographier alternativement de façon oblique à droite, à 36,5 degrés sur des cylindres séparés de 9 pouces de film. Les films se déroulaient dans des directions opposées pour minimiser leurs effets sur l'équilibre de l'avion. Le développement de la monture spéciale à bascule, par les spécialistes de Perkin-Elmer, les Dr. Scott et M. Roderic, ont été un facteur important dans la réduction de la taille et du poids du système d'intelligence artificielle, car le support fourni une large couverture transversale avec un objectif unique, éliminant ainsi la nécessité de deux cameras séparées." Le procédé était censé remplacer le monstre précédent, en fait.
En réalité, les fameuses K-38, qui équiperont aussi les Canberra "américains", étaient des Fairchild au départ, dont l'usage remontait à la seconde guerre mondiale sous le nom de K-18, la plus utilisée. Des engins reconnaissables qui avaient déjà eu leur moment de gloire, tel cette remise de Distinguished Flying Cross à tout l'équipage d'un B-29 ayant parcouru 3200 miles (5150 km !) pour survoler les Philippines au dessus de Luzon, en avril 1945, juste avant l'invasion (et le retour) de McArthur. On photographiera à leur retour deux des membres d'équipage, le Capt. Peter Boyko, et le Sgt. Edward George tenant fièrement leur K-38 leur ayant permis de réaliser leur exploit.
Les caméras existaient donc, mais elles étaient encore... trop lourdes pour être emmenées en altitude et insuffisantes en définition. "Se rendant compte que la taille et le poids étaient les principaux facteurs qui limitent dans le développement d'un appareil photo pour l'U-2, Baker a commencé à travailler sur un système radicalement nouveau en Octobre 1954, avant même que la CIA a adopté la proposition de Lockheed. Baker a reconnu qu'il aurait besoin de près d'un an pour produire un modèle de fonctionnement d'un tel appareil complexe, mais étant donné que Johnson avait promis d'avoir un U-2 dans l'air dans les huit mois, Baker avait besoin de trouver une caméra existante qui pourrait être utilisé jusqu'à ce que la nouvelle caméra était prête. Après avoir consulté Perkin, il a décidé d'adapter la caméra K-38 pour l'U-2. La K-38 était un appareil photo de 24 pouces de prises de vues aérienne construite par la Société Hycon de Pasadena, en Californie. Perkin a suggéré de modifier plusieurs standards K-38 caméras pour réduire leur poids à la limite de l'U-2, celle de sa charge utile de 450 livres (204 kilos seulement). En même temps, Baker faisait des ajustements essentiels sur les verres des caméras K-38 existantes pour améliorer leur acuité. Baker a été en mesure de le faire dans quelques semaines, et donc plusieurs K-38 modifiées étaient prêtes quand le premier "Angel" a pris l'air à la mi-1955". "L'Ange", le premier surnom donné à l'U-2, montrant ici à gauche ses "hublots" ( simples ouvertures) pour l'orientation de ses caméras. L'histoire ne précisant pas à quel degré les fameuses lentilles Zeiss ont participé !!!
Une caméra qui, en octobre 1962 révélera toutes ses capacités, en prenant de vues à basse altitude cette fois six missiles 6 Frog (Luna) dans leur remorque, cachés sous un arbre dans un camp militaire près de Remedios. Dès le 25 octobre, on savait donc (dans sa salle de décryptage de la CIA) que des missiles nucléaires étaient sur place, mais ce n'est qu'en 1992 qu'on apprendra que les têtes nucléaires avaient déjà été débarquées sur Cuba, notamment véhiculées par des camions spécifiques
(voir ici toutes les photos de la crise de Cuba). Les américains avaient suivi via leurs Crusader le Kasimov le 28 septembre 1962, avec sur son pont les mêmes Frog/Luna ou le Poltava avec à bord des IRBM, ou survolé le Grozny transportant de longs IRBM encore, et le port de Mariel qui montrait les mêmes arrivées, voire avaient compté les tentes des troupes soviétiques installées sur l'île, photographiées par un U-2. Les Crusaders de la Navy étaient équipés de caméras en Trimetrogon (trois caméras dont deux obliques à 30°, prenant une vue).
Avant cela, Hycon ou Perkin-Elmer, qui ont bien compris les sommes d'argent considérables en jeu, s'échangent alors carrément les (juteux) contrats : "La CIA a donné à Hycon un contrat pour la modification de K-38 et l'entreprise, à son tour, a sous-traité chez Perkin-Elmer pour fournir de nouveaux objectifs et à apporter d'autres modifications ou fabriquer des caméras moins encombrantes. À son tour, Perkin-Elmer a sous-traité à Baker de retravailler les verres du moment des K-38 et celui-ci a plus tard conçu un système de lentille améliorée. Baker a lancé la petite entreprise, Spica Inc, le 31 Janvier 1955, pour maintenir son objectif, la conception des efforts séparés de ses fonctions de recherche associés à Harvard et son service sur les organismes consultatifs gouvernementaux." James Gilbert Baker, décédé en 2005 restera donc un génie de l'optique, dont on a salué le travail dans le grand public avec les télescopes Baker-Schmidt qui lui doivent son nom, ou la le Baker Super Schmidt pour photographier les météores. Les militaires lui doivent aussi le théodolite-télescope Baker-Nunn, qui permettra de suivre et de filmer tous les lancements de fusée... et de faire la chasse aux satellites. Baker, mais aussi Harold Charles Silent, responsable de l'électronique chez Hycon seront les grands maîtres du succès de l'U-2 avec Kelly Johnson. Tous des surdoués, manifestement.
L'U-2 une fois terminé, il fallait songer à l'avenir, qui serait bien sûr... les satellites : "Bien que le système A-l était déjà développé, Baker travaillait déjà sur la prochaine génération de lentilles en haute altitude, de reconnaissance. Il a été un pionnier dans l'utilisation des ordinateurs pour synthétiser des systèmes optiques et ses algorithmes logiciels ont permis de modèles de verres de modèle et de déterminer à l'avance les effets que les variations de courbures, et composés, et des espacements de lentilles pourrait avoir sur les rayons de lumière passant à travers une lentille. Ces "programmes de "ray-tracing" nécessitaient de nombreux calculs, et pour cela, il se tourna vers les techniques informatiques les plus modernes disponibles, en utilisant une installation de calculatrices IBM à carte programmée située à proximité de l'University de Boston. Les "nouvelles lentilles Baker" ont été utilisées dans un système de caméra appelée A-2".
En fait, Baker avait été un des premiers à utiliser dès 1947 l'ordinateur géant Harvard Mark II d'Howard Aiken pour ses travaux, appellé Automatic Sequence Controlled Calculator (ASCC). Un ordinateur resté célèbre : c'est avec lui qu' a été créé le mot "bug" pour une erreur de calcul, en raison d'une véritable mouche venue se faire griller sur une de ses lampes. "L'A-2 se composait de trois caméras à images séparées K-38 sur film de 9 pouces. Une K-38 filmait obliquement à droite, l'autre verticale, et une troisième en oblique à gauche (c'était donc en Trimetrogon !). Ce système comprenait également un appareil photo de suivi de 3 pouces. Toutes A-2 caméras étaient équipées avec les nouvelles lentilles f/8.0 de 24 pouces (60 cm) conçues par Baker- elles étaient les premières relativement grandes lentilles d'objectif photographique à employer plusieurs surfaces asphériques. Baker colorait personnellement les surfaces de ses lentilles et faisait t les essais au banc sur chacune avant de les donner à la CIA. Ces lentilles ont pu descendre à 60 lignes par millimètre, soit une amélioration de 240 pour cent des lentilles existantes". Bref, la renommée de Baker n'avait pas été usurpée et l'U-2 avait trouvé ses yeux !
Mais l'inusable Baker (qui travaillait la nuit et disait à ses commanditaires : "ne m'appelez pas avant 10 heures le matin") n'en avait jamais fini : "Une fois que Baker et Scott avaient redessiné la lentille de 24 pouces pour les K-38 appareils. Ils ont tourné leur attention sur la conception d'un nouvel appareil photo, connu comme le modèle B, il s'agissait d'un concept-une toute nouvelle haute résolution, appareil photo de type panoramique avec une focale beaucoup plus longue, un objectif de 36 pouces ouvert à 10,0, asphérique. L'appareil B est un dispositif très complexe qui utilise une seule lentille pour obtenir une photographie de l'horizon à l'autre, ce qui réduit le poids en exigeant moins de deux lentilles et des assemblages d'obturation que la configuration "Trimetrogon" standard. Parce que son objectif était plus long que ceux utilisés dans les caméras A, le modèle B a atteint une résolution encore plus élevée de l00 lignes par millimètre. Chaque rouleau de film embarqué faisait plus de 5 000 mètres de long. Baker a conçu la caméra B de sorte qu'un approvisionnement de film état placé en avant de l'autre et, donc, l'un des films qu'elle déroulait contrebalançait l'autre et ne dérangeait pas ainsi le centre de l'appareil de gravité. C'est le concepteur en chef d'Hycon, William McFadden, qui a conçu la complexe camera B. La caméra pouvait fournir environ 4 000 paires photos aériennes, assez pour photographier un parcours de quelque 2 200 miles (3540 km), soit la distance de Washington jusque Phoenix, en Arizona, en continu . Au-delà de l'appareil photo principal, l'U-2 en avait un plus petit, de 70 millimètres "caméra tracker." Avec une vue plus étroite, cet appareil a été utilisé uniquement pour suivre la trajectoire exacte de l'aéronef par rapport au terrain". La caméra pour satellite était prête. Au final, le SR-71, successeur de l'U2, reprendra les avancées de Baker avec une caméra Perkin Elmer capable de résoudre 140 lignes par mm sur une image de 2,2 gigapixels et un objectif Hycon conçu par James Baker capable de résoudre 100 lignes / mm sur un film de 2,3 gigapixels.
Des caméras, et de quoi développer leurs bobines à leur retour : ce sera le but du Projet Equine, celui de la création d'un service spécialisé de développement à l'abri de tous les regards, chose faite par Dino Brugioni avec la création du National Photographic Interpretation Center de Washington. A la tête de l'équipe installée dans les locaux de l'ancienne Steuart Motor Car Company, un photo interprétateur chevronné, Arthur Lundahl, qui avait examiné les photos de la crise de Suez (faites par l'U-2 !), aidé de Charles Frost Camp. Ils démontreront très tôt leur savoir faire au président Eisenhower en personne : "Sur une de ces missions, nous avons demandé que le U-2 survole la maison du président à Gettysburg, en Pennsylvanie.
Un porche vitré ajouté à la maison en 1955 était alors la principale zone de loisirs, équipé d'un téléviseur, d'une table de poker, d'un bar et des chaises confortables pour les discussions amicales avec les visiteurs. En dehors de la maison il y avait le "green" du golf présidentiel. À proximité il y avait une grande grange. Le U-2 a obtenu une image claire de la ferme d'Eisenhower, et nous avons créé avec lui une réunion d'information.
Lundahl a fait remarquer l'ajout du nouveau porche, puis Eisenhower a discuté avec le comité réuni et a commencé une tournée littérale de la région. Il a pris un malin plaisir à identifier des objets sur la ferme, en particulier parmi son précieux bétail, il a même fait remarquer un taureau nommé Angus " raconte Air&Space en mai 2011. Arthur Lundahl, ancien géologue devenu expert de photos pendant la guerre, pour amour du détail, et qui avait chez lui une collection incroyable de clichés... sur les OVNIS. Selon le magazine, Bissel choisit aussi à ce moment là de créer un comité chargé de choisir les priorités à photographier, le Ad Hoc Requirements Committee (ARC) dont la direction revint à James Q. Reber. On ajouta au lot de spécialistes un météorologue, Hyko Gayikian... spécialiste du temps qu'il faisait en Russie.
Des OVNIs ? Voilà qui a dû bien servir à Lundahl et à la CIA en 1965. Cette année-là les américains lancent un Corona chaque mois : or le 9 déccembre, à 21h10 UTC, une Thor-Agena D (Thor 2C) a décollé de Vandenberg : c'est Discoverer 98, autrement dit Corona 1027, un satellite de type KH-A. Or le même jour, le soir-même, on annonce à Kecksburg, dans le Michigan la "visite" d'un engin "extraterrestre" (un OVNI !) en fait un objet retombé dans un champ et qui a laissé une longue trace dans la neige, d'après un croquis noir et blanc qui sera fait sur les lieux... (ou colorisé) pour parfaire l'idée, certains affirmeront avoir vu des "étranges inscriptions" sur l’engin tombé : du cyrillique peut-être bien !
On évoque donc en un premier temps la sonde Cosmos 96, destinée à Venus (de la série des sondes Venera), ou son étage de propulsion, qui était devenu hors contrôle. La capsule Venera, lancée le 23 novembre qui précédait, il est vrai aussi, ressemblait beaucoup à la fois à ce qui a été décrit... mais aussi assez à une capsule Corona ! Selon James Olberg, spécialiste de l'espace interwievé dans la série d'History Channel (****) c'était bien cette capsule russe qui avait raté sa rentrée dans l'atmosphère.
Mais aujourd'hui on songe aussi à la capsule de Discoverer 98. Les habitants de Kecksburg avaient été en effet mis à l'écrart du lieu d'impact, et une bataillon complet amené sur place pour ceinturer la zone : la précipitation des militaires et l'ampleur des moyens déployés avaient paru suspect à une bonne partie de la population. Les autorités américaines avaient vite embarqué sur un camion plateau bâché ce qu'ils avaient trouvé sur place, en forme de "capsule" parfois décrite comme ayant la forme d'un gland de chêne : or une capsule Discoverer doté de sa bouée y ressemble comme deux gouttes d'eau ! Des témoignages parlent de "flashs bleutés" :
or la capsule Discoverer/Corona en possédait une aussi de lampe clignotante pour être repéré plus vite ! En 2005, on tentera bien de remonter à la source des documents classifiés sur l'affaire... pour s'apercevoir de la disparition des documents de la NASA à propos de l’affaire ! La réponse de la NASA fut en effet : « le gouvernement avait, en fait, récupéré à Keckburg les restes d'un satellite russe mais que tous les documents d'époque avaient été égarés au début des années 90 » (sic). La CIA, pour sûr, était passée par là. Il est bien tombé quelque chose à Kecksburg, que d'aucuns citent sur le même "niveau" que l'affaire de Roswell. Mais ce n'est sans doute rien d'autre qu'un cône de Corona, ou la sonde Venera... l'agitation militaire sur le site du crash a été telle qu'elle correspond parfaitement aussi au fait que tout le programme Discoverer était un mensonge éhonté. Et que cela ne pouvait pas être dit à l'époque. Sur un site d'ufologie, on trouve ce qui pourrait représenter une explication : "en 1990 un nouveau témoin s'est présenté, un militaire qui affirme qu'il lui a été ordonné de "tirer sur quiconque s'approcherait de trop près" de l'objet, en transit, et a également indiqué que l'objet avait ensuite été transporté vers la base de Wright Patterson.
La découverte intéressante la plus récente est le témoignage d'un ouvrier qui affirme qu'un objet étrange a été livré à la base de la base de Wright Patterson le 16 Décembre de la même année, seulement quelques jours après les événements de Kecksburg. Il a décrit l'objet de manière concordante avec les descriptions d'autres témoins. Tandis qu'il observait l'objet un garde l'a reconduit hors de l'enceinte et lui a dit "vous avez juste vu un objet qui sera connu de tous d'ici une vingtaine d'années." Ou un peu plus : c'était bien une interdiction gouvernementale. Or c'est Clinton qui a déclassifié le dossier Corona, le 22 février 1995 par un "Executive Order" particulier. Soit trente-six ans après le premier lancement. Anecdote à savoir, depuis 2006, les pontes de l'USAF se retrouvent à Wright Patterson pour une réunion secrète ayant pour thème le futur de l'armée et portant le nom de... "Corona" !
(**) "Pied Piper", ou le joueur de pipeau : avouez que le surnom donné au programme était bien choisi : on menait avec le public US, comme les enfants de la fable, où on voulait...
(***) sur l'Opérartion Lusty, relire ma saga ici :
28) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-28-l-operation-lusty-95971
29) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-29-l-operation-lusty-96152
30) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-30-l-operation-lusty-96231
31) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-31-l-operation-lusty-96441
32) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-32-l-arme-secrete-us-96408
33) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-33-l-operation-lusty-96089
34) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-operation-lusty-34-le-v-1-passe-96963
35) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-35-l-operation-lusty-95995
(****) Pour les intéressés, le document d'History Channel sur l'incident de Keksburg.
1) http://www.youtube.com/watch?v=blkDY6p7X9c
2) http://www.youtube.com/watch?v=VKRhgyKe_5g&feature=relmfu
3) http://www.youtube.com/watch?v=abBMaw5Ut4I&feature=relmfu
4) http://www.youtube.com/watch?v=snjIApcX5JU&feature=relmfu
5) http://www.youtube.com/watch?v=uWpxmw1LwU4&feature=relmfu
L'affaire la plus troublante dans ce film est celle de ce qui semble être l'assassinat d'un responsable de radio qui avait pris des clichés de l'engin et avait été visité par la CIA avant de menacer de faire une émission spéciale sur ce qu'il savait. L'hypothèse du météore qui clôt le documentaire est difficilement compatible avec le déploiement militaire vu sur place.
sur Roswell, on peut relire ça ;
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-41-l-operation-lusty-96643
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-42-l-operation-lusty-96747
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-liberation-43-l-operation-lusty-96676
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON