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Missak Manouchian - Une panthéonisation tardive mais un très bel hommage

Victor Hugo a écrit ces trois vers : J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ; J'aurais été soldat, si je n'étais poète. Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers ! Missak Manouchian a dit : « Quand j’étais enfant, je voulais devenir comédien, mais la vie a fait de moi un poète esseulé ». Le poète n’aimait sans doute pas les guerriers. C’était un résistant comme peut l’être un poète devant la fatalité, en lui résistant comme l’exhortait René Char. Son engagement illustre le rôle singulier des immigrés dans la Résistance au nom de leur idéal de liberté, d'égalité et de fraternité. Didier Daeninckx a dit justement : « Missak Manouchian est un poète entré en collision avec l’histoire ». Rescapé du génocide contre les Arméniens, il est mort en résistant contre les Nazis qui ont perpétré la Shoah. A douze ans, orphelin, il avait appris le français et son ambition était la littérature et non pas la guerre. On a célébré le martyr et sa panthéonisation devrait donner envie de mieux connaître l’homme et le poète, qui nous est devenu si familier. 

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Des hommages avaient été rendus au groupe Manouchian pour le Soixante-dixième anniversaire de leurs assassinats par les nazis au Mont Valérien. Avant Missak Manouchian, huit membres de la Résistance ont déjà été honorés depuis le transfert des cendres de Jean Moulin en 1964, dont quatre – Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay – sous François Hollande en 2015. Depuis 2017, Emmanuel Macron a déjà panthéonisé Simone Veil, Maurice Genevoix et Joséphine Baker. Lors de son quinquennat, François Hollande avait raté l’occasion d’un geste fort qui aurait été celui de mettre Missak Manouchian sur la liste des héros de la résistance transférés au Panthéon. Il aura fallu attendre dix ans de plus pour que la panthéonisation aboutisse.

L’entrée de Manouchian au Panthéon a donné un vrai signe fort. La mémoire de ce groupe internationaliste honore les valeurs de la République que la France veut représenter aux yeux du monde entier. Avec Manouchian, ce sont ces valeurs qui entrent au Panthéon.

Cet Arménien mena la résistance avec ses compagnons juifs, Hongrois, Polonais, Roumains, Espagnols, Italiens, et Arméniens. Cet ouvrier, poète et homme de paix n’était pas prédestiné à s’engager dans la lutte armée. Orphelins du génocide arménien de 1915 perpétré par l’Etat Jeune turc, Missak Manouchian et son frère avaient été attirés en France par les valeurs de la République. À son arrivée en France en 1925, il a 19 ans. Il apprend la menuiserie, mais acceptera toutes les tâches qu'on lui proposera. Parallèlement il fonde 2 revues littéraires, Tchank (Effort) puis Machagouyt (Culture). Missak Manouchian fréquente les " universités ouvrières " créées par les syndicats ouvriers (CGT), et en 1934, il adhère au Parti communiste et intègre le groupe arménien de la MOI (Main d'œuvre immigrée). En 1937, on le trouvera en même temps à la tête du Comité de secours à l'Arménie, et rédacteur de son journal, Zangou (nom d'un fleuve en Arménie). Après la défaite de 1940, il redevient ouvrier puis responsable de la section arménienne de la MOI clandestine. En 1943, il est versé dans les FTP de la MOI parisienne dont il prend la direction militaire en août, sous le commandement de Joseph Epstein. Missak dirige donc ce réseau de 22 hommes et une femme. C’est au Parti communiste que Missak va prendre conscience des atrocités qui sont en train de se produire dans cette France collaborationniste qu’il ne reconnait plus. Le 21 février 1944, sa vie s’est arrêté à 37 ans.

« Quiconque oublie son passé est condamné à le revivre », citation lisible à l’entrée du camp d’Auschwitz-Birkenau. Les morts ne le sont vraiment que lorsqu’on ne prononce plus leur nom. Maintenant, on ne les oubliera pas les 23 membres du groupe Manouchian exécutés le 21 février 1944 par les Allemands. Les noms sont inscrits dans le Panthéon.

Missak Manouchian a laissé une lettre posthume comme un message éternel à la paix et au bonheur des peuples… « Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours… »

C’est son action, son groupe internationaliste et, au-delà, sa voix, son message porté par Aragon qui ont empêché qu’on l’oublie. Un modèle à suivre ! Hollande et d’autres n’ont pas su honorer un symbole toujours indispensable de nos jours en cet homme exceptionnel qui représente la résistance pendant le nazisme et un peuple génocidé, c’est-à-dire ceux qui ont payé un lourd tribut à la barbarie de la première moitié du Vingtième siècle, les Arméniens.

Didier Daenninckx a écrit un ouvrage sur Missak Manouchian. L’auteur joue entre l’historien et le romancier. Dans cet ouvrage, on apprend que, en janvier 1955, Louis Dragère, journaliste à L'Humanité, a été missionné par le parti communiste pour retracer le parcours de ce héros de la Résistance à Paris. C'est ainsi qu'il exhume l'ultime lettre de ce communiste arménien engagé, qui contient de nombreux points de suspension, preuves d'une curieuse censure. De rencontres en découvertes d'archives inédites, Dragère comble les blancs au fur et à mesure d'une enquête passionnante où se croisent Jacques Duclos, Louis Aragon, l'ancien chef des Francs-tireurs et partisans Charles Tillon, le peintre Krikor Bedikian ou encore Henri Krasucki. Et se dessine peu à peu le profil étonnant d'un homme bien éloigné de l'image véhiculée par l'Affiche rouge.

Missak Manouchian et son épouse Mélinée, résistante comme son mari, ont enfin leurs places aux Panthéon. Cela a donné lieu à une cérémonie émouvante, remarquablement organisée. Les cercueils ont cheminé en passant trois étapes : survivre, choisir et résister. Des extraits de textes écrits par Manouchian, des chants dont le texte d’Aragon mis en musique par Léo Ferré et brillamment interprété par Feu ! Chatterton, chanteur-poète d’une grande sensibilité. D’abord portés par des légionnaires, ce sont des gardes républicains qui les introduits dans l’enceinte du Panthéon dont la façade a été illuminée par des projections commentées. A l’intérieur, Emmanuel Macron a lu un long discours inspiré d’un autre texte d’Aragon chanté par Léo Ferré « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ». On peut dire que la cérémonie était un bel hommage et a bien mis en évidence qui était Missak Manouchian, un résistant courageux certes mais aussi un homme de culture. Missak a traduit en arménien des grands noms de la poésie française. Il était lui-même poète.

Missak Manouchian faisait partie des milieux artistiques et littéraires de la diaspora arménienne. Dans les années 1930, il a cofondé une revue littéraire en langue arménienne. La BULAC en a conservé six des douze numéros en langue arménienne parus entre juillet 1930 et juin 1931. Après la Libération, sa veuve Mélinée et un comité de soutien ont édité un recueil posthume de sa poésie. Mélinée est demeurée, pendant quinze ans, en Arménie soviétique. L’avènement de Khrouchtchev, le 14 septembre 1953, et de la déstalinisation lui a permis d’obtenir l’autorisation, en 1962, de se faire soigner d’un cancer à Paris. Elle a donc quitte Erevan pour Paris.Elle n’y est jamais retournée. En 1974, elle fait paraître son livre Manouchian, (Les Éditeurs français réunis, 1974). En 1985, elle participe au film documentaire de Serge Mosco Boucault Des terroristes à la retraite, dans lequel elle met en cause la direction du PC dans l’arrestation du groupe Manouchian, selon Christophe DAUPHIN dans un article « Manuchian » paru dans la revue « Les hommes sans épaules (Missak MANOUCHIAN (leshommessansepaules.com). Le 31 décembre 1986, le président François Mitterrand la nomme, par décret, chevalier de la Légion d’Honneur. Mélinée meurt le 6 décembre 1989, à l’âge de 76 ans . Arsène Tchakarian, l’ultime survivant du groupe Manouchian, s’est éteint à 101 ans le 4 août 2018.

Que dire d’Emmanuel Macron à la suite de cette panthéonisation qu’il a décidée. Quelles ont été ses motivations ? On peut penser qu’elles ne sont pas toutes désintéressées. On peut penser que les sondages favorables au Rassemblement National après des années de dédiabolisation commencent à inquiéter Macron et son entourage. N’a-t-il pas profité de cette panthéonisation pour ressortir le concept politique d’arc républicain dont il exclue le RN ? En son temps à Matignon, Elisabeth Bornes en avait aussi exclu les Insoumis. Macron se contente de montrer du doigt des Insoumis qu’il ne nomme pas. On peut aussi penser qu’en fin de deuxième mandat, Macron veut entrer dans l’Histoire avec un grand « H » et il faut reconnaître que l’entrée du couple Manouchian au Panthéon est un fait historique important. Toutefois, avec Macron, il y a toujours un « en même temps ». Ainsi il soutient les Arméniens tout en ménageant Aliyev, le dictateur azéri et en faisant de Rachida Dati, soutien de ce dictateur, la ministre de la Culture. Macron n’a rien fait pour protéger le peuple d'Artsakh et affirmer son droit à l’autodétermination. Il a tardé à founir des armes à l’Arménie, contrairement à ce qui a été fait pour l’Ukraine. Les armes fournies tardivement ne sont pas à la hauteur des besoins et c’est l’Inde qui en fournit davantage pour les Arméniens dont une partie du territoire est occupé par les Azéris qui pratiquent le harcèlement et continuent à tuer des Arméniens. Qu'a fait l’ Europe si ce n'est de conclure des accords gaziers avec l'Azerbaïdjan, jamais dénoncés par Macron. La Panthéonisation est aussi pour Macron un acte politique tourné vers les 800.000 électeurs français d’origine arménienne.

La politique antisociale menée par Macron depuis 2017 est aux antipodes des convictions politiques de Missak Manouchian et de son groupe. Dans un entretien au sujet de la cérémonie de panthéonisation, Robert Guédiguian (cinéaste qui a réalisé le long métrage « L’armée du crime ») dit en quelques mots le fossé entre Macron et le groupe Manouchian : « … cette victoire de la France que j'aime : ce n’est pas la France de Maurras ou de Barrès qui entre avec eux au Panthéon, c’est un idéal de justice absolu, une capacité d’indignation et de révolte folle jusqu’à aller au sacrifice de sa vie, un engagement total pour la vérité, pour la République, pour la démocratie et aussi pour le partage des richesses, il faut le dire, ils étaient tous des communistes qui voulaient fabriquer des communs  ». ( Journal La Provence, entretien avec Frédéric GUILLEDOUX, publié le 21/02/24) 

La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian est l’hommage mérité par tout un groupe et le seul mérite leur revient. Chacun des présidents de la République saisi de cette panthéonisation avait le devoir de la mener à terme. Hollande ne l’a pas fait. Macron l’a fait à son deuxième mandat et, en partie, par calcul politique. Il n’a fait finalement que son devoir. La porte du Panthéon ne pouvait se refermer sur de grands résistants sans que Missak Manouchian n’en fasse partie, avec son épouse. Il aura fallu attendre 80 ans ! Nous retiendrons toutefois que ce fut un très bel hommage. 

Victor Hugo a écrit dans un long poème intitulé « Mon enfance » ces trois vers : J'ai des rêves de guerre en mon âme inquiète ; J'aurais été soldat, si je n'étais poète. Ne vous étonnez point que j'aime les guerriers ! Missak Manouchian a dit : « Quand j’étais enfant, je voulais devenir comédien, mais la vie a fait de moi un poète esseulé ». Il est passé par un orphelinat français au Liban puis a émigré en France en 1924. Ouvrier, il suit en parallèle des cours à la Sorbonne et commence à écrire des poèmes. Il s'engage ensuite en politique en adhérant au Parti communiste français. Il était poète mais ne rêvait pas de guerre. C’était un résistant comme peut l’être un poète devant la fatalité, en lui résistant comme l’exhortait René Char. Son engagement illustre le rôle singulier des immigrés dans la Résistance au nom de leur idéal de liberté, d'égalité et de fraternité. Didier Daeninckx a dit justement : « Missak Manouchian est un poète entré en collision avec l’histoire ». Rescapé du génocide contre les Arméniens, il est mort en résistant contre les Nazis qui ont perpétré la Shoah. A douze ans, orphelin, il avait appris le français et son ambition était la littérature à Paris et non pas la guerre. On a célébré le résistant et sa panthéonisation devrait donner envie de mieux connaître l’homme et le poète, qui nous est devenu si familier.

En 1956, quelques-uns de ses poèmes ont été publiés en Arménie soviétique. Des traductions françaises partielles ont été réalisées à partir de cette dernière édition. L'exemplaire conservé à la BULAC est un document exceptionnel. Récemment numérisé, il a servi à réaliser une édition bilingue intégrale du recueil de poèmes, publié en janvier 2024 par Stéphane Cermakian : Missak Manouchian, Ivre d'un grand rêve de liberté, Stéphane Cermakian (trad.), Paris, Points, « Points Poésie », 2024.

 


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6 réactions à cet article    


  • Clocel Clocel 23 février 17:23

    Ça donne envie de se faire trouer le cul pour la Gueuse...

    Elle arrive à faire mourir deux fois ses victimes.


    • Clocel Clocel 23 février 17:26

      Le soldat inconnu, au moins, on ne lui aura pas coller sa femelle pour l’éternité.


      • Com une outre 23 février 17:37

        Moi je trouve que le Panthéon, cela devient comme la Légion d’Honneur. Ce qui n’enlève rien à l’action héroïque de Manouchian qui sûrement mérite un hommage, comme bien d’autres résistants français.

        Quand à Macron, c’est bien sûr de la récupération à des fins politiques, Manouchian représente tout ce qu’il n’aime pas : les communistes, la culture, la France profonde et patriote, etc... Personnellement, cela me le rend encore plus détestable, j’aime pas les faux-culs.


        • Seth 23 février 19:53

          @Com une outre

          C’est effectivement à peu près pareil mais ça coûte plus cher et le moumoute y brille beaucoup mieux. smiley

          Mais bon, Genevoix et la Momone avec son compagnon le Toinou, j’ai pas tout bien compris. Et il a Baderninter en réserve ! Encore une occasion pour les manants de s’esjouir en perspective. smiley


        • njama njama 23 février 21:33

          Les commémorations mémorielles ne manquent pas ces derniers temps... manipulation des esprits ?...

          Les animaux morts au champ d’honneur

          https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-animaux-morts-au-champ-d-252833

          pour faire comme les anglais ? Animals in War Memorial is a war memorial, in Hyde Park, London

          https://en.wikipedia.org/wiki/Animals_in_War_Memorial

          Dans cette récente ambiance pathologique aux commémorations de toutes sortes, on peut s’attendre à tout.

          Et ce bleu horizon ! un message subliminal ? pour le « réarmement civique », la métaphore guerrière du monarc Macron, l’uniforme à l’école bientôt pour tous, le SNU bientôt obligatoire, l’embrigadement de la jeunesse, endoctrinement... pour les domestiquer, leur apprendre à obéir,...

          les rendre prêts à se faire chair à canons pour aller bientôt casser du moujik ? pour sauver l’Ukraine, ou la dépecer, c’est selon...


          • cétacose2 24 février 18:14

            Ce Manouchian aurait assassiné 150 allemands ! mais où est la morale ?

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Jean d’Aïtone

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