Où est Macron ?
En mai, fais ce qui te plait
(expression populaire reprise en autres par le préfet Grimaud pour raconter ses souvenirs de mai 68)
Bon. Le petit génie avait décidé d’ignorer les manifestations d’hostilité de son bon peuple et de s’envoler pour les antipodes. Il avait déclaré que la France est « un pays qui n’a accepte les changements que lorsqu’on lui explique les yeux dans les yeux ce que l’on veut faire ».[i] Aussi, pour pacifier ce « pays parfois d’esprit belliqueux », il résolut de le considérer depuis le Pacifique. Il avait laissé les clés de l’Etat à son premier ministre et à son ministre de l’Intérieur. Le 1er mai qui s’annonçait devait être le tournant final dans la mise au pas des trublions qui s’agitaient dans les rues. La grève des cheminots allait devenir vraiment impopulaire. Les syndicat d’Air France seraient court-circuités, comme en 1994, par un « recours au peuple », une consultation des salariés, un appel direct à leur raison, à leur bon sens et, pourquoi pas, à leur sens de l’histoire.
Et pour bien commencer cette série de victoires, 1200 « casseurs » s’inviteraient à la manifestation des syndicats
Ce chiffre, 1200 « casseurs », était annoncé par des alertes le matin du 1er mai, voire la veille par des rumeurs. Contrairement à ce que déclarent sans barguigner quelques commentateurs professionnels, il y avait si peu de contrôle policier sur la place de la Bastille que je n’en ai rencontré aucun.
Ce jour-là, le cortège syndical tarda à s’ébranler et fut coupé au niveau du quai de la Rapée. Une petite partie venait de s’engager sur le pont d’Austerlitz. J’étais dans la partie du cortège bloquée sur la rive droite.
Nous assistâmes à ce que nous prenions alors pour le début de cette nouvelle bataille d’Austerlitz. Le cortège engagé sur le pont commençait de refluer. La police devait faire un usage abondant des gaz puisque nous en ressentions les effets quai de la Rapée. Certains se replièrent sur Bastille ou renoncèrent. Le quai Henri IV offrait sur le pont un excellent poste d’observation, rendu inconfortable cependant par les gaz que le vent portait jusque là. Entre outre, n’ayant pas été sécurisé, la circulation automobile s’y poursuivait à une assez vive allure alors que des manifestants le traversaient. Un embouteillage s’y produisit bientôt, quelques voitures faisant demi-tour devant nous ; puis, ce fut un cortège de voitures qui remonta à contre sens. Aucun accident ne fut à déplorer cependant, semble-t-il.
Des fumées remontaient du métro Quai de la Rapée. La manifestation semblait se disperser. Avec un groupe d’amis, je finis par faire demi tour par le boulevard Morlan, du nom d’un colonel mort lors de la première bataille d’Austerlitz, le 2 décembre 1805. Au niveau de l’Arsenal, la police était très présente, mais un peu égarée. Dans le bruit de leurs sirènes, des véhicules se croisaient sur le pont de Sully. Sur les trottoirs, refluaient des manifestants qui avaient sans doute réussi à passer le pont d’Austerlitz. A contre courant, nous sommes passés sur la rive gauche.
Qu’on se garde d’exciter une sédition dans un parti en se flattant de pouvoir l’arrêter ou la diriger à sa volonté.
Nicolas Machiavel, Histoire de Florence (1525)
Ce n’est que plus tard que nous apprîmes les événements que nous n’avions pas vus, et les commentaires des politiques professionnels et des commentateurs professionnels.
L’événement principal était la prestation des 1200 « black blocs » dont les images envahissaient tous les écrans. On les voyait déployer devant les forces de police cette banderole fort explicite : « Cette fois on s’est organisé ».
On s’interrogea alors sur la façon dont le gouvernement avait organisé ses forces de police, lui dont les services avaient annoncé la venue de 1200 « casseurs ». Dans leurs rôles respectifs, mais sur le même créneau, Eric Ciotti et Marine le Pen dénonçaient l’incurie du gouvernement, voire même, pour la seconde, sa « mansuétude » et sa « complicité ».
Le premier ministre et le ministre de l’Intérieur n’ont pas brillé dans cette séquence, alors que leur « boss » brillait par son absence. Convoqué sur les écrans le soir même et peut-être frappé par la limite d’âge, l’ancien maire de Lyon s’embrouillait dans les chiffres. L’ancien maire du Havre, lui, a déclaré d’un air convaincu : « Je peux vous dire qu’en aucune façon il n’y a eu défaillance de l’État ». Il a même tweeté avec la plus grande fermeté : « Ce n'est pas parce que le Président part en voyage officiel en Australie qu'il n'y a pas de pilote dans l'avion ».
Mais la défaillance de l’Etat n’est pas celle que les vieilles droites dénoncent comme par réflexe. Cette nouvelle bataille d’Austerlitz aurait dû être le Waterloo des mouvements sociaux. Il est de « bonne police » pour un gouvernement d’utiliser les « violences populaires », de les susciter, de les exciter, de les laisser faire et parfois de les organiser. Le problème n’était pas les 1200 « black blocs » dont la participation était prévue, c’était cet autre cortège de 14000 « radicaux »[ii] ,en amont du cortège syndical. Dès lors, il eût difficile pour une police « républicaine », fût-elle dirigée par un gouvernement Wauquiez ou Le Pen, d’appréhender 1200 « black blocs » sans déplorer des dommages collatéraux. La police estimait à 20000 personnes le cortège syndical. La proportion entre les deux cortèges n’est plus un simple problème de police (de contrôle ou de répression), mais un problème de politique sociale.
Quant au souverain volant, il contribua au trouble et au malaise en faisant des confidences au magazine américain Forbes. Le jour de « fête du travail et des travailleurs », il confia son intention de supprimer une « exit tax » qu’avait instaurée Sarkozy. A force d’employer des mots anglais pour faire « style » ou « disruptif », on s’expose à être mal compris, ou trop bien compris : le petit génie entend-il exciter les masses pour les radicaliser ?
Nous mai ahhhh !!!!
(petite affichette qui s’est répandue sur les murs ce 5 mai 2018, lors de « la fête du petit génie »)
Cette semaine du 1er mai devait se terminer par « la fête à Macron ». L’intéressé étant toujours en terres australes, ce fut pour ses partisans l’occasion d’une débauche de mises en garde. D’abord, il fallait que François Ruffin, organisateur de l’événement, garantisse l’ordre public. C’était surtout le rôle de la police et la préfecture finit par lui demander de changer le lieu du rendez-vous : du Louvre, il fut déporté à Opéra. Lui-même se fendit d’une petite vidéo pour dire : FÊTE À MACRON : VOUS ÊTES TROP NOMBREUX !
https://www.youtube.com/watch?v=wd_kzm01gcI
Mais les mises en garde furent surtout d’ordre sémantique : « Faire la fête à Macron », n’est-ce pas un peu, sur les bords, si on y pense bien, sans exagérer, « un appel à la violence » ?
Diantre ! Il y aurait-il là comme un crime de lèse-majesté ? La cour du petit Macron a les talents qu’elle peut. J’ai déjà parlé des chiennes de garde.
https://blogs.mediapart.fr/jules-elysard/blog/060617/chiens-de-garde-et-canards-de-cours
Ici, ce sont une sous-ministre et une aspirante à un ministère quel qu’il soit. L’une, qui se prend pour un écrivain, gazouille sans rire une remarque « grammaticale » le matin du 5 mai : « La fête DE Macron eut été plus correct » (« tournure grammaticale » qui ne s’embarrasse pas du subjonctif et donc du circonflexe). L’autre, le lendemain sur France Inter, se lance dans une grande analyse politique pleine de finesses et de statistiques : « C’est un grand meeting des forces d’extrême gauche ».
https://twitter.com/les_repliques/status/992713082391683073?s=19
Mais la langue de cour de la monarchie macronienne emprunte surtout au langage managérial dont le but essentiel est de travestir la réalité afin d’« accompagner le changement » ; de le rendre acceptable aux ressources humaines qui ne comprennent rien aux subtilités de l’économie et à la pensée complexe d’un ancien banquier.
Ainsi, à « cotisations sociales », on préférera « charges qui pèsent sur les entreprises ». On ne parlera pas de « licenciements », mais de « plans sociaux ». Et les drames sociaux ne seront qu’un aspect regrettable de la très profitable « destruction créatrice ».
Les « black blocs » et leur « destruction créatrice » ne sont pas invités à « la fête à Macron ». Ils ne furent d’ailleurs pas annoncés par les services de renseignement. Quant aux participants, ils réunissaient plus de monde que les deux cortèges du 1er mai. Les « personnes radicales », mais non-violentes, s’étaient-elles fondues dans un cortège réformiste, mais joyeux ?
Comme il fut plaisant, dans la première partie du trajet, de voir tous ces rideaux baissés ! A l’exception de quelques cafetiers, entrepreneurs audacieux qui ont fait leur beurre en vendant de la bière, le temple de la consommation était fermé ce samedi. Bien sûr, il se trouvera des experts comme ceux de l’IFROT[iii] pour calculer l’impact de cet événement sur le PIB ; le mesurer en termes de coût, de perte de points de croissance... Mais, chez ces gens là, on ne vit pas, on compte.
On s’est demandé en titre de ce billet d’humeur : Où est Macron ?
Il était en voyage, portant sa bonne parole à l’ouest, puis à l’est. Mais si le pèlerin a subjugué Bernard Guetta, évidemment, il n’a convaincu ni « le maître du monde libre » qu’il a rencontré outre-Atlantique, ni les cheminots qu’il ne s’est pas abaissé à recevoir. Et voilà que, pour sortir de la grève, ces « agitateurs » de la SNCF envisagent un « référendum » qui a si bien réussi à Air France.
Il venait à peine d’atterrir qu’il recevait ce conseil fort à propos : « Soyez très ferme avec tous ces gauchos de la politique qui ne veulent que foutre la merde ! »
Macron est à droite, évidemment, n’en déplaise à un Ciotti, à un Wauquiez et à toutes les Pen. Président de l’entreprise France et d’une nouvelle droite, moderne et managériale, dont il est aussi le directeur général. Pour épater le bon peuple, il cherche à instaurer une « culture d’entreprise » qui emprunte aux monarchies du passé. Mais son modèle, secret puis affiché, c’est ce businessman devenu lui aussi chef d’Etat et à qui il aime tant se frotter : Donald Trump.
[i] Entretien du Point (30 août 2017)
[ii] Les mots du préfet de police Michel Delpuech ne manquent pas de saveur :« En amont du cortège syndical, s’est constitué un autre cortège constitué dit de personnes radicales. Dans un volume très important : 14 500. Et au sein de ce groupe s’est glissé au moins 1200 Black Blocs, ces personnes qui s’habillent de noir, qui masquent, qui se protègent au moment de commettre des exactions ».
[iii] Institut Français pour le Retour à l’Obéissance des Travailleurs, dirigé bénévolement par Agnès Merdier.
Documents joints à cet article
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON