Sans contrainte pas de création ?
C'est au détour d'une actualité sur @si que cette question m'a vicieusement pris au dépourvu : sans contrainte pas de création ? Question fondamentale terriblement éclairante en fait sur l'état schizophrénique de notre société.
C'est au détour d'une actualité sur @si que cette question m'a vicieusement pris au dépourvu. L'article traitait initialement des mouvements de personnes dans l'émission hebdomadaire (qui existe toujours sur le net depuis son arrêt sur France5), notamment la parisienne a décidé d'arrêter.
L'annonce, facheuse en soi car c'était quand même un agréable moment de divertissement (pour ceux qui n'ont pas suivi cet épisode, cette artiste proposait depuis 6 mois et chaque semaine une chanson humoristique sur le thème de l'émission hebdomadaire), est expliquée ainsi par Daniel Schneidermann : format générateur de trop de contraintes, trop de tension, ce qu'il résume par cette affirmation abrupte sur laquelle je suis resté bloqué : "sans contrainte, pas de création".
Pourquoi bloqué ? Car sur le coup impossible de me faire une opinion ! Trop lourd à digérer comme question, comme un coup de massue sous une apparence anodine.
J'ai fini après réflexion par ressentir une immense profondeur à cette question, car illustrant complètement la schizophrénie de notre société qui n'a pas vraiment choisi où elle veut aller !
L'Homme a évolué (globalement) vers toujours plus de conscience et de liberté, il a entrepris et construit de grandes choses, dirigé par sa soif de connaissance et son inspiration créatrice.
Mais l'Homme a aussi évolué vers toujours plus de maîtrise de son environnement, mais avec toujours plus de contraintes, de règles, de lois, y compris dans la maîtrise des autres Hommes, d'automatisation, d'aseptisation. Ce sont les dictatures, les luttes de classes entre les dirigeants propriétaires des moyens de production et les autres vendant leur force de travail à travers un contrat, les insecticides, le risque zéro...
Bref, l'Homme peut à la fois être le plus insouciant et le plus inquiet de son avenir. Il sait à la fois construire son devenir sans s'en inquiéter, tout en mettant des barrières et en tentant de tout contrôler pour se rassurer de l'incertitude du futur.
Cette schizophrénie est illustrée tous les jours par l'état de notre société (occidentale ?) qui ne promet plus rien d'autre que le bonheur par la consommation hystérique et la servitude (volontaire) au travail ou le chômage. L'uniformisation de toute forme de culture, de mode, d'environnement, de pensée...
Mais de quoi avons nous peur ? C'est cela qui nous empêche aujourd'hui de créer des choses avec plaisir. Qui nous inonde de stress au quotidien. Pourtant l'avenir n'est qu'à construire !
Car où est la création aujourd'hui ?
Certainement pas dans la consommation. Seul le plaisir nous est promis dans la consommation.
Et le plaisir ne nous est plus promis dans la création. Car elle a été reléguée il me semble à deux endroits : le loisir, et le travail subordonné.
A la maison c'est Loisirs et Création, macramé, scrapbooking et LeroyMerlin... Mais ce n'est pas ce que je veux appeler de la création. Ce n'est pas ce genre d'activité qui construit une société meilleure. Ce n'est pas comme cela que l'Homme a créé un réseau routier, un système d'éducation, un remède contre la rage, une théorie du BigBang.
A part peut-être un artisan, un artiste autodidacte, peut-être une profession libérale, aujourd'hui la création est devenue un métier : chercheurs, publicitaires, ingénieurs...même les banquiers crééent des montages financiers...
Quelque part c'est pas mal d'être payé pour cela. Mais en même temps quelle est la valeur de l'acte de création décidé par un contrat de travail ? Quelle valeur pour un acte de création planifié dans un rétroplanning, budgété à trois ans, soumis à des directives hiérarchiques ? Quel intérêt réel pour la société ?
La valeur de ces actes de création "subordonnés" est récupérée par leurs propriétaires : l'employeur, l'actionnaire. Même la propriété intellectuelle d'une invention est la propriété des entreprises et non des chercheurs salariés.
Ici ce n'est bien sûr pas l'intérêt de la société qui prime, mais le bénéfice pour l'entreprise.
D'aucun dira que la société progresse ainsi. Que pour obtenir des résultats il faut pressuriser les gens, que mettre des délais stimule la créativité...
Mais bien au contraire, c'est bien parce qu'avec un délai la créativité n'est plus libre que La Parisienne s'en va... Daniel n'aurait rien compris ?
La sphère publique représentée par les politiques n'est pas génératrice de création, seulement de gestion.
La création est donc ailleurs : l'acte de créer est en chacun de nous. Mais toute la malice du capitalisme est de détourner ce potentiel à son profit.
Volta ne travaillait pas pour General Electric, M. Poubelle ne travaillait pas pour Véolia, Marie Curie ne travaillait pas pour Areva, Trevithick ne travaillait pas pour la SNCF, les Frères Lumière ne travaillaient pas pour Gaumont-Pathé...
Mais Jules Ferry travaillait pour l'Instruction Publique, Newton travaillait à l'Université de Cambridge...
Et Hénard l'inventeur des ronds-point, et l'inventeur de la charrue, le créateur du soutien-gorge, l'inventeur de l'architecture romane, le créateur du bateau à voile...
Et Pasteur, et Rembrandt, et Einstein, et Edith Piaf...
Auraient-ils vraiment aussi bien créé sous la contrainte ?
Finalement la réponse à cette question ne résulte peut-être pas d'une analyse absolue.
Peut-être n'est-ce qu'un choix. Un choix de vie, un choix de société. Avec ou sans contrainte.
Et dans ce cas, à part les impératifs naturels (dont certains vont nous revenir bientôt dans la figure nous obligeant vraiment à créer), je sais ce que je préfère et que je défendrai autant que possible...
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