Sous le soleil des tropiques, les hanches d’Aissatou
En ces temps de climat social tendu, de manifestations ponctuées de violences, de gouvernance paralysée, retour 30 ans en arrière pour un court et souriant voyage en Afrique sub-saharienne...
Le village, proche de la ville malienne de Kolokani, vit, en ce mois de mai 1989, au rythme de l’activité de ses modestes paysans. Ousmane se repose à l'ombre du grand si yiri, cet arbre familier plus connu en Europe sous le nom de karité. Présentement, il fait trop chaud pour travailler. D'ailleurs il fait trop chaud tous les jours. Alors, tous les jours, Ousmane fait une longue sieste ou fixe, hypnotisé, le balancement des hanches d’Aissatou lorsqu'elle pile le mil, vêtue de son boubou multicolore. Bien que la belle soit issue de la minorité soninké, Ousmane ne regrette pas son choix : épousée quelques années plus tôt contre une dot de deux chèvres et un sac de noix de kola, Aissatou est la meilleure du village pour préparer le tiga dégué de mouton et le yassa de poulet dont il raffole. C'est aussi la meilleure pour lui faire pleurer le baobab.
Ce soir, Ousmane mettra son pantalon et sa veste de bogolan pour rendre visite à ses amis Moussa le griot et Boubacar le berger. Ils boiront la bière traditionnelle, le dolo, et palabreront longtemps sous le regard des étoiles, indifférents au rire des hyènes dans la brousse. Puis Moussa jouera de la kora, accompagné par le balafon de Boubacar. Ousmane écoutera ses compagnons bambaras et laissera son imagination vagabonder. Comme toujours, bercé par la musique, il s'abandonnera à un rêve érotique peuplé de créatures lascives et de saillies enfiévrées.
Sans doute faut-il voir dans cette érotomanie une déformation professionnelle. Lorsqu'il ne fait pas la sieste ou ne trait pas ses vaches à bosse azawak, Ousmane sculpte en effet des statuettes en bois d’ébène ou de kola pour le compte de Lassana, son cousin du Kremlin-Bicêtre, importateur pour la France de curiosités africaines vendues par des compatriotes sur les marchés. Rien qui puisse intéresser les galeries « ethniques » des grands musées : Ousmane travaille plus modestement pour les gogos parisiens désireux de donner à la décoration de leur loft une coloration exotique et quelque peu égrillarde. Ousmane sculpte toujours le même personnage : un grand Noir dégingandé dont le pagne en paille de riz ne peut dissimuler l'impressionnante érection. Au fil des ans, le membre s'est démesurément allongé, et Ousmane s’est attaché à fignoler le poli du gland. Obnubilé par la turgescence du membre, il n'a par contre jamais songé à baptiser le personnage.
Sous les branches du karité, Ousmane abandonne un instant les fesses d’Aissatou pour réfléchir. Soudain, il se met à rire de toutes ses dents sous le regard impassible d’un couple d’amarantes juché sur une branche de l’arbre : le personnage se nommera tout simplement Alexandre... Alexandre le gland ! Ousmane rigole de plus belle, puis son rire se fige devant le spectacle des reins en mouvement de sa superbe épouse. Une bouffée de chaleur l'envahit. Il appelle la pileuse en boubou : "Le mil attendra, Aissatou, viens donc là m'agacer les calebasses !"
Ce texte est illustré par un très beau tableau du peintre Roger Burgi intitulé « Femme pilant le mil »
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