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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > La mythologie citoyenne

La mythologie citoyenne

A mesure que la classe politique et les médias traditionnels d’information sont de plus en plus discrédités, le citoyen, par un étrange phénomène de vase communicant, devient un être merveilleux, paré des plus beaux atouts. Ce nouveau mythe, légitime enfant d’une ère individualiste et narcissique, contient pourtant les germes d’une dérive intellectuelle dangereuse, qui ne sépare plus le concept de l’objet, le puissant désir d’élévation et l’imparfaite nature humaine.

Il serait fastidieux de relever toutes les expressions incluant le terme citoyen, que ce soit dans les discours, articles ou analyses véhiculés par les médias. A ce titre, AgoraVox, le média citoyen, ne fait pas exception à la règle. Mais ce mot tant prononcé n’est plus pensé. Il est maintenant usé, vidé de son sens, accroché à toutes les langues de bois officielles.

Pourtant, avant d’être paré d’une auréole illusoire, un citoyen était tout simplement une personne civique, possédant le droit de cité, c’est-à-dire le droit de vote. A ce titre, les immigrés, les prisonniers et les enfants ne sont pas des citoyens. Mais la grande majorité des Français sont donc des citoyens, sans distinction. dans ce cas, qui composent nos institutions, nos entreprises, notre classe politique ? Qui sont les bâtisseurs de cette société tant décriée ? Qui sont nos élites ? Des citoyens, bien sûr.

Un renversement s’est donc opéré, insidieusement. On voit la logique du raisonnement, parfaitement calqué sur le système idéologique dominant, qui voit l’avènement du règne de Narcisse. Chacun d’entre nous, désireux d’être entendu, considéré, aimé, se voit ainsi caressé dans le sens du poil. Ce processus de personnalisation a été complètement assimilé par la classe politique et par les médias, qui valorisent le journalisme d’accompagnement - Comment se raser le matin ? Comment perdre trois kilos en trois jours ? Comment séduire ? - . On pourra ainsi lire six pages sur la mode vestimentaire dans Libération, ou feuilleter le supplément du Parisien " La Parisienne ", dont le sommaire laisse pantois.

Mais lorsqu’il fait rage, le débat, les langues se délient, et les pensées secrètes montrent le bout de leur nez. Le référendum sur le oui au traité constitutionnel en fut un extraordinaire exemple. Le oui était le camp du savoir, de l’intelligence, de la raison, le non, tout le contraire. Les déclarations, de gauche comme de droite, ont été d’une violence inouïe contre les partisans du non. Madame de Panafieu estimant par exemple, qu’à bac + 4, on ne pouvait voter non. Le mythe citoyen en a alors pris un coup, mais puisque la nouveauté, la vitesse et le changement sont les nouveaux paradigmes de nos sociétés occidentales, la page a vite été tournée.

Ce terme de citoyen nous individualise en éradiquant le mot peuple, trop connoté, se subtitue avantageusement à l’inquiétant individu, et efface la personne, puisque tout le monde veut être quelqu’un. Dans la mesure où le débat contradictoire et argumenté est banni, et toute pensée discordante vilipendée ou tournée en dérision, on ne pouvait trouver de terme plus consensuel... et plus évidé. N’était-ce pas le but recherché ?


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17 réactions à cet article    


  • Scipion (---.---.15.167) 14 mars 2006 16:40

    « Le référendum sur le oui au traité constitutionnel en fut un extraordinaire exemple. Le oui était le camp du savoir, de l’intelligence, de la raison, le non, tout le contraire. »

    L’exemple, cher Didier, n’est extraordinaire que françaisement parlant. En Suisse, où on vote énormément, vous le savez peut-être, c’est comme ça chaque fois que le bon peuple ne se prononce pas comme souhaitaient les intellectuels.

    Dans les jours qui suivent, on vous démontre, statistiques et sondages à l’appui, que ceux qui ont mal voté habitent plutôt la campagne que la ville, n’ont pas dépassé le stade de l’école obligatoire, exercent des professions peu gratifiantes, ont un niveau de revenus plutôt bas, etc., etc.

    Vous l’aurez deviné, j’appartiens moi-même régulièrement à la cohorte de ces peu reluisants citoyens. Mais de temps en temps, je prends ma revanche, que je savoure sans restriction. Ca a été le cas l’autre jour, avec un sondage sur les médecines dites alternatives...

    C’est ainsi que j’ai découvert que ce sont les citadins, instruits, de professions libérales et à revenus élevés, qui sont les plus sensibles aux pratiques des sorciers, chamanes, marabouts, mages, fakirs et derviches tourneurs, qui envahissent nos cités, depuis une dizaine, ou une quinzaine, d’années...

    Comme quoi les affreux aussi trouvent leurs petites compensations dans cet « univers impitoyable »...


    • Christophe (---.---.58.18) 14 mars 2006 20:59

      Ah, la citoyenneté !!!

      La philosophie anthropologique l’aborde comme vous le faites me semble-t-il ; elle donne deux notions différentes : citoyenneté intégratrice et citoyenneté utilitaire.

      La citoyenneté intégratrice est vu par Van Gunsteren comme une volonté associée à la démocratie dans l’environnement national (dans les pays occidentaux). Cette citoyenneté avait deux dimensions :
      - cohérence entre les aspects politiques, juridiques et sociaux avec, au coeur, la représentation politique assurée par la démocratie.
      - concommitance entre l’idée d’émancipation personnelle et d’intégration à une communauté politique. Ces points essentiels ont permis de devenir plus autonome, de s’arracher à une appartenance particulière de type ethnique ou religieuse pour participer à un ensemble plus large.

      Dans ce schéma, le besoin d’appartenir à une communauté autre que nationale est limitée dans la mesure où c’est l’Etat qui prend en charge la sécurité de l’individu.

      Aujourd’hui, nous vivons à l’heure de la mondialisation ; les frontières nationales sont virtuelles. l’individu n’arrive plus à penser son émancipation sur le mode de l’intégration. Dans le meilleur des cas, la citoyenneté exprime la volonté de s’inscrire dans un projet collectif que dans le désir rationnel de recevoir quelque chose ; nous parvenons donc à la citoyenneté unitaire.

      Laurence Hengel exprime que cette citoyenneté conduit à : Etre victime ou faire sa loi, être mouton ou loup ; telle semble être la seule alternative. Si le client n’est pas content, il s’en va ou casse tout

      Quant à Mary Anderson, elle aborde la problématique sur le Moi à forte connotation individualiste : le citoyen devient ainsi, dans un espace donné, un explorateur de son propre Moi présent, dont l’interaction avec d’autres Moi prend une forme temporaire et interchangeable

      J’ai avancé ses propos dans un sujet de M. Reboul sur son approche de la politique et particulièrement de la démocratie. La philosophie anthropolique expose, en ces terme la différence entre l’homme-perspectif cher aux Lumières à l’homme-présent ; en relatant la différence fondamentale que le perspectif tend vers la notion de projet, et de projet partagé (pour une peuple) alors que l’homme présent ne vit plus sur ce mode ; sans projet, l’homme-présent tend à perpétrer le présent, à le rendre autarcique en le détachant du passé sans avoir de projet commun pour l’avenir.

      Nous pourrions considérer que nous sommes passés d’une ère politique au postpolitique ; la démocratie a perdue toute sa substance puisque internationale, sans projets commun si ce n’est matérialistes qui n’a pour but que les intérêts individuels accentuant le détachement et faisant basculer le citoyen unitaire en citoyen utilitaire.

      Comme l’utilitaire ne se satisfait pas de l’utopie, nous basculons vers l’uchronie.

      Mais beaucoup pensent que la philosophie est une utopie ; mon discours doit donc être dépassé ! smiley


      • didier (---.---.98.92) 15 mars 2006 00:30

        Merci pour ce remarquable commentaire. Je pense effectivement que notre cher citoyen est avant tout revendicatif, obsédé par son Moi - d’autant plus obsédé qu’il le sent friable -, et soucieux d’être reconnu à sa juste - grande ? - valeur par la collectivité. Une nouvelle économie psychique, calquée sur le modèle économique dominant, voit le jour. Dans l’indifférence générale, et bien sûr, pour le plus grand bonheur de l’humanité. A condition de ne plus penser.


      • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 15 mars 2006 09:13

        L’idée de citoyenneté n’a pas disparue elle s’est transformée sous l’affirmation du primat des droits de l’homme sur les droits et des devoirs de l’homme politique.

        Est citoyen aujourd’hui qui dispose des moyens poltiques de faire valoir ses droits fondamentaux ; en cela nous ne sommes plus dans une société républicaine communautaire ou nationaliste ; mais cela n’interdit pas la solidarité ou le refus des injustices ; cela veut simplement dire que la justice est aux service non d’un ordre social intangible sacralisé mais de tous les hommes sans dicrimination.

        La citoyenneté vivante aujourd’hui est individualiste donc mondialement solidaire. Nous sommes autant concernés par la CPE que par les génécides nationalistes ou etniques dans le monde. L’individualisme éthique est au fondement de l’idée de droit de l’homme et le narcissisme, que vous semblez détester par préjugé, n’est pas du tout anti-social, car il inclut sous la forme de la citoyenneté la relation positive aux autres e à leurs droits. Qui n’est pas narcissique dès lors qu’il revendique le respect des droits de l’homme pour soi et les autres ?

        Pas de projet commun dites-vous ? Et alors, quelle communauté devrais-je servir pour croire y trouver une identité personnelle ? Une communauté religieuse holiste (communauté=communion) en est seule capable, mais, nous le savons, au prix des libertés.

        Etre philosophe c’est toujours soumettre la politique à l’exigence d’universalité qui seule peut donner sens rationnel à l’idée de justice. Votre position me paraît nostalgiquement régressive et pour tout dire liberticide, car négatrice du primat des droits de l’homme (et de la femme) sur la vie politique. Etre citoyen aujourd’hui c’est aussi lutter pour la reconnaissance du droit des étrangers et revendiquer le droit de vote pour les étrangers vivants en France, au nom des droits de tous les hommes.

        Qui a peur de la liberté « individuelle » est condamné à se donner, voire à imposer, une nouvelle religion théologico-politique nationaliste, contre les autres..

        Lire Benjamin Constant sur ce thème

        L’illusion politique

        Le rasoir philosophique


      • Christophe (---.---.223.84) 15 mars 2006 12:28

        Mais quels sont les devoirs que vous présentez pour limiter la liberté individuelle rationnelle (L’obéissance au devoir est une résistance à soi-même. Bergson) ? Prôner la liberté individuelle absolue consiste à opter pour la voie de l’anarchie. Les devoirs se tranforment en interdits uniquement pour permettre, à une humanité qui n’a pas atteint l’âge de raison, d’éviter la dérive anarchique.

        [...] mais cela n’interdit pas la solidarité ou le refus des injustices ; cela veut simplement dire que la justice est aux service non d’un ordre social intangible sacralisé mais de tous les hommes sans dicrimination.

        Vous omettez, à mon sens, que la justice ne peut être vue que dans le champs interprétatif de chaque individu ; particulièrement fonction de ses intérêts propres. La justice est un percept abstrait qui trouve son sens dans le contexte culturel individuel. Le percept de la justice est universel, le concept ne l’est pas ; où alors, vous posez le postulat que les facteurs interprétatifs sont orientés, imposés donc antilibéraux.

        La citoyenneté vivante aujourd’hui est individualiste donc mondialement solidaire.

        Individualiste dans son sens réel ou fourvoyé ; l’individualisme dans le sens de la reconnaissance de la prééminence de l’individu sur le groupe, la collectivité, la société, ou dans le sens commun se rapportant plus à l’égoïsme, voir l’égocentrisme. Cette dérive sémantique a pour origine la tendance dominante de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif.

        Vous semblez poser le postulat de la bonté naturelle de l’Homme en exposant ainsi que l’individualisme conduit à la solidarité mondiale. La citoyenneté unitaire n’est solidaire que si l’individu trouve un intérêt individuel à être solidaire. Nous retrouvons la source du développement communautaire, communautés d’intérêts individuels.

        L’individualisme éthique est au fondement de l’idée de droit de l’homme et le narcissisme, que vous semblez détester par préjugé, n’est pas du tout anti-social, car il inclut sous la forme de la citoyenneté la relation positive aux autres e à leurs droits. Qui n’est pas narcissique dès lors qu’il revendique le respect des droits de l’homme pour soi et les autres ?

        Pas plus l’auteur que moi-même ne détestions le narcissisme ; encore moins par préjugé. Vous faites là un procès d’intention non constructif. Le narcissisme que vous reconnaissez n’a nulle nécessité d’être associé à l’individualisme ; il permet simplement de montrer que nous ne sommes pas des individualistes, mais que nous avons basculé vers l’égocentrisme ; qui par regroupement dans l’intérêt individuel conduit à l’ethnocentrisme.

        Par contre, un narcissique revandiquera pour lui et peut revendiquer pour les autres uniquement si cela lui rapporte. Le narcissique cultive l’amour excessif de soi, associant survalorisation de soi et dévalorisation de l’autre (base psychologique).

        Pas de projet commun dites-vous ? Et alors, quelle communauté devrais-je servir pour croire y trouver une identité personnelle ? Une communauté religieuse holiste (communauté=communion) en est seule capable, mais, nous le savons, au prix des libertés.

        L’identité personnelle ne se construit pas indépendamment de la cummunauté à laquelle nous appartenons ; mais la démarche d’émancipation permet de s’en détacher par l’esprit. La justice elle-même restreint les libertés pour un bien commun ; ce bien commun ne peut être défini que dans un environnement donné. une communauté holiste peut ne pas être religieuse ; elle peut regrouper des individus ayant un même point de vue qui certes peut être vue sous l’angle de la doctrine. La mondialisation répond-t-elle, pour vous à la volonté d’une communauté holiste ?

        Etre philosophe c’est toujours soumettre la politique à l’exigence d’universalité qui seule peut donner sens rationnel à l’idée de justice. Votre position me paraît nostalgiquement régressive et pour tout dire liberticide, car négatrice du primat des droits de l’homme (et de la femme) sur la vie politique. Etre citoyen aujourd’hui c’est aussi lutter pour la reconnaissance du droit des étrangers et revendiquer le droit de vote pour les étrangers vivants en France, au nom des droits de tous les hommes.

        Etre philosophe, à mon sens, c’est toujours soumettre l’Homme à l’exigence de l’universalité perceptuelle qui seule peut donner un sens à la vie. J’insiste donc sur la notion de percept et non de concept ; entre les deux, il existe un élément que l’on nomme interprétation, mécanisme de base qui reste donc le premier processus soumis à la notion de liberté, celle de penser. Le rationalisme, dans ce contexte, est une doctrine qui enferme et limite la prétendue liberté.

        Quant à votre jugement, un de plus, concernant la vision régressive, cela ne démontre que votre vision de la philosophie est quelque peut restrictive. A l’inverse de vos propos à notre égard, nous ne devrions pas initier notre discours par des préconceptions ; la philosophie évolue par le questionnement et non par les certitudes. Ces dernières ont tendance à fermer le champs d’investigation de la pensée.

        Qui a peur de la liberté « individuelle » est condamné à se donner, voire à imposer, une nouvelle religion théologico-politique nationaliste, contre les autres..

        Actuellement, dans les propos tenus ne transparait aucune crainte de la liberté individuelle. Nous pouvons recevoir les propos constructifs, détachés de toute vision restreinte, pour mener à bien un dialogue polémique sans émettre de jugement de valeur sur les intervenants. Cette dérive, que nous constatons chaque jour sur ce journal citoyen met en évidence non pas la volonté de convaincre ; ce qui sur ce sujet précis n’est pas mon but ; mais uniquement de démontrer que chacun porte en lui une vérité absolue, si cela possède un sens réaliste.

        Mon propos ne repose donc pas sur le postulat qu’il existe une vérité absolue exprimée par tel ou tel intervenant. Il existe un seul monde, mais il existe une foultitude d’interprétation de ce même monde. L’échange peut être enrichissant uniquement si nous avons la capacité d’exposer nos idées sereinement, en occultant nos certitudes qui sont un frein à une approche intelligible.


      • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 15 mars 2006 15:19

        Si je comprends bien, vous valoriser le « percept » aux dépens du « concept » pour penser rationnellement l’idée de citoyenneté.

        D’une part je ne comprends pas très bien ce que vous appellez percept, sinon le sentiment communautaire spontané lui-même, d’autre part je pense que la politique aujourd’hui doit s’affranchir du sentiment d’appartenance fusionnelle et d’identification collective pour penser rationnellement dans le registre de l’universel en droit (et non pas seulement en fait) et de l’idée de justice. Et cela ne peut se faire qu’en tant que l’individu citoyen se détache par l’usage critique du concept (toujours déconstruisant les illusions et préjugés collectifs) de ses liens affectifs spontanés.

        Je suis pour cette raison très favorable au fait que les individus ne se sentent plus attachés à une communauté particulière inmovible, qu’ils deviennent nomades et multiples dans leurs identités relationnelles partielles, elles mêmes diverses ; c’est la condition et le résultat de la liberté de penser qui s’inscrit dans le travail philosophique depuis son origine, lequel est aussi à l’origine intellectuelle de la libération du religieux qui définit la politique moderne (et aussi l’ensemble de la culture), y compris sous sa forme républicaine nationaliste.

        La société moderne n’est pas (plus) la communauté mythique des sociétés traditionnelles et si l’on peut admetter la seconde ce ne peut être que dans un cadre privé ou public infra-politique et non pas politique au sens de l’organisation et de la régulation de la société globale, sauf à prétendre définir la justice comme le défense inconditionnée de son groupe contre les autres..

        Toute l’histoire humaine et contemporaine exige de nous, aux regard des massacres qui ont marqué toutes les tentatives communautaristes et anti-individualistes ou anti-libérales, de mener ce combat pour la raison qui consiste à disqualifier tous les percepts affectifs collectifs infra-politiques qui prétendent commander la politique dans une société individualiste . C’est aussi cela la laïcité.

        La philosophie est critique ou n’est pas ; elle n’a pas de certitude toute faite, mais, justement, elle ne doit pas penser dans la perspective de percept qui confortent ces certitudes, mais dans la dynamique du concept pour nous aider à penser les conditions de la crise et donc de son dépassement vers d’autres formes de sociétés et d’imaginaire social. Elle doit penser le monde aussi pour le transformer, c’est la leçon non seulement de Marx mais, avant lui, de la philosophie des Lumières dont nous sommes tous les héritiers sur ce forum.

        Philosophie et culture


      • Christophe (---.---.252.125) 15 mars 2006 15:39

        Sur votre sujet concernant le dénie de la notion de peuple dans le système politique, mon dernier propos émettait ce qui suit :

        A mon sens, votre raisonnement repose sur des principes de fragmentation, de rupture, de désordre et de l’entropie plutôt qu’orienté vers la cohésion. Probablement parce que dans le monde, l’appartenance semble se penser et se vivre sur le mode de l’ethnos plutôt que de la polis, celui de la primordialité que celui du projet.

        Vous abordez une problématique politique en reprenant l’exposé de Marcel Mauss sur le modèle Babylonien ; à cette époque, votre position aurait tenue position prépolitique à l’opposé du politique. Votre propos, dans notre contexte ne se situe pas dans le prépolitique, mais le postpolitique.

        D’autre part, je reprendrais les propos tenus par Le furtif sur ce même sujet :

        Le peuple est bien la notion floue et ambigue que vous décrivez...Mais la democratie s’inscrit dans ce que les sociétés humaines appellent l’histoire. Faire intervenir l’expérience et ses acquis , l’éducation , nous sortirait de l’impasse au moment d’aboutir à ce que vous nommez une solution alternative unifiée.Historiquement cette tentative a pris le nom de « Programme »

        Il n’est pas indifférent de constater le quasi consensus gauche-droite sur l’absence totale de programme. Cette unanimité en dit long sur l’intention qu’ils ont de respecter la volonté exprimée du peuple.

        Cette intervention de Le furtif est intéressante sur l’approche du politique. Comment trouver une notion de programme sans faire appel à la notion de consensus ? Le consensus peut-il être trouvé, à l’échelle mondiale, selon les diverses pensées qui animent chaque individu ?

        Dans ce contexte, il me semble évident que l’émancipation individuelle doit s’inscrire dans un cadre mondial sans repère ; du fait de l’existence d’un système sans repère l’émancipation ne peut se vivre que sur l’opposition au système par la création de valeurs, de repères qui trouveront leurs racines dans une communauté d’idées ou une autre. Comme vous le dites, les nations ont souvent eu tendance à se construire contre d’autres ; et les communautés, aujourd’hui, se construisent de la même façon et ont le même but ; elles s’opposent entre elles.

        Le contexte mondial pose une problématique actuellement insurmontable ; les aspects culturels des différentes nations qui le compose. Nous pouvions déjà remarquer que ces notions culturelles étaient un frein à une totale cohésion dans un cadre national malgré une culture connexe ; nous avons ouvert le cadre, agrandi ses limites sans se préoccuper de ces phénomènes qui sont rejetés idéologiquement par la notion utopique de l’universalisme cognitif.

        De ces simples faits nous constatons que les communautés géographiques, appelées nations, sont obsolètes ; se créent désormais des communautés d’intérêts. Nous ne changeons en rien les restrictions des libertés existantes dans les nations, elles ne sont que transposées dans d’autres périmètres communautaires. Le pivot de cette transformation est le but de chaque communauté. Les nations avaient des buts politiques, juridiques et sociaux alors que les communautés n’ont qu’un seul et unique but dans notre contexte l’intérêt individuel de chaque membre de la communauté en donnant la primauté à l’intérêt individuel de celui qui domine la communauté ; puisqu’à l’intérieur même d’une communauté, le comportement narcissique est présent.

        Si vous souhaitez avoir un exemple concret, il est cité par l’auteur : le comportement de la classe dominante française lors de la campagne pour le TCE. Si nous prenons l’exemple le plus flagrant, celui des médias, ceux qui détenaient une position dominante ont écrasé toute objectivité en faisant valoir leur avis propre, alors que les membres de ces mêmes médias n’ayant pas l’aura issu de la domination se sont organisés contre la position dominante.


      • Christophe (---.---.252.125) 15 mars 2006 16:07

        D’une part je ne comprends pas très bien ce que vous appellez percept

        Le percept est vu sous l’angle anthropologique. Il exprime une situation à un instant donné sans interprétation. La phase d’interprétation humaine permet de passer du percept au (ou aux) concepts. Les phénomènes culturels jouant un rôle prépondérant dans notre vision conseptuelle du monde, il est nécessaire, à mon sens, de les intégrer dès lors que nous abordons les principes de liberté.

        Pour matérialiser cette approche, partons d’un exemple simple, voir simpliste. Imaginons une personne qui nait et grandit à Paris ; lorsqu’elle abordera certaines situation, elle les transcrira en fonction de ses connaissances propres. Posons l’hypothèse que cette même personne nait et grandit à Pekin. Lorsqu’elle verra la même situation, elle n’aura pas la même approche conceptuelle que si elle était née à Paris.

        Chaque individu se construit sur les bases de sa propre expérience qui devient, pour l’instant présent, son histoire. Deux êtres culturellement différents peuvent mener une même action sans avoir la même motivation ; comme pour une même motivation ils peuvent mener des actions différentes. Pour les percepts abstraits, par exemple la notion de liberté, ces deux personnes n’auront ni la même approche, ni la même exigence.

        Ces divergences qui semble nous distancer son issues de ma propre culture puisque la philosophie, l’anthropologie, la psychologie, ... sont des sciences connexes dans le domaine que j’étudie : la cognition. Ces phénomènes sont interconnectés avec des notions complexes comme les notions temporelles.

        Je repecte votre approche philosophique, mais elle me semble être théorique donc introduisant des valeurs empiriques dites universelles. Non que je conteste cette approche, mais l’homme est d’une complexité qui ne me semble pas s’accomoder à nos approches rationnelles ; du moins ce fût l’une de mes conclusions durant mes travaux sur l’interprétation des langues. En fait, mon approche portait plus sur un trop grand nombre d’approximations comblées par des heuristiques à tendance intentionnelles (ce qui reste un comportement humain).


      • Christophe (---.---.252.125) 15 mars 2006 16:30

        Toute l’histoire humaine et contemporaine exige de nous, aux regard des massacres qui ont marqué toutes les tentatives communautaristes et anti-individualistes ou anti-libérales, de mener ce combat pour la raison qui consiste à disqualifier tous les percepts affectifs collectifs infra-politiques qui prétendent commander la politique dans une société individualiste . C’est aussi cela la laïcité.

        Nous sommes d’accord sur l’objectif final ; mais nous serons toujours soumis à l’affectif individuel sans lequel nous ne serions plus Homme.

        Nous luttons pour la liberté dont seule l’individualisme peut être garant. Mais il faut entendre l’individualisme dans le sens qui lui sied, et disqualifier le narcissisme qui tend, par la culture du Moi, à la domination, au rejet de l’autre, source de tous les conflits que nous avons connu.


      • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 15 mars 2006 17:15

        En ce qui concerne ma position, vous pouvez la qualifier de post-politique si vous voulez. Pourquoi pas ? déjà B Constant avait défini la liberté des modernes comme la liberté d’individus qui ne considéraient pas la politique comme une fin en soi, mais comme un simple moyen d’assurer la paix et la liberté individuelle. Seuls les responsables politiques professionnels identifient leur existence personnelle et leur buts propres avec la politique, voire avec le pouvoir dont ils jouissent..Mais cette vision post-politique est tout à fait adaptée au sociétés modernes a-religieuses et donc a-politique au sens ancien que j’appelle laïque et pluraliste.

        Les dirigeants politiques favorables au TCE ont tout simplement payé le double discours qui consistait à accuser l’Europe de leurs propres manquements pour s’en dédouaner. Difficile ensuite de convaincre des bienfaits de l’Europe...

        De plus c’est le fameux modèle français du service public confondu avec la fonction publique étatisée que les fonctionnaires et leurs proches ou ceux qui aspirent à la devenir ont défendu par le NON au TCE, donc par réflexe corporatiste et rien d’autre. Mais ce modèle est en train de partir en quenouille dans tous les domaines : transports, communication, énergie, éducation/formation et santé. Donc c’est un simple « barout d’honneur » car Le NON au référendum ne change rien à l’évolution des choses : il ne fait que la rendre encore moins démocratique.


      • Christophe (---.---.252.125) 15 mars 2006 17:44

        La qualification postpolitique n’a rien de condamnable ni péjoratif. Il est, à mon sens, évident que la multiplication des sens individuels ne peut plus se conjuguer à la politique dans son but consensuel. Cette qualification permet de centrer votre propos dans la modernité que nous vivons.

        Pour ce qui concerne le TCE, il est certain que l’effet de balancier utilisé pour justifier les maux de notre société n’a pas été favorable pour beaucoup de nos concitoyens.

        Il est tout aussi évident que la politique française, centrée sur un Etat centralisateur aux pouvoirs accrus, est un critère mettant en évidence notre difficulté à nous adapter à une nouvelle donne dans laquelle, le politique n’a plus l’importance de jadis.

        Le monde change et cela est indéniable. L’approche postpolitique vient du fait que nos nations se sont construites par la politique alors que le monde se contruit par l’économie. Le politique est relégué au second plan ; et le citoyen oscille entre le statut de consommateur et de rémunéré. D’où cette notion de citoyen utilitaire.


      • (---.---.98.92) 15 mars 2006 21:03

        Monsieur Riboud, vous confirmez ce que je redoutais : pour vous, un citoyen revendique avant tout ses droits, et non ses devoirs. Et bien sûr, il faut le satisfaire, sans même débattre. Les sociologues, les psychologues, les politiques accompagnent le mouvement. C’est ce qu’on appelle entre autre l’évolution des moeurs. On la constate, on l’approuve, mais on ne la pense pas. La simplification ultime consiste à croire qu’elle correspond parfaitement à une soi-disante nature humaine. Toute critique formulée, même lumineuse - lire « l’homme sans gravité », de M. Melmann -, est tout de suite, comme vous le faîtes si bien, cataloguée réactionnaire ou rétrograde.

        Vous êtes philosophe, mais vous me semblez emmuré dans des dogmes et des concepts « prêt à penser » qui font frémir. Je ne prétend absolument pas que la société occidentale est d’une infinie laideur, mais je constate que peu de personnes - si, Marcel Gauchet- arrivent à en dévoiler les subtils rouages et à proposer une interprétation globale. Voilà le défi.


      • didier (---.---.98.92) 15 mars 2006 21:27

        Monsieur Riboud, votre caricature des partisans du non relève sur ce point précis d’une grande indigence. Lisez le traité, et vous constaterez que les mots libre échange, marché, stabilité des prix... se ramassent à la pelle - le monde diplomatique en a fait le décompte -. Il y a même un article qui prévoit de protéger le marché en cas de guerre entre deux pays membres. Avons nous affaire à un traité constitutionnel, donc politique ? Non. Lisez la constitution américaine, et vous constaterez qu’en bons libéraux, toute politique économique en est absente. De plus, quel était l’argumentaire du camp du oui ? Le vôtre, en plus injurieux. Alors s’il vous plait, arrêtez d’être simpliste.


      • Yuca de Taillefer (---.---.185.2) 16 mars 2006 18:44

        Etre citoyen, c’est accepter la société dans laquelle on vit, et cette société donne démocratiquement des droits et des devoirs. Notre société pour une personne de nationalité française, c’est la France, puisque c’est cette entité qui détient la souveraineté sur ces droits & devoirs : être citoyen, ce n’est pas un mythe, c’est respecter les régles établies par la démocratie.

        Mais il faut séparer la citoyenneté d’un individu de l’opinion d’un individu. Ce n’est pas parce que une loi est votée, qu’un citoyen l’approuve... il doit l’accepter, mais il peut dire en public qu’il la désapprouve... mais s’il enfreint les régles, alors il devient « hors-la-loi ».

        Si le terme de citoyen plaît, c’est parce que l’Etat et les médias ont pour but d’avoir de « bons citoyens », c’est à dire des citoyens qui ne fassent pas trop de vagues. Autant le terme peut individualiser, mais en même temps cela est fait exprès, l’Etat préférant avoir en face de lui des individus.

        Le but recherché est de « faire société » même si il est difficile à la République d’empécher le débat démocratique et le développement technologique : mais il est clair que des « dérives » énoncées (carcan « républicain », communication ou propagande médiatique sur tels ou tels sujets etc..) fait que la société des citoyens elle-même se réorganise pour ne pas être dans des carcans...

        D’où le probleme aujourd’hui puisque la mythologie républicaine est d’avoir un état tout-puissant autoritaire et tutélaire et des citoyens zombies (caricature !) et suivistes des élites... La mythologie citoyenne énoncée ne serait alors que la conséquence de la mythologie républicaine.


        • (---.---.66.77) 16 mars 2006 19:32

          « Ce terme de citoyen nous individualise en éradiquant le mot peuple, trop connoté, se subtitue avantageusement à l’inquiétant individu, et efface la personne, puisque tout le monde veut être quelqu’un. Dans la mesure où le débat contradictoire et argumenté est banni, et toute pensée discordante vilipendée ou tournée en dérision, on ne pouvait trouver de terme plus consensuel... et plus évidé. N’était-ce pas le but recherché ? »

          Je ne suis pas d’accord avec votre conclusion. Je me souviens très bien avoir grandi dans un monde où le mot peuple était rarement prononcé, noyé dans des termes autrement plus rabougrissants tels « le bon-peuple » ou les « petites gens » (sic.) certains voulaient nous faire croire que nous étions tous forcément des amateurs de hamburgers, le mot citoyen n’effleurait même plus les esprits, même en suisse où on vote tout le temps et les termes du débat démocratique en était arrivé à la spéculation sur la réintroduction de la peine de mort...

          Les braves gens se laissaient allègrement traiter de grand-public ! Atroce, là il y avait dilution totale des individus dans l’imposition forcée du fait qu’on les souhaitait surtout spectateurs de la politique, vous vous en souvenez certainement.

          Le terme de citoyen réactualisé a remis les pendules à l’heure dans la revendication populaire, il n’y a de peuple libre que si les individus sont libres, du moins de leur parole et de leurs actes tant que ceux-ci ne nuisent pas à autrui. L’individu doit être encouragé à faire des propositions à la société et le terme de citoyen est alors approprié puisqu’il n’est ni connoté religieusement ni politiquement.

          Donc : Il me semble que le terme de citoyen au contraire permet aux individus fondamentalement différents d’avoir un dénominateur commun, laïque, apolitique, neutre, qui permet et leur expression et le sens d’appartenir à un ensemble qui les respecte, de se percevoir comme faisant partie d’une société qui respecte justement toutes les différences des individus et qui permet qu’ils ne s’enferment pas dans celles-ci.

          C’est pourquoi, à l’ombre de la mondialisation technocratique, bon nombre d’individus se réclament d’être citoyens du monde et celà ne dilue en rien ni leur culture ni leur foi ni aucun élément qu’ils pourraient revendiquer , mais signifie (pour moi tout du moins) qu’ils ne veulent pas que leur propre nation les enferme dans une culture dominante et qu’ils tiennent à faire respecter leurs propres choix.

          cordialement.


          • dom (---.---.66.77) 16 mars 2006 19:34

            excusez-moi, j’avais oublié de signer. cordialement encore.


            • jean luc fougeray (---.---.102.217) 21 mars 2006 18:27

              Très bonne réflexion sur une des mythologies qui consistent à naturaliser des ombres, à instituer le bon sens en absolu. Le citoyen est l’avatar ultime du miroir que se donne la politique pour continuer à se justifier dèslors que sont morts faute d’usage le prolétaire, le républicain, le partisan, le peuple, les masses et qu’on a voulu disqualifier les majorités par l’unanimisme vide et assesué de cette chimère (ni de droite, ni de gauche) qu’on commet à toutes les nécessités.

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