Pas de liberté sans propriété
La liberté est peut-être le concept le plus important en philosophie politique. Pascal Salin, dans son livre “Libéralisme”, commence par expliquer les liens entre liberté et propriété, et pourquoi l’un ne peut pas se penser sans l’autre. La propriété, ici, doit être comprise au sens large : chaque être humain est propriétaire de soi, des fruits de son activité, de ses créations. La propriété est toujours associée à un acte de création.
Reconnaître la nature humaine
Pascal Salin introduit, dans le chapitre 3 de son livre Libéralisme, l’idée forte suivante : la liberté n’existe pas sans la propriété.
C’est ce qu’il explique dès le début du chapitre :
Les droits de propriété ne concernent pas les rapports entre les hommes et les choses, mais les rapports entre les hommes. Dire qu’un homme est propriétaire d’une chose ou d’une activité c’est dire qu’il peut exclure autrui de l’usage de cette chose.
Or comme les ressources existantes et celles que les hommes créent sont limitées, il existe toujours des problèmes d’exclusion. C’est dire que les droits de propriétés existent toujours. Le problème qui se pose alors est de savoir s’ils sont définis de manière optimale, c’est-à-dire de manière à permettre aux êtres humains d’atteindre librement leurs propres objectifs.
C’est cela la liberté. Elle ne se définit pas de manière positive (je fais ce que je veux), mais de manière négative (je ne peux pas faire ce qui nuit à la liberté des autres, c’est-à-dire ce qui vient empiéter sur leur propriété). Qu’il s’agisse d’une propriété immatérielle (personnes, créations) ou matérielle. L’idée mise en avant pas Pascal Salin à ce moment est aussi le fait qu’il n’existe pas de richesses naturelles. Toute richesse est issue d’une création.
La propriété précède la loi
La propriété est donc fondamentale dans la pensée libérale : respecter la propriété, c’est respecter la liberté individuelle des personnes, et c’est respecter les personnes tout court. On ne peut pas penser correctement la liberté, sans définir la propriété. Il n’y a pas de liberté sans propriété. Ce n’est pas la loi qui fixe les droits de propriété : la propriété de soi, de sa production, de sa création fait partie du respect de l’être humain, comme le précisait déjà Bastiat :
Le droit à la propriété est antérieur à la loi. Ce n’est pas la loi qui a donné lieu à la propriété, mais, au contraire, la propriété qui a donné lieu à la loi. Cette observation est importante, car il est assez commun, surtout parmi les juristes, de faire reposer la propriété sur la loi, d’où la dangereuse conséquence que le législateur peut tout bouleverser en conscience.
Pourquoi la propriété est-elle si souvent décriée, alors ? L’explication de Pascal Salin permet de comprendre comment se développent les critiques du capitalisme :
Si la propriété privée est souvent dénoncée et critiquée ; si le système qui repose sur une définition claire des droits de propriété, à savoir le capitalisme, est considéré comme menaçant, c’est tout simplement parce qu’on ne possède pas une perception correcte de l’activité humaine. On considère implicitement le plus souvent qu’il existe des richesses, et que le problème essentiel est de répartir ces richesses de la manière la plus “juste” possible. Le capitalisme, système d’appropriation privée des ressources, est considéré comme contraire à cette vision communautarisme et altruiste. En réalité, le capitalisme est moralement fondé parce qu’il correspond à la nature profonde de l’activité humaine. Et c’est bien pourquoi on peut le considérer comme un système d’organisation “efficace”.
Et, par ailleurs, un échange est créateur de richesse, s’il est effectué entre deux personnes libres : chacun voit un gain de valeur subjectif dans l’échange, sinon il ne le ferait pas. C’est ce que négligent les approches visant uniquement à comparer la valeur marchande des biens échangés (la seule quantifiable), mais qui oublient de souligner que tout échange libre est créateur de richesse subjective.
La contrainte et la liberté
Pascal Salin explique ensuite pourquoi l’opposition entre propriété privée et publique est stérile, et empêche de voir la distinction - beaucoup plus critique - à faire entre appropriation pacifique et par la contrainte :
Or si l’on admet qu’un individu est propriétaire de lui-même, c’est-à-dire qu’il n’est pas esclave d’autrui, on doit bien admettre qu’il est propriétaire des fruits de son activité, c’est-à-dire de ce qu’il a crée par l’exercice de sa raison [...] la reconnaissance de la nature humaine d’un individu implique la reconnaissance de ses droits de propriétés sur ce qu’il a créé.
L’opposition habituelle entre la propriété privée et la propriété collective (publique) ne constitue pas l’opposition essentielle. La différence fondamentale est celle qui existe entre l’appropriation pacifique et légitime, d’une part, l’appropriation par la force et illégitime, d’autre part. Existe-t-il des situations où la contrainte elle-même est désirée par les individus et où elle peut, par conséquent, devenir légitime ?
La propriété fait partie de la nature humaine
Dans une société sans contrainte, on est propriétaire d’une ressource soit parce qu’on l’a créée soi-même, soit parce qu’on l’a obtenue par l’échange en contrepartie d’une ressource que l’on avait créée, soit parce qu’on l’a obtenue par un don de celui qui l’a créée. Autrement dit, le fondement de la propriété réside toujours dans un acte de création. C’est pourquoi, on peut dire que le droit de propriété est inhérent à la nature même de l’homme, qu’il en est inséparable. C’est la grandeur d’une société libre - c’est-à-dire d’une société sans contrainte - que de permettre à l’homme d’agir conformément à sa nature. Ainsi, si l’on définit le libéralisme comme la défense d’une société sans contrainte, on doit dire que le libéralisme est un humanisme et même, plus précisément, que l’humanisme est indissociable du libéralisme.
Désolé pour cet article riche en citations, mais je trouve la langue de Pascal Salin très claire et agréable à lire, et ce bouquin est décidemment un grand livre, rigoureux et passionnant. De quoi remettre en cause beaucoup d’idées reçues, sur la liberté, la justice et la conception que l’on peut se faire de la société.
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