Quand la corde rompt, adieu le cochon !
Le dernier des ’PIGS’ (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne) semble prêt à traverser les mêmes difficultés que les autres. La liste s’allongera sans doute. C’est l’occasion, au début de l’année 2011 de prendre du recul, et de parler d’une crise autant politique qu’économique.

En Grèce, l'activité industrielle ralentit (- 7,6 % entre novembre 2009 et novembre 2010). Le nombre de voitures neuves vendues a baissé de 37 % entre 2009 (244.000) et 2010 (153.000). Le secteur automobile aurait perdu 20.000 emplois (source). La Grèce occupe désormais la première place, devant le Venezuela, dans le classement réalisé par CMA Datavision des seize pays risquant le plus rapidement de faire défaut sur leur dette. Pour tous les pays concernés, les CDS ('credit default swaps' / assurance contre le risque de défaut) augmentent. Pour l'achat de dix millions de dollars de dette grecque à cinq ans, il faut débourser un dixième de la somme, c'est-à-dire un million de dollars (source).
Athènes vendra le 11 janvier pour 1,5 milliard d'euros de bonds du Trésor à six mois ; lors de la précédente émission (novembre 2010), le taux s'est établi à 4,82 %, c'est-à-dire à un taux trois fois supérieur à celui qui prévalait en début d'année : taux de 1,38 % le 12 janvier (source). A Athènes, la presse bruisse des rumeurs d'une prochaine restructuration de la dette : 348 milliards d'euros en 2011 (152,6 % du PIB). Les prêts du FMI et de l'Union européenne arrivent à échéance en 2013 (110 milliards d'euros). Les autorités grecques négocieraient un allongement des remboursements, tout en s'en défendant publiquement (source) [Lire aussi El Zapatero]
En Irlande, le taux de chômage progresse, à 13,4 % en décembre (source). On apprend que le Premier ministre Brian Cowen n'est autre que le ministre des Finances qui a dîné et joué au golf avec Sean FitzPatrick, le patron de l'Anglo-Irish Bank, la plus engluée dans les investissements immobiliers catastrophiques. Ces entrevues ont juste précédé la recapitalisation par l'Etat de la banque irlandaise, en septembre 2008 (source). La quatrième banque irlandaise passera bientôt sous le contrôle de l'Etat, à l'occasion d'un renflouement important (3,7 milliards d'euros). L'Etat irlandais détiendra près de 93 % d'Allied Irish Bank. Dans le même temps, le gouvernement a annoncé un nouveau resserrement budgétaire, avec une baisse des dépenses (- 4 milliards d'euros) et une augmentation des impôts (+ 2 milliards d'euros) [source]. La Chambre basse du Parlement irlandais a approuvé à la mi-décembre le plan de sauvetage mis en place par les organisations internationales et le gouvernement ; en contrepartie des 85 milliards d'euros d'aide (source), le gouvernement s'est engagé à ramener le déficit de 30 % (2010) à 3 % (2014) par des coupes dans les dépenses, aides sociales comprises (source) [lire aussi Les émigrés, dehors !].
La presse espagnole se réjouit quant à elle à l'avance de l'annonce par le vice-Premier ministre Li Keqiang d'un achat par l'Etat chinois de six milliards de dette espagnole. Ce montant équivaudra celui envisagé par Pékin pour les achats de dettes grecque et portugaise. L'officiel chinois écrit dans une tribune à 'El Pais' qu'il « soutient les mesures adoptées par l'Espagne pour son réajustement économique et financier et a la ferme conviction que le pays parviendra à une reprise économique générale » (source). De toutes façons, les banques européennes s'intéressent toujours à l'Espagne (source). Jose Luis Zapatero se félicite de la réduction des déficits publics : 11,2 % en 2009 contre 9,3 % en 2010. Cela ne lui paraît pas contrevenir pour autant avec ses objectifs de croissance 'consolidée' pour l'année 2011 (source). Le chômage a baissé de 0,25 points en décembre. Cela permet de glisser sur la progression annuelle et sur le taux brut (19,8 %), double de la moyenne européenne (source) [lire aussi Cantona qui bat la campagne].
Les 'PIGS' (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne), se trouvent désormais réunis par le même sort. Le premier des pays cités n'a pas encore essuyé la tempête financière subie par les autres, mais semble ne pas pouvoir y échapper (source). Rien ne permet en outre de clore la liste. Chaque organe de presse suggère ses propres noms, sur la base d'analyses ou de calculs savants, de publications d'agences de notations, de déclarations de ministres français ou allemand, que sais-je encore ? Il m'apparaît surtout que le fossé entre les faits économiques et les déclarations s'élargit, les hommes politiques pastichant les illusionnistes - si les chiffres sont mauvais, je vais en présenter d'autres - et les béats - après la pluie le beau temps. Personne ne porte la responsabilité de la situation, la thèse du cataclysme imprévisible servant de paravent. Et si l'opinion enrage contre le marché fou, le libéralisme mortifère, les capitalistes inconscients, c'est autant de gagné ! Chacun oublie au passage le passé récent, l'absence de règles claires, les collusions entre les Etats et les entreprises, ou pire les incitations critiquables (bulle immobilière).
J'ironiserai bien sur l'aveuglement des partis politiques belges empêtrés dans une crise institutionnelle dont personne ne sonde le fond alors que la dette souveraine dépasse le PIB belge (source). Mais qu'en est-il dans les pays précédents ? En Grèce, le gouvernement se targue d'un projet de mur à la frontière terrestre avec la Turquie européenne (source). Dublin annonce une quasi suppression des taxes pour les voyageurs, alors que les Irlandais souffrent des effets cumulés de la crise et de l'augmentation des impôts (source). Madrid chasse les fumeurs jusque dans les espaces publics ouverts (source). Cet inventaire souffre d'une partialité évidente, mais figure le décalage entre les enjeux économiques et la communication politique. Que vaut la vertu proclamée à longueur de journée - entendez la rigueur budgétaire - si un grand nombre d'Européens finissent par considérer que les communiquants amusent la galerie, que les responsables de la crise courent toujours, que les gouvernants cachent leurs intentions réelles et que la construction européenne a provoqué le chaos par l'entremise de la monnaie unique ?
Nous assistons à l'agonie d'une génération politique. Cette conviction me semble aussi évidente que l'issue de cette crise économique dessinée à grands traits me paraît obscure et inquiétante. Je terminerai sur le cas de la France, étant entendu que l'on est jamais mieux servi que par soi-même. A l'heure de l'incendie européen, les pompiers hexagonaux dissertent sur le bien-fondé des 35 heures (lire Econoclaste). Louis Chauvel dans une tribune envoyée au Monde m'offre néanmoins les principaux arguments pour conclure : Les jeunes sont mal partis. Le sociologue rappelle que les jeunes français ont dû s'adapter quand leurs aînés bénéficiaient de l'essentiel des avantages d'un Etat protecteur et redistributeur (pour les autres). Je ne peux que reprendre son expression de 'variable d'ajustement'. « Chômage record, baisse des salaires et des niveaux de vie, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit (stages, piges, free-lance, exonération de charges, etc.), nouvelle pauvreté de la jeunesse, état de santé problématique et faible recours aux soins, absence d'horizon lisible. »
L'accroissement du nombre de diplômes a produit une situation inédite de compétition entre détenteurs, et induit dans la pire des configurations un 'déclassement intergénérationnel'. Les déceptions abondent : l'espoir que les emplois se multiplieraient avec l'augmentation des départs à la retraite du Baby-boom, l'espoir de pouvoir se loger décemment dans les grandes villes, le souhait d'une société tournée vers la créativité plutôt que vers la rente. Louis Chauvel montre que la jeunesse craint moins la retraite que l'injustice. Il fustige des syndicats corporatistes, un parti socialiste privé d'imagination, un personnel politique blanchi sous le harnais...
Ses propositions touchent à l'amélioration de l'enseignement supérieur, à la simplification du droit du travail - « Il faudra passer par le double tranchant de la fluidification du droit du travail et de l'obligation d'embauche faite aux employeurs » et surtout à une remise à plat des politiques du logement. Je reste circonspect sur le mode opératoire, mais partage l'objectif final : « un plan de long terme de constructions collectives et de qualité pour densifier le tissu urbain des espaces moyens entre centre et périphérie. » Je rejoins Louis Chauvel dans sa critique du projet d'abandon de l'ISF [voir Comment être riche sans rien faire ?] et voudrais évaluer sa proposition sur la taxation des résidences secondaires. Il propose dans ce cadre d'introduire dans la déclaration de revenus la valeur locative au motif qu'elle représente un 'revenu implicite' (sic).
« Les seniors de 2010, qui sont propriétaires sans remboursement d'emprunt dans plus de 70 % des cas, ont été les grands bénéficiaires - par les plus-values longues, et donc non imposables - de la crise du logement payée au prix fort par les jeunes actifs. Les seniors urbains des classes moyennes supérieures n'ont jamais vécu aussi à l'aise dans des logements sous-occupés, le couple type de 60 ans vivant à deux dans un cinq-pièces, alors que les jeunes familles sont tenues de s'entasser dans de petites surfaces. La fluidification du marché immobilier qui en résultera permettra ainsi d'ajuster les ressources aux besoins. »
Louis Chauvel enseigne à Sciences-Po et oublie donc à tort un critère essentiel pour éclairer la crise de la représentation et de la décision. Son cheval de bataille est le fossé entre les générations. Celui qui coupe les dirigeants des réalités du terrain m'angoisse davantage. L'égoïsme et l'intérêt mal compris ne guident pas exclusivement le personnel politique occidental (j'élargis au-delà de l'Europe). L'ignorance et la bêtise pèsent au moins autant dans la balance. Et c'est sans doute plus de courage que d'imagination dont nous avons besoin...
'Quand la corde rompt, adieu le cochon'.
Incrustation : Les pays dits 'PIGS'...
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