France-Iran : rien ne va plus
Aujourd’hui, la France se retrouve en première ligne face à l’Iran. C’est ce qu’on appelle se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Deux touristes séjournant aux Émirats arabes unis, un Français et un Allemand, avaient loué, en ce 29 novembre, un bateau pour aller à la pêche au gros. S’aventurant trop loin, et pénétrant (apparemment) dans les eaux territoriales iraniennes, ils y furent arrêtés par les autorités de ce pays. Leur procès a eu lieu début janvier (ils y ont reconnu les faits, plaidant l’erreur), et leur sentence est maintenant connue : 18 mois de prison ferme. Le nom de l’Allemand est connu : Donald Klein. Seul le prénom du Français a été révélé : Stéphane. Pour les Iraniens, les deux touristes européens constituent une aubaine, et leur permettent, le plus légalement et le plus officiellement du monde, de détenir des otages occidentaux. Il n’est en effet pas très original de dire que la tension monte entre l’Iran et les pays occidentaux à propos du programme nucléaire iranien. Dans ce contexte de confrontation de plus en plus manifeste, les deux "pêcheurs" joueront certainement un rôle, à leur corps défendant.
Des deux, je parie que c’est le Français qui intéresse le plus le régime de Téhéran. En effet, la France est aujourd’hui en première ligne face au défi que pose l’Iran à la communauté internationale. Voyons comment.
Au
sein de la Troïka européenne (France/Allemagne/Angleterre), c’est la
France qui a su garder un zeste de crédibilité, en ne s’abaissant pas,
contrairement aux deux autres, à répéter à tout bout de champ que
l’option militaire était "absolument exclue". L’Allemagne est, de plus,
le premier fournisseur de l’Iran (la France est seulement le troisième),
donc peu favorable aux sanctions économiques. De son côté, l’Angleterre
est particulièrement vulnérable, du fait de sa présence en zone chiite
irakienne, où l’Iran pourrait aisément "activer" les nombreuses milices
qu’elle y entretient (ce qu’elle a d’ailleurs déjà fait dans le passé).
Paradoxalement, la non-intervention de la France en Irak la renforce
considérablement face à l’Iran !
La France, elle, tout en affirmant privilégier la diplomatie, n’a jamais exclu l’option militaire. Selon un quotidien israélien, des officiels français, fin novembre déjà, envisageaient très sérieusement cette option.
La posture généralement plus offensive de la France a été mise en valeur de façon spectaculaire par le discours de "doctrine nucléaire" de Jacques Chirac, jeudi dernier. Même si la diplomatie française prétend le contraire, celui-ci visait très clairement l’Iran. D’ailleurs, les mollahs l’ont bien compris ainsi, et s’en sont pris à la France.
Disposant
de l’arme nucléaire, et plus offensive dans sa doctrine que
l’Angleterre, la France possède aussi l’atout (une menace, du point de
vue des mollahs de Téhéran) d’une moindre dépendance énergétique que
l’Allemagne vis-à-vis de la Russie, pays qui reste le principal
obstacle à des sanctions du Conseil de sécurité. Une autre carte dans
la manche des Français !
Surtout, la France et l’Iran ne
s’affrontent pas seulement sur le dossier nucléaire mais aussi, et de
plus en plus frontalement, au Liban, en Syrie, et même sur la scène
israélo-palestinienne. Chaque jour, l’opposition entre les États-Unis
et ses alliés d’une part, et l’Iran et les siens de l’autre, apparaît
de plus en plus nettement au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Les
ambiguïtés, les demi-mesures, les jeux troubles n’ont plus cours.
Tandis qu’ "Américains et Européens proclament une totale entente
face au défi nucléaire iranien", et que la France et les États-Unis
sont sur la même longueur d’ondes au Liban, l’Iran et la Syrie
annoncent un "front commun",
avec leurs alliés du Hezbollah et des mouvements radicaux palestiniens.
Seules la Chine et la Russie peuvent encore se permettre (pour combien
de temps encore ?) des positions aux contours moins bien définis.
La France est aujourd’hui en pointe pour forcer la Syrie à cesser ses interférences au Liban, met le régime de Bachar Assad en grande difficulté en insistant pour qu’il coopère pleinement avec la Commission d’enquête internationale de l’ONU sur l’assassinat de Rafic Hariri, mais aussi en accueillant sur son territoire (sans aucun statut officiel toutefois, et en prétendant n’avoir aucun lien politique avec lui) l’ancien vice-président syrien, Abdel Halim Khaddam, en rébellion ouverte contre le régime de Damas. La Syrie est incontestablement le maillon faible de l’axe pro-iranien au Moyen-Orient, et la France joue un rôle non négligeable en l’affaiblissant encore.
Le véritable enjeu est le
Hezbollah, position avancée de l’Iran à la frontière Nord d’Israël, qui
a besoin de l’appui syrien au Liban. La France, qui appelait jusqu’ici
à son désarmement pour la forme, sans y croire vraiment, et voulait
bien lui reconnaître un rôle important dans le vie politique libanaise,
ne peut plus aujourd’hui se bercer d’illusions quant à sa "libanité"
proclamée. Le Hezbollah est resté, 25 ans après sa création au
Liban-Sud par des Gardiens de la révolution iranienne, une entité
résolument à la solde
des intérêts iraniens et syriens, ce que l’actuelle crise
gouvernementale à Beyrouth montre amplement. Paris voit bien,
désormais, que le Liban ne pourra résoudre ses problèmes et recouvrer
sa pleine souveraineté avec le Hezbollah, mais contre lui. Et pour cela, il faut bien s’en prendre à ses parrains de Damas et de Téhéran. Signalons d’ailleurs que des rumeurs
(dont je n’ai pu trouver de confirmation) font même état d’une
prochaine résolution à l’ONU d’inspiration franco-américaine, exigeant
du Liban qu’il applique intégralement la résolution 1559 et désarme le
Hezbollah.
Enfin, l’Iran ne cesse d’encourager, sans s’en cacher d’ailleurs,
les groupes palestiniens les plus extrémistes, hébergés à Damas, tandis
que Paris veut promouvoir un processus de paix qui a évidemment besoin
d’une situation apaisée sur le terrain pour avancer.
Et puis n’oublions jamais que Jacques Chirac fut un bon ami du pire ennemi des Iraniens, j’ai nommé Saddam Hussein...
Dans ce contexte, Donald Klein, et surtout "Stéphane", sont de bien commodes "coupables". Pas au bon endroit. Pas au bon moment...
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