La Syrie. Le point ce mardi 22 octobre 2013
La crise syrienne semble avoir atteint son acmé au début du mois de septembre dernier et spécialement le 1er septembre quand les bombardiers français étaient prêts à se joindre aux étasuniens pour « punir » Bachar al Assad. La volte-face de Barack Obama a complétement déstabilisé la position de la France qui, à cause de ses discours bellicistes, se retrouve aujourd’hui l’alliée isolée de l’Arabie saoudite.
Je ne ferai pas dans l’ironie en rappelant la situation des droits de l’homme dans ce pays. Je me demande simplement comment le président français et son ministre des Affaires étrangère ont pu se mettre dans cette situation paradoxale.
Il aura fallu une géniale initiative de la diplomatie russe pour éviter une guerre catastrophique qui aurait pu mener la région et peut-être le monde à la destruction.
On peut en être reconnaissant au tandem Poutine – Lavrov, que je comparerais au tandem Napoléon –Talleyrand, pour l’efficience de leur diplomatie. La comparaison s’arrête là parce que Je ne crois pas que Vladimir Poutine se lancera dans des aventures guerrières comme l’Empereur.
À l’inverse, j’ai été très déçu par la diplomatie étasunienne. Elle ne repose pas sur des principes clairs et universels qui s’appliqueraient aussi à ses alliés.
Les États-Unis se voient encore toujours comme une hyperpuissance militaire qui négocie sur base d’exigences très élevées (ligne rouge et départ de Bachar al Assad dans le cas de la Syrie) avec l’option militaire en dernier ressort. Cela repose sur l’idée que la partie opposée abdiquera pour ne pas subir une destruction mais cela exige l’utilisation de cette option militaire pour ne pas perdre la face si l’adversaire ne se soumet pas à ces exigences.
Cette politique a montré ses limites en Irak et en Afghanistan où de couteuses guerres avec des déploiements importants de troupes au sol se sont soldées par des échecs face à des ennemis qui pratiquaient des guerres asymétriques. En Libye où un soutien logistique et un appui aérien à des rebelles incontrôlés ont mené le pays à la « somalisation », l’échec est tout aussi patent.
La très intelligente tribune contestant l’exceptionnalisme quasi messianique des États-Unis qu’a écrit Vladimir Poutine dans le New York Times a ramené un peu de réalisme chez les dirigeants étasuniens. (1)
Rendons grâce à Barack Obama pour avoir in extrémis partiellement justifié son prix Nobel en renonçant, peut-être provisoirement, à cette dangereuse aventure.
Je voudrais aussi souligner l’impressionnant travail accomplis par Sergueï Lavrov qui a arpenté la planète en long et en large pendant des semaines pour arrêter cette machine qui s’était emballée.
J’espère qu’on pensera un jour à lui pour le prix Nobel de la paix.
Alors que la large majorité de la population française était hostile à une intervention militaire, une campagne médiatique pour la justifier avait été lancée en France. Il ne s’agissait pas de répondre à des dénégations syriennes qui n’étaient même pas relayées ailleurs que dans les médias alternatifs et notamment sur Internet, il s’agissait de condamner sans nuance le régime syrien, de façon mensongère ou avec des propos non étayés, comme étant criminel et utilisant des moyens massifs et inacceptables pour exterminer des femmes et des enfants. Cela cautionnait ainsi des bombardements aériens hasardeux.
On peut décrire cette campagne médiatique sous les quatre principaux axes suivants que je développerai ensuite.
- L’authenticité des attaques chimiques, notamment celle du 21 août.
- L’attribution de sa responsabilité au gouvernement syrien.
- La nécessité d’intervenir.
- La conformité avec le droit international.
L’authenticité des attaques chimiques.
Les conclusions du rapport Sellström ne laissent aucun doute quant à l’utilisation d’armes chimiques dans la banlieue de Damas ce 21 août dernier. Les traces de composition binaire de ces gaz indiquent qu’il s’agissait sans doute de gaz de qualité militaire.
Le nombre de victimes est difficile à évaluer sans enquête indépendante sur place et il ne peut en aucun cas être évalué sur base des vidéos publiées par les rebelles comme l’ont fait les États-Unis.
Mère Agnès-Mariam de la Croix a affirmé que les enfants qu’on voit sur ces vidéos avaient été endormis mais ces propos sont à prendre avec beaucoup de circonspections. Je comprends cependant qu’on puisse avoir un doute. Voici deux liens qui vous expliqueront pourquoi. (2) (3)
Certaines autres vidéos sont symptomatiques des méthodes de propagande de l’ASL. (4) Ces images auraient pu être présentées dans un silence total par respect pour les victimes. Ici, elles s’adressent à des spectateurs arabes pour susciter leur indignation devant l’inertie de l’ONU. Je vous fais aussi remarquer que contrairement à ce qui est dit par une voix exaltée, on ne voit aucune femme dans la vidéo.
L’attribution de la responsabilité de l’attaque chimique au gouvernement syrien.
La mission des inspecteurs de l’OIAC ne consistait pas à désigner les coupables de ces attaques et ils ne l’ont pas fait. Toutes les interprétations accusant l’Armée arabe syrienne d’en être responsable se fondent sur le fait que seul l’État syrien a les moyens de concevoir de telles armes et que les opposants n’ont pas la capacité d’en fabriquer.
Or, de nombreux pays impliqués dans cette crise possèdent des armes chimiques de qualité militaire, soit résiduelles, soit clandestines.
Les rebelles ou les djihadistes étrangers peuvent en avoir reçues illégalement d’un de leurs sponsors. La détermination de ces derniers est sans limites et, en plus, un pays comme l’Arabie saoudite perdrait non seulement des sommes d’argent colossale mais aussi et surtout la face si Bachar al Assad se maintenait au pouvoir.
Une action sous fausse bannière pour provoquer une intervention aérienne comme en Libye était très plausible.
Une implication d’Israël dans la fabrication ou la fourniture de ces gaz aux rebelles via l’Arabie saoudite n’est pas exclue. Des armes ou des équipements d’origine israélienne ont été découverts par l’armée régulière syrienne lors de leurs dernières offensives. Cela indique au moins qu’Israël est impliqué dans le conflit. Il y a une collusion d’intérêts entre ces deux pays, notamment vis-à-vis de l’Iran et du Hezbollah. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’indices matériels qu’il faut exclure cette possibilité. N’oublions pas qu’Israël est passé maître dans les actions clandestines de ses services secrets.
De leur côté, les autorités syrienne n’avaient aucun motif pour bombarder des zones civiles avec des gaz de combat. La ligne rouge avait été définie par Barack Obama et il était militairement inutile de la franchir. Les médias de masse ont cependant fait peu de cas de toute autre considération que celles émises par les services de renseignements occidentaux.
Voici une démonstration de cette attitude.
L’otage belge, Pierre Piccinin, a récemment été libéré par les rebelles contre rançon. À son retour en Belgique, il donna une interview à la radio belge dans laquelle il confiait que lui et son compagnon de captivité, le journaliste italien Domenico Quirico, avaient entendu une conversation téléphonique entre commandants rebelles qui impliquait l’ASL dans l’attaque chimique du 21 août. Cela ne dû pas plaire à certains et, sans doute sur injonction des alliés étasuniens ou français, le lendemain, sur le même poste et à la même heure, il y eu une interview d’Ignace Leverrier (5) qui put déverser tout son fiel sur le régime syrien sans aucune contradiction. Bravo les médias « libres et indépendants ». Depuis, Pierre Piccinin n’est plus interviewé par les grands médias. Il a quand-même répondu aux questions du site… ne riez pas… « Femmes de chambre ». Je recommande à tous de lire cette interview, cela vaut son pesant d’or et c’est très instructif sur les agissements des rebelles. (6)
Les médias ont largement évoqué cette attaque chimique sans jamais sérieusement prendre en considération les démentis syriens et sans analyser cette attaque sur le plan tactique comme si Bachar al Assad était complétement stupide et utiliserait ce type d’armes contre des civils sans raison militaire.
Tout cela en dit long sur les pratiques des responsables politiques et des médias de masse occidentaux.
La nécessité d’intervenir.
Il n’y a qu’un seul pays au monde capable d’intervenir militairement en Syrie : les États-Unis. Ils cherchent généralement à constituer une coalition autour d’eux et, dans le cas présent, la France était le seul pays occidental prêt à se joindre à eux.
Il n’y avait aucune urgence à mener cette opération. On pouvait attendre les résultats d’une enquête de l’ONU et agir ensuite contre les responsables de cette attaque.
La raison officielle de cette opération était de punir la Syrie pour l’emploi de gaz de combat. Il s’agissait de détruire les défenses antiaériennes syriennes ainsi que les postes de commandement de l’armée. Cette attaque était annoncée pour une durée de 72 heures mais elle aurait sans doute duré plusieurs semaines.
La vraie raison était de venir en aide aux forces rebelles et de leur permettre de mener une nouvelle offensive. Ils seraient ainsi venus à la conférence de Genève en position de force.
Barack Obama a alors demandé un vote d’approbation au congrès et il ne l’aurait sans doute pas obtenu.
On ne sait pas exactement si la vraie raison était de se couvrir (impeachment) avant de déclencher une action illégale ou s’il craignait un échec de l’opération avec le risque de voir s’embraser toute la région.
C’est ici que la France s’est retrouvée nue au milieu de la place. Tous les regards du monde se sont tournés vers elle quand les États-Unis ont renoncé à leur action et il est apparu évident que le poids de la France était bien léger. Il faudra du temps pour réparer les dégâts faits à son image dans le monde.
L’Arabie saoudite qui comptait sur l’appui aérien du tandem franco-étasunien pour lancer ses mercenaires takfirstes à l’assaut des positions des soldats loyalistes s’est aussi retrouvée isolée.
Cela explique son récent coup de gueule et son renoncement (provisoire ?) à entrer au Conseil de Sécurité de l’ONU.
Mon intuition me dit que Barack Obama sait d’où provenait l’attaque chimique et qu’il ne tient pas à ce que l’Histoire le retienne comme complice de ce crime. C’est un personnage très soucieux de l’image qu’on retiendra de lui.
La conformité avec le droit international.
Les médias de masse français ont soutenu l’idée d’intervenir en Syrie pour des raisons humanitaires, un mot bateau qui signifie en réalité : dernière excuse quand on n’en trouve plus d’autre pour renverser un régime.
J’ai comme l’impression que tous leurs journalistes ont brossé les cours de droit international lors de leurs études ou alors il y a tellement longtemps qu’ils ne s’en souviennent plus.
J’ai lu et relu la charte de Nation-Unies (7) et il n’y a aucun doute : une intervention militaire comme celle qui était envisagée sans résolution sous le chapitre VII est un acte de guerre. Les États-Unis et la France seraient entrés en guerre contre un pays souverain qui ne les a même pas menacé par la seule décision de leurs deux chefs d’État. Je trouve cela inquiétant et très antidémocratique.
L’intervention pour raisons humanitaire est une doctrine et ne peut être invoquée s’il n’y a pas urgence. Elle doit de toute façon être ratifiée par une résolution sous le chapitre VII.
Je rappelle ici qu’en droit, la loi (la charte dans ce cas-ci) prime sur la jurisprudence qui, elle, prime sur la doctrine.
Conclusion.
Une intervention aérienne occidentale en Syrie ne semble plus d’actualité. Cela ne signifie nullement que les Occidentaux aient renoncé à leur objectif qui, rappelons-le, est un changement de régime en Syrie.
La situation est actuellement dans une impasse. Les milices de l’opposition, divisées en plus de cent groupes indépendants se comportent majoritairement comme des gangs armés (rapts, exécutions sommaires, lutte entre eux, etc.) et elles ne peuvent pas représenter une alternative au régime de Bachar al Assad. Sans le soutien aérien occidental, elles ne peuvent espérer l’emporter militairement.
Un flux continu de nouveaux combattants rend une victoire militaire des loyalistes très hypothétique.
Si un accord politique n’est pas rapidement trouvé, il y a gros à parier que les troupes de Bachar al Assad seront renforcées par des milices irakiennes chiites et que le conflit finira par s’étendre. Les brigades Badr irakiennes sont actuellement en train de constituer des unités pour aller combattre en Syrie. (8)
Les Occidentaux, ou du moins une partie d’entre eux, cherchent à obtenir à présent le départ du président syrien par d’autres moyens : constitution d’un tribunal international, menace de guerre permanente (Kerry), départ volontaire, etc.
Bacha al Assad semble déterminé à se maintenir en place. Il risque d’avoir de plus en plus de soutien dans le monde. La Jordanie et le Qatar ne viennent-ils pas de faire un mouvement de rapprochement avec le président syrien ? Il est vrai que les intérêts économiques du Qatar seraient en jeu si la Syrie refusait le passage de son précieux gaz.
Dire que nos ténors politiques, servilement suivi par les analystes médiatiques, prédisaient voilà déjà deux ans que les jours de Bachar al Assad étaient comptés, que la Russie finira par se ranger du côté des Occidentaux pour préserver ses intérêts économiques ou que l’Armée arabe syrienne allait se déliter pour rejoindre en masse l’opposition.
Je n’avais lu des contre-analyses que dans des médias alternatifs et je crois qu’ils ont fait aujourd’hui la preuve de leur utilité.
(1) http://ragemag.fr/syrie-vladimir-poutine-new-york-times-41179/
(2) https://www.youtube.com/watch?v=Cw4ReyzzHKQ
(3) https://www.youtube.com/watch?v=WwjRKdTwhS4
(4) https://www.youtube.com/watch?v=XoMPVrjK6tw
(5) Ignace Leverrier, Wladimir Glasman de son vrai nom, tient un blog du journal Le Monde, « Un œil sur la Syrie. » Il n’a jamais été ambassadeur ou consul de France. Il fut tout au plus attaché d’ambassade, autrement dit agent de renseignement ou barbouze du Quai d’Orsay. (lien)
(6) http://www.femmesdechambre.be/pierre-piccinin-da-prata-reynders-a-sabote-ma-liberation/
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