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Ni toit, ni portes

Les inondations au Pakistan ne font plus la une des journaux. Compte tenu de l’état alimentaire et sanitaire de la population, leurs conséquences à long terme devraient pourtant inquiéter les Occidentaux empêtrés en Afghanistan...

La forêt pakistanaise s’étend sur 1,9 million d’hectares, c’est-à-dire 2,5 % du territoire national. Elle est huit fois plus réduite que la forêt française [15,7 millions d’hectares]. Au cours des années 1990, le Pakistan a perdu plus de 400.000 hectares. Entre 2000 et 2005, le taux annuel de régénération naturelle de la forêt a fortement reculé, passant de 24 à 2 %. Au total, un quart de la forêt pakistanaise s’est volatisée entre 1990 et 2005 [source]. La forêt disparaît des paysages. Elle ne recouvre plus les sols.

Aux besoins primaires – bois d’œuvre et chauffage, s’ajoutent les besoins en terres agricoles. Comme les grandes métropoles font peur [Karachi, si loin de Paris], seule une minorité de paysans abandonnent leurs terres pour vivre en ville. En 2009, le Pakistan ne compte que 31 millions de citadins pour une population totale de 180 millions d’habitants. Le fort croît naturel (3 % par an) s’explique en grande partie par cette répartition. [source]. Le cheptel (buffles, moutons et chèvres) a doublé au Pakistan entre 1945 et 1986 et continue d’augmenter au rythme de 2 % par an. Il faut donc toujours plus de champs à cultiver et de prairies pour les troupeaux.

Ceux qui coupent des arbres ne le font toutefois pas seulement pour défricher. Beaucoup gagnent leur vie en vendant le bois. Le bois se vend au prix fort et les trafiquants obtiennent des passe-droits. Les plus modestes, ceux qui habitent dans les périphéries inaccessibles et montagneuses trouvent là leur unique gagne-pain. Les en privera-t-on ? [source] Dans ces conditions, les bonnes intentions pèsent bien peu. Après les grandes inondations de 1992, les projets de reboisement sont restés dans les cartons. Les interdictions ont surtout déplacé une partie du problème en Afghanistan voisine – le bassin versant de l’Indus s’étale sur les deux pays – avec une hausse du trafic frontalier [source].

En juin 2010, les habitants d’Islamabad ont suffoqué. La température a plusieurs fois dépassé 40 °C en moyenne journalière, en dépit du refroidissement (...) nocturne. Les pics de chaleur restent généralement inférieurs à 35 °C. Les autorités n’ont pu minimiser le caractère préoccupant du problème climatique. Pour contrecarrer la faiblesse du couvert forestier et lutter contre la progression des zones désertiques, un nouveau plan de reboisement a été élaboré. Il table de façon irréaliste sur un accroissement du couvert forestier de 5 % par an. Cette extrapolation ne tient compte ni de l’incurie de fonctionnaires souvent corrompus, ni de la pauvreté de la paysannerie pakistanaise. Le président Zardari met certes en avant le projet réussi des plantations le long de l’autoroute Islamabadad-Murree [source].

Le ministre de l’Environnement se veut pourtant optimiste, lors d’une conférence au printemps. « C’est un gros défi à relever pour nous. Nous ne devrions pas voir les forêts comme une source de revenus. Il faut au contraire les respecter parce qu’elles rejettent de l’oxygène, absorbent du gaz carbonique, limitent l’érosion des sols et protègent la population des risques naturels. » [source] Il ne croyait sans doute pas si bien dire, car faute de protection forestière, les pluies d’août ont déclenché des écoulements boueux. En attendant, l’Etat pakistanais vendrait des terres agricoles à des acheteurs institutionnels, pour l’essentiel originaires des pays du Golfe Persique. Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde estime à 400.000 hectares les surfaces visées [source]. Unique institution étatique en état de fonctionnement, l’armée s’adjuge déjà une bonne part du gâteau [source]. Les généraux président directement ou indirectement aux destinées du pays depuis quatre décennies. Si l’on prend en compte la rivalité armée avec l’Inde voisine, c’est même à l’époque de la partition que l’on peut remonter.

Au début des années 1970, le refus des autorités fédérales d’une séparation du Pakistan oriental débouche sur une guerre civile atroce. Les populations du bassin de l’Indus affrontent celles de la basse vallée du Gange. L’armée pakistanaise échoue et se discrédite durablement : le Bangladesh devient en effet indépendant et les victimes innocentes sont innombrables. Les bourreaux vivent toujours dans l’impunité [source]. En 1979, l’Armée rouge envahit néanmoins l’Afghanistan et fait oublier le Bangladesh. Moscou donne sans le vouloir à l’armée pakistanaise la possibilité d’assurer une forme de reconversion. Car les Occidentaux transforment bientôt le Pakistan en une base avancée du combat contre l’U.R.S.S.

Après les attentats du 11 septembre, l’ennemi change, mais le théâtre demeure [Drone de guerre]. Les inondations n’y changent rien [source]. Pour les Pakistanais, l’Etat lève l’impôt mais reverse peu. Ses responsables n’inspirent guère le respect. L’Etat renforce les puissants et délaisse les humbles. Du point de vue des plus religieux enfin, il s’allie aux Occidentaux impies.

Les événements climatiques de ce mois d’août démontrent surtout que l’Etat pakistanais ne protège personne. Car le climat est habituellement exceptionnel. A Islamabad, capitale du nord, près des deux tiers des précipitations annuelles tombent en juillet (270 mm) et en août (310 mm), l’équivalent d’une année de pluies sur la façade océanique de l’Europe [source]. En cette année 2010, la pluviosité dépasse certes la norme. Les affluents de l’Indus ont débordé et envahi leur lit majeur, provoquant des inondations catastrophiques.

Ainsi, le Pakistan et le Bangladesh gardent quelques points communs [Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat]. Des dizaines de milliers d’hectares se trouvent désormais sous l’eau [source]. Les pertes économiques priment sur les pertes humaines. Les 1.600 morts évoqués par l’ONU pèsent tristement peu (...) si on les compare aux 80.000 personnes décédées lors du tremblement de terre d’octobre 2005 [source]. Cela étant, des milliers de paysans et citadins pauvres vont bientôt manquer de nourriture [source]. D’ores et déjà, tous cherchent désespérément de l’eau potable [source].

Gageons que l’armée pakistanaise relèvera le défi. En pleine opération contre les taliban, j’en doute fortement. Les attentats continuent [source]. Mariam Abou Azaham pointe fort justement la méconnaissance des médias français [source]. Je ne partage pas son postulat selon lequel les Etats occidentaux ne parviendraient pas à faire face à une catastrophe équivalente. La comparaison avec l’ouragan Katrina mériterait plus ample développement. Mariam Abou Azaham néglige à la fois l’importance de l’aide internationale [source] et l’aveuglement dangereux des commentateurs.

Comment peut-on regretter en effet l’action des islamistes auprès des sinistrés – ceux-ci profiteraient en quelque sorte du malheur de leur prochain [source] – sans considérer l’inconséquence intégrale d’un Etat dans l’incapacité de sauver des forêts protectrices ? Pourquoi ne voit-on pas que les Etats-Unis et les nations coalisées contre les taliban s’appuient sur un Etat qui les fait fructifier ? Les Romains fermaient les portes du temple de Janus lorsque la paix était revenue. Le temple pakistanais ne possède quant à lui ni portes ni toit...

PS./ Dernier papier sur la question de la menace terroriste : Time is care.


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6 réactions à cet article    


  • FRIDA FRIDA 31 août 2010 12:11

    Très bonne analyse. Merci pour cet article.


    • Ronald Thatcher vraimentrienafoutiste 31 août 2010 13:12

      les déluges de flotte ont préparé le terrain aux fanatiques religieux, qui eux, aident les populations pauvres du Pakistan. Résultats : des jeunes gens sans rien qui vont grossir les rangs des insurgés talibans dans les montagnes d’afghanistan, le reste de la population sous perfusion alimentaire des pays occidentaux, avec un risque de conflit civil. L’armée, dépassée par l’ampleur de la catastrophe, en est a demander de l’aide à l’ennemi intime indien...


      • paul 31 août 2010 13:51

        La catastrophe subie par le Pakistan a inspiré de très nombreux articles, comme ici sur ce site, avec
        des commentaires différents par rapport à d’autres catastrophes comme celle Haïti, laquelle a suscité un élan de générosité sans aucune remise en question politique ou sociale ,malgré la faillite
        la bas aussi du gouvernement .Mais les Etats Unis avaient l’affaire sous contrôle....

        Donc première critique de fond, l’aide humanitaire est à géométrie variable ,selon le prisme idéologique .En bref ,c’est tant pis pour eux .
        La question se résume à : faut il aider un pays au gouvernement corrompu servant de base aux talibans et possesseur de l’arme atomique ? Les articles comme celui-ci se complaisent à montrer misère d’un pays et la corruption de son gouvernement .

        Deuxième critique de fond : pas d’analyse politique et surtout géopolitique .Sinon on pourrait comprendre l’origine de ce gouvernement corrompu .Vous ne vous souvenez plus de Musharraf
        et de ceux qui l’ont mis en place ?même sarko l’avait reçu en 2008 .Est il mieux le successeur ?
        L’aide militaire US au Pakistan est de 1,1 milliards $/ an depuis2001 .Vous savez avec quoi ils
        achètent leurs F 16 les pakistanais ? avec des $ US .
        Il s’agit clairement de s’assurer que le pays soit dans le bon camp, contre « l’axe du mal » .
        Les occidentaux commencent à comprendre qu’il vaudrait mieux aider ce pays parce que la misère bénéficiera aux islamistes pour récupérer la situation .
        Une analyse qui n’essaie pas d’être complète dans un article, participe à la désinformation .
        Ce que vous faites .


        • W.Best fonzibrain 31 août 2010 14:39

          article sympa j’ai appris pas mal de trucs


          je pense aussi que mariam estun peu dans le vrai quand elle dit que nous autres occidentaux auriont du mal à faire face àà de telle catastrophes.

          parceque justement 5 ans après katrina, la situation n’est pas excellent, loin de la, on pourrait dire la même chose après le tremblement de terre à aquila.

          bref, il faudrait déja que les USA arretent de les emmerder, et l’argent qu’ils donnent ne couvrent pas les effets de la déstabilisation occasionné par la guerre contre le terrorisme.

          je ne savais pas du tout que le pays était si peu urbanisé et je pense quand même que c’est une bonne chose

          sans les usa dans la région, pas de taliban et de blackwater déguisé en al quaida.


          je rève d’aller au pakistan, au nord ainsi qu’en inde, il y a des peuples dans les montagnes qui nous ressemble beaucoup, j’aime bcp le sujet des migration des peuples depuis le début des differenciation physique.


          Pauvre gens en tout cas, personnellement je me demande si ces pluies n’ont pas été amplifié par une quelconque technologie

          Les Américains ont effectué de 1966 à 1972 des expériences baptisées « projet Popeye », lors de la guerre du Vietnam. Ils cherchaient à prolonger la période de la mousson, afin que la progression des troupes nord-vietnamiennes soit ralentie par la boue (9). La signature en 1976 d’une convention internationale interdisant l’usage des armes environnementales (10) a mis un coup d’arrêt à ces expériences.

          Néanmoins, l’idée d’un contrôle du climat à des fins militaires n’est pas totalement abandonnée. Le projet Haarp, financé par le Pentagone et développé par le Centre de recherche sur l’ionosphère (11) d’Alaska, en est un exemple. M. Bernard Eastlund, à l’origine du projet, avait breveté l’idée de modifier le climat par la projection de rayons laser de très forte intensité sur la source des courants d’altitude, les jet-streams (12), dont les variations influent très fortement sur les climats régionaux. De même, un rapport élaboré en 1996 pour l’US Air Force insiste sur la nécessité pour l’aviation américaine d’intervenir localement sur le climat, soit pour accroître la visibilité en supprimant les nuages ou le brouillard, soit au contraire en encourageant la formation d’instabilités, pour générer à son profit des nuages ou des tempêtes (13).

          http://www.monde-diplomatique.fr/2002/07/BOVET/16644

          le monde diplo ne fait pas le conspirationnisme, ces projets militaires sont réel, imaginez comment ils ont du avancer en 40 ans...


          re bref, 170 millions de pakistanais, c’est dingue quand y pense, bien géré, ce pays serait une grande puissance.


          http://fonzibrain.wordpress.com/


          • asterix asterix 31 août 2010 16:19

            Les ressources économiques ne sont pas illimitées. L’homme a tout saccagé et se retrouve gros Jean comme par devant.
            Détruire moins pour gagner plus !


            • Annie 1er septembre 2010 07:36

              « Comment peut-on regretter en effet l’action des islamistes auprès des sinistrés – ceux-ci profiteraient en quelque sorte du malheur de leur prochain »

              Regretter l’action des islamistes.... qui profiteraient du malheur de leur prochain ?
              Voulez-vous parler d’ONG musulmanes comme Muslim Aid ou encore d’Islamic Relief qui est membre consultatif au conseil économique et social de l’ONU, signataire du code de conduite de la Croix Rouge, membre de Bond (groupement d’ONG britanniques) et qui est soutenu financièrement par le gouvernement anglais.

              Lorsque World vision, la plus grande ONG américaine dont l’objectif affiché est la conversion ou l’évangilisation intervient dans un pays, est-elle accusée de profiter du malheur de son prochain ? La montée des ONG musulmanes est une réaction à la perception que l’humanitaire est un prolongement de la domination occidentale et une réaction aussi au prosélythisme affiché des ONG chrétiennes. 

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