Taiwan : la démocratie en action
Les élections législatives ont eu lieu le 12 janvier 2008 à Taiwan, pays de 23 millions d’habitants avec plus de 17 millions d’électeurs inscrits. La presse mondiale retient la victoire, nette, du Kuomintang, le parti nationaliste chinois fondé par le père de la première révolution chinoise de 1911, Sun Yat Sen. Mais, il peut sembler opportun et intéressant de regarder derrière et dessous ce résultat électoral d’un soir.
Les résultats bruts et quelques données cachées
Certes, tout un chacun à Taiwan savait depuis des mois que le KMT ou Kuomintang allait remporter ce scrutin législatif, qui est aussi un tremplin pour l’élection présidentielle de mars 2008. Comme on savait que le parti vainqueur aurait naturellement son candidat, ici, Ma Ying Jeou, en position de favori pour le scrutin suivant.
Premier fait, très significatif, laissé étrangement de côté par les grands médias internationaux, le taux d’abstention a été très élevé : 41,5% des électeurs inscrits, soit plus de 7 100 000, n’ont pas voté.
Cela traduit un mécontentement social puissant dans le pays, notamment dans la population salariée, inquiète du présent et pour l’avenir, beaucoup de citoyens annonçant ne pas vouloir choisir entre seulement deux partis qui ne les représentent pas, de leur point de vue. En effet, de nombreux sondages attestent que l’opinion souhaite que la vie démocratique taiwanaise puisse faire émerger de nouveaux partis politiques, élargissant le champ de choix électoral.
Sur les 58,5% de votants, 72% ont choisi le KMT qui a obtenu 81 sièges, de petits partis alliés à cette formation ont reçu 4% des suffrages et auront 5 députés alors que le PDP, avec 24%, n’aura plus que 27 députés, le tout sur un total de 113 législateurs à l’Assemblée nationale.
En parallèle, deux référendums étaient soumis aux votants : l’un portait sur le retour éventuel des biens acquis par le KMT pendant la dictature à l’Etat, le second sur l’adhésion à l’ONU du pays sous le nom de Taiwan. Le KMT avait appelé au boycott des deux. Résultat : aucun des deux référendums n’a dépassé les 25% de votants, ce qui fait que leurs résultats sont considérés comme « non-valides ».
Pour autant, si on regarde un peu les choses en profondeur, les causes de cette victoire du KMT sont multiples et ne tiennent pas exclusivement, loin de là, au programme du parti vainqueur. De plus, cette victoire ne peut cacher les problèmes profonds dans la société taiwanaise dont le règlement reste toujours à venir.
Les raisons d’un vote et la réalité des problèmes profonds
Plus qu’une victoire du KMT, ces élections marquent surtout dans l’opinion publique taiwanaise une défaite cinglante du Minshintang -Parti démocratique progresssite- promoteur de l’indépendance juridique internationale du pays le plus vite possible.
Bien sûr, beaucoup d’électeurs ne se cachent pas d’avoir surtout sanctionné la corruption dans ce parti et jusque dans l’entourage du président de la République, Chen Chui Bian.
Au-delà de cette première volonté, d’autres éléments ont joué : les difficultés économiques et sociales que le pays traverse et dont le PDP a été vu comme ne voulant ou ne pouvant pas les juguler.
En effet, le chômage et les prix ont fortement augmenté ces derniers mois, notamment pour les produits de première nécessité, alors que le gouvernement, au lieu de s’occuper des problèmes concrets quotidiens des citoyens, ne parlait sans cesse que d’indépendance nationale et de politique extérieure.
Cela a créé un véritable clivage, un fossé réel, entre la société et le pouvoir.
Par ailleurs, nombre de citoyens ont aussi critiqué le pouvoir en place pour son incompétence, son absence de politique claire sur les divers plans - enseignement public, retraites, systèmes sociaux, son manque d’écoute du pays et sa mise en avant excessive des querelles partisanes au détriment du traitement des questions essentielles. Comme les batailles politiques jugées inutiles et stériles sur le nom de l’aéroport international, du monument dédié à Chang Kaï Chek, dictateur du pays de 1949 à 1975, ou du choix de faire garder sa tombe par une unité militaire ou pas, ce qui n’intéressait personne, plus de 32 ans après la mort de ce dernier.
Tous ces facteurs ont largement concouru, en se cumulant parfois les uns aux autres, à la déroute du PDP, qui a eu, de plus, dans cette campagne, une communication publique jugée par l’opinion comme inutilement agressive.
Du côté du KMT, il est vrai que le candidat à l’élection présidentielle, Ma Ying Jeou, souvent vu par les ciotyens comme un peu timide ou réservé, a su adroitement mobiliser les mécontentements, les fédérer et les diriger contre son adversaire.
D’autres avantages ont joué pour son parti, dont certains sont à porter à son crédit : il a délibérement joué la carte des problèmes de vie quotidienne, parlant salaires, emploi, conditions de travail, protection sociale, pensions des personnes âgées, défense des petits paysans, développement économique.
Il a rappelé aux électeurs le fait que, sous la gestion de son parti dont il n’était à l’époque qu’un simple militant, de 1985 à 2000, Taiwan a connu son « miracle économique », bien qu’accompagné par une corruption envahissante qui conduisit en 2000 le KMT à perdre le pouvoir au profit du PDP.
Justement, sur ce terrain très « sensible » à Taiwan, de la corruption des élus et des hommes d’affaires, souvent assez proches, Ma Ying Jeou a joué une carte neuve et très appréciée du public : il a juré solennellement, avec la direction du KMT, de ne plus tolérer ce mal endémique national et de le combattre vigoureusement, tout en promouvant la démocratie la plus large.
Il s’engouffrait dans la brèche que le PDP, englué dans des scandales à répétiton lassants, avait lui-même créée.
Tels sont les premiers enseignements de ce scrutin à Taiwan.
Un pays en quête d’identité et de destin collectif confronté aux problèmes sociaux
Curieusement, la presse mondiale a fait une large place et assuré une forte couverture médiatique, assez inhabituelle, à cette élection et surtout à la victoire du KMT, dont les positions politiques affichées correspondent aux souhaits diplomatiques régionaux de l’administration Bush, de l’Union européenne et, sans que cela soit dit trop haut, pour ne pas gêner... des autorités chinoises, mais jusqu’à un certain point : la démocratie.
Car, pour ces gouvernements et autorités, la victoire du KMT signifie avant tout que le projet d’indépendance politique internationale juridique de Taiwan, promu par le PDP, est repoussé indéfiniment et que le statu quo actuel dans cette partie du monde reste acquis.
A première vue, cela semble en effet être le souhait partagé de la direction du KMT. Mais, les choses dans la société taiwanaise, sur ce point, ne sont pas aussi simples que les politiques étrangers au pays veulent le croire, ou, plus exactement, elles ne recoupent pas les frontières politiques entre le vainqueur et le vaincu, mais les transcendent largement.
Car le peuple taiwanais est bien à la recherche à la fois de son identité propre dans le monde et d’un destin collectif cohérent et clair. Une haute fonctionnaire, proche du KMT, résume ainsi la situation existante : « Les Taiwanais se sentent d’abord Taiwanais et ne veulent pas devenir Chinois. En même temps, ils sont dans leur tête pour une indépendance du pays, mais ils ne savent pas ou ne voient pas comment y parvenir sans crise possible avec la Chine dont ils ont peur. Gérer cette contradiction et la résoudre pacifiquement sera la tâche de la prochaine administration KMT. »
De ce point de vue, Ma Ying Jeou est vu par beaucoup, même par des partisans du PDP, comme un atout possible du fait de sa naissance à Hong-Kong et aussi parce qu’il incarne une nouvelle génération politique qui semble pour l’opinion capable de donner un avenir de paix et de prospérité au pays.
Beaucoup estiment que la stratégie du KMT face à la Chine sera effectivement le maintien de statu quo actuel en promouvant, très discrètement, les valeurs démocratiques en Chine. Il semble en effet que les dirigeants du KMT aient intégré l’idée que la démocratisation de la Chine est la clé, non plus des rêves de reconquête passés, mais d’une coexistence pacifique et fructueuse pour les deux Etats dans le futur.
Un autre aspect de la situation que va avoir à affronter le futur gouvernement KMT issu de ces élections sera la crise sociale et économique. Les citoyens attendent beaucoup, pour le moment, du KMT, en termes d’emplois créés, d’amélioration du niveau de vie, de relance de l’économie, avec la définition d’une stratégie compréhensible et cohérente au niveau de l’Etat, qui est ici un gros employeur disposant de nombreux leviers publics pour intervenir dans le domaine tant social qu’économique.
Le KMT a annoncé ainsi qu’il avait compris, selon lui, les attentes de la population. Il faudra voir ce qu’il en sera dans la réalité.
La démocratie est la clé de la paix et de la stabilité régionale
Sur le plan international, les élections démocratiquement tenues à Taiwan, avec des postures de part et d’autre - PDP et KMT -, démocratiques et respectueuses du suffrage universel direct, sont certes une leçon positive et utiles à l’image du pays. Mais plus largement, elles soulignent que Taiwan a atteint sa maturité démocratique, rompant avec les violences politiques - du type bagarres publiques à l’Assemblée nationale - qui avaient parfois « souillé » la jeune, mais vigoureuse démocratie taiwanaise.
La large médiatisation des élections comme un test positif des capacités démocratiques d’un peuple jeune et de culture chinoise est à l’évidence aussi un signal public envoyé vers les citoyens de Chine afin de montrer que la culture chinoise, contrairement à ce que disent certains commentateurs de Pékin et d’ailleurs, est totalement compatible avec les valeurs démocratiques, le multipartisme et les libertés fondamentales humaines.
Le plus essentiel enseignement qui peut être tiré de ce scrutin qui honore la démocratie dans un pays de culture chinoise, et ce malgré le manque de partis politiques proposant des options politiques plus diverses, est que la démocratie est la clé de la paix et de la stabilité régionale en Asie, un continent où la démocratie est encore une valeur rare et peu assurée.
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