Le Sarkoléon nouveau est arrivé : plan de rigueur de 7 milliards
C’est depuis le ministère des Finances que Sarkoléon a présenté son plan de rigueur de 7 milliards d’euros à grappiller en quatre ans, concocté par la récidiviste Commission de modernisation des politiques publiques (CMPP). Après avoir dépensé 15 milliards en cadeaux fiscaux stériles et admis que « les caisses sont vides », c’est sur les pauvres, les chômeurs et les fonctionnaires que le président va se concentrer pour « rationaliser » les dépenses. 166 mesures après une autre centaine en décembre, et les deux cents et quelques du rapport Attali. Comme pour noyer le chaland sous la masse des lubies présidentielles.
Etrangement, personne n’arrive à se procurer cette fameuse liste de propositions forcément révolutionnaires. D’ailleurs, au cas où le citoyen l’eût oublié, il s’agit bien de « réformes » et de « rationalisation » pas de rigueur, ce mot tabou qui pourtant revient orner les discours politiques régulièrement hors périodes électorales. La seule source que j’ai pu trouver est quasiment invérifiable, mais la plupart des mesures ont été pompées sur le rapport Attali (rédigé avec la bénédiction de l’OCDE et l’aide généreuse de l’Institut Montaigne de Bébéar, l’ex-PDG d’Axe, temple du néo voire ultralibéralisme à la française) et sur le rapport Camdessus (une prière néolibérale en règle que Sarko avait commandée à celui qui était directeur du FMI pendant les crises en Amérique latine et en Asie).
Aujourd’hui, on sait que l’inflation sera autour de 3,5, voire 3,8 % en 2008, et la croissance en dessous de 1,8 %. Les prix grimpent, les salaires, quant à eux, selon le credo néolibéral, doivent stagner absolument pour limiter cette inflation. Car, si on augmente les salaires, les prix vont encore augmenter. C’est donc à la classe moyenne d’éponger l’ardoise, les pauvres étant relégués aux Restos du cœur depuis vingt ans. Sarko a choisi : les 15 milliards du paquet fiscal (sur lequel il ne compte pas revenir) c’est pour les riches, pas pour le populo.
Comme en décembre, sous couvert de « modernisation » et de « rationalisation », on nous sort des mesurettes qui relèvent davantage du replâtrage que de la « réforme ». Le tout dans un langage digne d’un étudiant sorti d’une école de management à l’américaine. D’ailleurs, comme le mentionne Marc Lainé dans Le Monde diplomatique de décembre 2007 : 26 équipes d’audit (des comptables spécialistes des économies de bout de chandelle qui ne connaissent rien ou trop peu des domaines sur lesquels on leur demande de faire ces audits) parmi lesquels des consultants privés (évidemment) et des contrôleurs de l’administration, soit environ 200 personnes qui sont occupées depuis le mois de juin 2007 à chercher ce que l’Etat peut économiser sur ses 1 000 milliards de dépenses annuelles. Et six mois plus tard, miracle, presque tous les secteurs ont été entièrement analysés, et nous voilà des centaines de mesures de rapiéçage après les 15 milliards du paquet fiscal.
Marc Lainé et Les Echos citent parmi les cabinets de consultants qui auront le grand privilège de casser le service public : Mc Kinsey - Accenture, Ernst & Young, Capgemini, Boston Group Consulting, Bearing Point, BCG, Lazard, Roland Berger.
Bref, que du beau linge qui va avoir des beaux contrats pleins de zéros
pour nous dire comment faire des économies. Sarko en a conclu qu’on
dépensait donc 150 milliards de trop par rapport à l’Allemagne (et chacun sait que comparaison est forcément raison !).
Prenons donc les mesures qui sont accessibles via les médias aujourd’hui.
- Fonctionnaires :
- un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite ne sera pas remplacé, c’est le chef qui l’a dit (et redit). C’est donc 11 000 postes en moins dans l’Education nationale en 2008, et 16 000 en 2009. Chose tout à fait logique, Sarko a promis de reverser aux fonctionnaires la moitié des 4 % d’économies annuelles qu’il compte faire grâce à cette super mesure.
- Logement :
- baisse de 10 % du plafond des
ressources nécessaires pour avoir droit à un HLM. Le but est que seulement 60 %
des Français puissent prétendre à un logement social ;
- le loyer des HLM sera indexé sur
les prix (vu l’inflation ça va être sympathique) ;
- augmentation des surloyers (pour
ceux qui gagnent trop pour le loyer d’un HLM) ;
- augmentation de la vente de logements sociaux (ce qui, si l’on ne construit pas plus de HLM, restreindra forcément l’accès aux logements sociaux par ceux qui en ont besoin).
- Santé :
- création
des agences régionales de santé ayant des accords avec l’assurance-maladie
(dans le cadre de la future loi sur l’organisation de la santé déjà annoncée
pour la rentrée) ;
- une
« meilleure » organisation (= rationalisation - des dépenses bien sûr)
de l’hôpital. Après la « rationalisation » de la carte judiciaire, on
va bien rigoler encore une fois. Mais rassurons-nous, Le Monde affirme qu’il
s’agit de « renforcer l’efficacité de notre système de soins. C’est
grâce à cette organisation nouvelle que les priorités sanitaires pourront être
encore mieux satisfaites qu’aujourd’hui et que des transformations
indispensables pourront se développer » (on croirait lire le
communiqué de presse !) ;
- fusion
des missions d’expertise et d’audit hospitalier. Ca veut simplement dire qu’au
lieu de faire des expertises neutres dans les hôpitaux, on va chercher à faire
des économies, à « rationaliser », comme ils disent. Mais les pros de
l’audit, dans les hôpitaux, ne sont pas des professionnels de la santé, juste
des comptables. Avec ça, la qualité de soins est assurée... ;
- pour les administrations de la santé et de la solidarité, création d’Agences régionales de santé (ARS) intégrant le médico-social et associant l’Etat et l’assurance maladie (avec les services "santé" des DDASS et DRASS, les actuelles ARH, les URCAM...). Encore des économies d’échelles, et la régionalisation de la santé.
- Economie :
- création
d’une Haute Autorité pour garantir l’indépendance des statistiques (on se
rappellera la polémique sur les chiffres du chômage que l’Insee a refusé de
publier pendant la campagne et jusqu’à cet automne, ou la coupure des crédits
pour l’Observatoire de la délinquance, qui ne dispose plus que des chiffres de
l’Intérieur...) ;
- création
d’une Haute Autorité de la concurrence (super, l’AMF ou la répression des
fraudes ça sert à quoi alors ?) ;
- aide
à l’innovation surtout pour les entreprises de moins de 5 000 salariés ;
- création d’un Centre national d’appel pour les consommateurs (si ça peut leur éviter les class action, pourquoi pas ?).
- Emploi :
- contrats
aidés que pour les plus éloignés de l’emploi : bénéficiaires de minima sociaux et chômeurs de catégorie 3 ;
- fin
des dispositifs qui favorisent les départs anticipés des seniors ;
- les exonérations de charges liées aux contrats aidés seront limitées dans le temps. C’est bien, comme ça on aura encore plus de turn over dans les emplois précaires.
- Administration :
- suppression
d’une trentaine de structures d’administration centrale ou d’organismes divers
en rapprochant celles aux missions complémentaires (ex. : fusion service
statistique du ministère de l’Industrie avec ceux de l’Insee, ou fusion des
impôts et de la comptabilité publique, autorité commune pour la police et la
gendarmerie, cette dernière passant elle aussi sous la coupe du ministère de l’Intérieur) ;
- augmentation
des papiers administratifs et fiscaux à remplir via internet (impôts, taxe
d’habitation, taxe foncière) ;
- simplification des marchés publics... (Fillon demandait même la suppression du Code des marchés publics, histoire d’être plus transparents sûrement) ;
- allègement du Code de procédure pénale... Diantre, on craint le pire pour les suspects ;
- selon Les Echos : « limitation des
consultations préalables avant l’édiction d’un texte »... C’est sûr que ça
va simplifier les choses, bientôt plus personne ne sera consulté, ce sera
encore plus simple ! ;
- toujours selon Les Echos : « allégement
du contrôle financier », oui on peut aussi dépénaliser la fraude fiscale,
aussi, ce sera plus simple ! ;
- créer huit
grosses structures centralisées pour les différentes institutions
régionales. Je suis assez perplexe quant à la cohérence de ce genre des mic mac, mais soit ;
- une
trentaine d’ambassades seront transformées en « postes de présence
diplomatique » ;
- automatisation du contrôle des étrangers aux frontières, notamment dans les grands aéroports ;
- "évaluation
extérieure de l’accueil physique et téléphonique des ministères". En
dehors du fait que je ne vois pas bien l’ampleur des économies qu’on
réalisera, je constate qu’encore une fois c’est le privé qui sera
chargé d’évaluer les performances du public. Aucun conflit d’intérêts
bien sûr ! ;
- réduction
de ce qu’ils appellent les « missions périphériques » de la police et
de la gendarmerie, comme l’escorte judiciaire ou la sécurité des « centres
de rétention » pour les étrangers. Ca veut dire que ces missions seront
confiées au privé, avec tout ce que ça implique ;
- externalisation
du recueil des demandes de visa, les consulats se concentrant davantage sur du
contrôle hiérarchisé. Externalisation = confier au privé encore une fois. A la
longue, on peut se demander s’il s’agit d’un démantèlement des fonctions
régaliennes de l’Etat (enfin, celles qui lui restent). Et puis, comme tous les
services publics privatisés, on sait que le service, puisqu’il devra être
« rentable », se dégradera forcément ;
- rapprocher dès que possible les services de l’État et les services d’opérateurs dont le mode d’intervention et les missions sont proches. En gros, encore une fois, on fait rentrer le privé dans des missions qui sont du ressort de l’Etat. La logique de rentabilité deviendra donc très vite la règle dans nombre d’administrations où le but est encore d’assurer un service.
- Enseignement supérieur :
- en
gros, on va nous « redéfinir » les rôles du public et du privé dans
les collaborations public privé. Ainsi, ce sera « simplifié », et
évidemment le public n’en sortira pas vainqueur ;
- le
recrutement des chercheurs (dans les universités) devra davantage tenir compte
des « besoins » (des entreprises, donc ?) ;
- développement
d’un système centralisé pour évaluer les coûts (et les gains) des universités
et laboratoires, et ce avec le corollaire qui est un financement « fondé
sur les performances ». Le seul problème avec ce genre de principes, c’est :
quels critères ? Définis par qui ? ;
- augmentation
des financements sur projet pour la recherche. Donc, on aura les domaines jugés
intéressants (comprendre : « rentables ») qui seront financés et les autres, ben non... ;
- évolution des modalités de définition des priorités nationales de recherche. Certes, mais dans quel sens ? Le flou artistique est maintenu sur la plupart des « mesures » de ce genre, plutôt nombreuses dans la liste.
- Social :
- lutte
contre la fraude aux prestations sociales (on rappellera que depuis deux mois
Sarko a la liste
de « quelques
centaines »
de contribuables français ayant placé de l’argent au
Lichtenstein, et rien ne vient même s’il s’agit de plusieurs milliards
d’euros). Donc on va "lutter contre la fraude" grâce à l’automatisation
des contrôles des Caisses d’allocations familiales et le développement
des échanges informatiques entre les administrations. Big Brother
arrive... ;
- fin très probable du Revenu de solidarité active, qui devait favoriser le retour à l’emploi en versant encore quelques euros.
- Armée :
- selon Le Monde : « les armées vont voir l’organisation de leurs fonctions de soutien (près de 60 % de l’effectif) profondément transformée, par une mutualisation de moyens (notamment interarmées), qui permettra de mettre fin à l’émiettement excessif des responsabilités. De véritables "bases de défense" unifiant les fonctions supports seront constituées. Ces réformes seront complétées en fonction des conclusions du livre blanc sur la défense portant sur les priorités stratégiques et opérationnelles de nos armées ;
- à l’étranger, l’action de l’État va être unifiée entre les différents services, sous l’autorité de l’ambassadeur, et mieux proportionnée aux enjeux diplomatiques, consulaires, économiques ou culturels. » On note qu’il n’est pas vraiment question de diminuer le budget, d’ailleurs on n’a pas le droit, c’est écrit dans le Traité de Lisbonne qu’on doit militariser davantage. Et puis ça plairait pas à Bush junior.
En conclusion, on observe que ces mesures ressemblent davantage à de simples économies d’échelle qu’à des réformes de fond, pensées pour faire des économies intelligemment. Nombreuses car inefficaces, diverses car sans orientation définie au préalable. On colle un pansement sur une fracture ouverte, en somme. Comme d’habitude, Sarkoléon privilégie simplement la quantité à la qualité, prenant ouvertement les gens pour des cons, espérant qu’on n’aura pas le courage de lire cette énième liste de « mesures » ultraréformatrices.
Car, après avoir dépensé de manière aussi inutile que complaisante la maigre marge de manœuvre qu’il restait au pays après douze ans de droite, que peut faire Sarko pour économiser en sachant que les dépenses sociales, logiquement, ne feront qu’augmenter ? (cf. crise immobilière américaine, chômage, augmentation des retraites...)
Car, en réalité, c’est depuis que Sarko a annoncé son programme, lors de la campagne, que la gauche pointe le caractère inconséquent de son programme économique, avec des dépenses infructueuses et aucune rentrée concrète. Mais, il n’y a pas que la gauche à avoir critiqué depuis le début l’irréalisme du président. Le Financial Times, que l’on ne peut soupçonner de gauchisme, dénonçait lui aussi - notamment - la volonté de favoriser les emplois aidés (sur lesquels il revient peu à peu d’ailleurs, faute d’argent et faute de résultats évidemment), la réforme du droit de succession ou l’abaissement du plafond fiscal. Mais surtout, c’est le financement de toutes ces mesures, que le journal évaluait alors à 29 milliards d’euros par an, qui laissait perplexe ce quotidien, puisqu’il n’était absolument pas prévu. FT parle même de « reaganisme à la française ». De belles réformes, donc, très chères, mais sans financement particulier ces mesures allaient obligatoirement creuser le déficit des comptes. C’est ainsi que, huit mois plus tard, Sarko nous dit que « les caisses sont vides », et Fillon que « l’Etat est en faillite ».
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