La Fracture Numérique : Zoom sur les oubliés d’internet
Dans une France de plus en plus accro aux nouvelles technologies, nous revenons aujourd'hui sur une réalité presque oubliée : la fracture numérique. Vous ne vous sentez peut-être pas personnellement concerné par ce phénomène bien présent mais pensez à une personne âgée, un non diplômé, ou un habitant de zone rurale, oui car toutes ces personnes sont sujettes à être délaissées par un réseau téléphonique et à être exclues de la société numérique et donc victime de nouvelles sources d'inégalités.
Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale est connectée, soit 42 % (3,04 milliards de personnes). L'an dernier, « 19,3 % de foyers français ne possèdent pas d'accès Internet en France, soit 5,4 millions de foyers. Ce chiffre était de 29 % en 2009, et de 65,6 % en 2005. »1. La fracture numérique est la disparité d'accès aux technologies informatiques et notamment Internet. D'après le CREDOC2, « les personnes qui n’utilisent pas internet appartiennent aujourd’hui à des catégories de la population bien spécifiques : 78 % d’entre elles ont plus de 60 ans, 90 % d’entre elles n’ont pas le Bac et 44 % disposent de revenus inférieurs à 1500€ par mois dans leur foyer. Les inégalités numériques se sont réduites, mais les personnes qui n’ont pas accès à internet apparaissent de plus en plus marginalisées par rapport à une tendance sociétale majeure. »3 Dans un discours de politique générale, le Manuel Valls exprime : « Notre monde, c'est aussi l'ère du numérique qui relie les hommes et qui accélère l'échange des savoirs, des marchandises, des services. Et c'est pourquoi la fracture numérique est bien plus qu'une fracture technique, c'est une fracture économique, sociale et culturelle »4.
Plusieurs modes de connexion
La révolution numérique est très rapide. Les TIC (Technologie d'Information et de Communication) ont transformé le monde en quelques années. En 1998, 4% de la population française disposait d’internet à domicile. En 2013 on est passé à 80%. C'est l'un des taux les plus élevés d’Europe.
L'usage de la connexion fixe est en baisse et la tendance est à la multiplication des points d’accès : ordinateurs fixes et portables, téléphones, tablettes, sont maintenant connectés au réseau sans fil par le wifi. La connexion à internet via un téléphone est en hausse constante. En 2013, 40% des Français étaient équipés d’un téléphone « intelligent ». Ils étaient 11% deux ans plus tôt. 4% des Français disposaient d’une tablette numérique en 2011, ils étaient 17% en 2013.5 Toujours selon l'étude du CREDOC, lorsqu’on cumule les différentes possibilités de se connecter à internet à domicile, avec son téléphone mobile, à l’aide d’un ordinateur ou d’une tablette tactile dans un lieu public (21 %) ou au travail (54 % des actifs), on dénombre finalement 82 % de la population qui utilisent internet. Rappelons qu’en 2005, seule une personne sur deux était internaute.
Une fracture tout d'abord générationnelle
Il est naturellement impensable pour la nouvelle génération : les dits « natifs d’internet », d'envisager la vie sans leur précieuse technologie mais cela s’avère moins naturel pour les génération précédente qui ont vu notre mode de vie glisser petit à petit vers le monde connecté que l'on connaît aujourd'hui : administration en ligne, e-commerce, enseignements numériques, réseaux sociaux,… mais aussi vers ces dérives : addictions aux nouvelles technologies, exposition de la vie privé, violence sur internet, piratage,… Peu à peu une fracture s’installe et les écart se creusent, c'est pour cela que l'on peut observer que « « 5% des plus de 70 ans sont équipés de smartphones, contre 75% des 18-24 ans »6
Ces générations sont comme des « immigrants » d'internet parfois dépassés ou indifférents devant les nouvelles technologie, qui sont bien loin d'être évidentes à maîtriser dans la mesure où elles sont en perpétuelle évolution,
C'est pour cela que 14 % des Français ne se sont jamais connectés et qu'ils sont 37 % à déclarer avoir du mal à se débrouiller sur Internet.7 Et les plus touché sont donc nos aînés, en effet l’étude du CREDOC, nous montre que les non-internautes sont beaucoup plus âgés que la moyenne : 20 % ont entre 60 et 69 ans et 58 % est âgé de 70 ans ou plus. Soit 2 non-internautes sur 3 sont retraités et seuls 5 % d’entre eux possèdent un smartphone.
Une fracture géographique
Après le fossé générationnel la seconde cause de la fracture numérique en France est l'inégalité géographique d’accès aux réseaux, en effet un grand nombre de zones rurales et de haute montagne ne sont pas dé-servies par le réseaux et sont donc appelées zones blanches : en zones rurales, seuls 18 %8 des foyers sont connectés.
Pour résoudre ces inégalités d'accès à internet et à la téléphonie mobile, le premier ministre s’est engagé à supprimer d’ici la fin de 2016 « les zones blanches », privées d’accès à ces réseaux 2G et 3G, quitte à contraindre les opérateurs par la loi . « La fracture territoriale, c’est aussi la fracture numérique », a relevé Manuel Valls9. « En 2022, la France sera totalement connectée au très haut débit », a promis Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique. Rappelons qu'il ne resterait que 0,1 % de la population et 1,5 % du territoire métropolitain non couvert par un réseau 2G.
Une fracture sociale
C'est celle qui sépare les usagers des TIC des non-usagers, entre ceux qui s’adaptent, et ceux qui restent à l’écart de la société numérique une inégalité sociale s’installe. Les personnes à revenus élevés, les cadres supérieurs, et les habitants d’agglomération, sont plus équipés et plus susceptibles d’utiliser plusieurs modes de connexion simultanées. « En 2013, 55% de la population pratiquait le commerce en ligne, mais le chiffre monte à 79% pour les 25-39 ans et 82% pour les diplômés du supérieur »10nous explique Dominique Cardon, sociologue et chercheur au laboratoire des usages de France Télécom.
Vie personnelle et vie professionnelle s'entrecroisent
L’usage professionnel d’internet est lui aussi très inégal : neuf cadres sur dix aurait accès au réseau sur leur lieu de travail, contre seulement deux ouvriers sur dix. Les personnes connectées utilisent internet à des fins personnelles sur leur lieu de travail, et à des fins professionnelles en dehors de leur lieu de travail11. Pour Marc Bertrand et David Belliard dans Alternatives économiques, « l’économie numérique a un effet multiplicateur des inégalités, car ce sont les plus éduqués et les plus informés qui en tirent le mieux profit. » Valérie Peugeot, vice-présidente du Conseil national du numérique, exprime le même avis : « Les non-connectés, devenus minoritaires, sont également ceux qui sont par ailleurs victimes de marginalisation sociale, culturelle et économique. ».
Les déconnectés volontaires
En effet, il y a ceux qui peuvent disposer des TIC, de la maîtrise de ces outils, diplômés ou non . Selon une étude de Havas Media, 62,9% des Français auraient le sentiment d’utiliser ces technologies “beaucoup ou trop”, et 65,2% ont déclaré avoir envie de se déconnecter, 59,7% le faisant déjà par intermittence. « Ces déconnectés volontaires, que l’on pourrait ici qualifier de “partiels”, ne sont donc pas les victimes économiques de la fracture numérique. Les arguments sont autres : sentiment d’inutilité des réseaux sociaux, peur diffuse de Big Brother, résistance à l’infobésité, refus d’être joignable en toutes circonstances, ou encore de perdre du temps avec la multiplication, jusqu’à saturation, de stimulis aussi nombreux qu’inutiles… »12 déclare Audrey Minart, journaliste indépendante.
Un nouveau facteur d'inégalité
Aux causes d'exclusion bien connues que sont le chômage, le faible niveau d'instruction, l'isolement, les mauvaises conditions de vie... vient s'ajouter la difficulté d'accéder au numérique, non plus parce que ce n'est pas techniquement possible, mais parce que l'on est déjà en grande difficulté financière et/ou dans l'incapacité d'en appréhender et maîtriser les usages pour des raisons culturelles, d'éducation, ou par le simple fait « de se sentir dépassé ».
Effectuer un acte sur Internet comme une télédéclaration, un règlement, la réservation d'un billet de train ou d'une simple place de cinéma peut devenir un véritable parcours du combattant.
Ophélie HELISSEN et Marjorie AUDONNET
1« Seuls 2 foyers français sur 10 ne sont pas connectés à Internet », Commentçamarche.net, par Sophie Garrigues le jeudi 14 août 2014
2Centre de Recherche pour l’Étude et l'Observation des Conditions de vie
3Enquête sur les « Conditions de vie et Aspirations des Français », La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française, par Régis BIGOT, Patricia CROUTTE et Emilie DAUDEY, CREDOC, de 2013
4« "La fracture numérique est bien plus qu'une fracture, c'est une fracture économique, sociale et culturelle", affirme le Premier ministre Manuel VALLS dans son discours de politique générale » dans La Correspondance de la Presse Problèmes d'actualité, le mercredi 9 avril 2014
5« Quelles fractures numériques ? » Dominique Cardon, dans l'émission l'Esprit Public sur France Culture, par Philippe Meyer, le 25 mai2014
6« Quelles fractures numériques ? » Dominique Cardon, dans l'émission l'Esprit Public sur France Culture, par Philippe Meyer, le 25 mai2014
7La fracture numérique n'a pas disparu en Europe ,Le figaro, Caroline de Malet, mardi 3 juin 2014
8La fracture numérique n'a pas disparu en Europe ,Le figaro, Caroline de Malet, mardi 3 juin 2014
9« Services publics, santé, fracture numérique... Les mesures de Valls pour les zones rurales » La Voix du Nord, mars 2015
10« Quelles fractures numériques ? » Dominique Cardon, dans l'émission l'Esprit Public sur France Culture, par Philippe Meyer, le 25 mai2014
11« Quelles fractures numériques ? » Dominique Cardon, dans l'émission l'Esprit Public sur France Culture, par Philippe Meyer, le 25 mai2014
12« Les “déconnectés volontaires” sont-ils des avant-gardistes ? » Citazine, par Audrez Minart, lundi 13 janvier 2014
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