Un portrait d’Oswald von Wolkenstein par l’Ensemble Leones
Ceux qui me suivent savent combien la musique du Moyen Âge revêt une place certaine dans ces chroniques. Je me propose de vous entretenir aujourd’hui avec l’Ensemble Leones dirigé par le luthiste Marc Lewon, ensemble allemand incontournable avec déjà quatre disques au compteur en trois ans. Cette riche production ne pouvait plus être passée sous silence et je profite de la sortie de leur dernier disque sur le label Christophorus consacré au poète et compositeur Oswald von Wolkenstein (1376/77-1445) pour vous présenter un aperçu de leur production.
On pourrait consacrer tout un billet rien qu’à la vie de Oswald von Wolkenstein. Elle est documentée par plus de mille témoignages écrits qui font plus souvent état de l’homme diplomate que du musicien. Issu de la petite noblesse tyrolienne, mercenaire en Europe et en Afrique, on le connaissait politicien, châtelain, chevalier impérial en plus d’être le poète et compositeur qui a gagné la postérité. Il maitrisait le chant ainsi que plusieurs instruments et il aurait parlé une dizaine de langues dont il fait usage dans ses oeuvres. A titre d’exemple, la première pièce utilise sept langues et la dernière du disque combine cinq langues différentes : allemand, français, latin, slovène et le ladin, dialecte romanche des vallées du Tyrol du sud.
Oswald était un homme aux manières rudes comme en atteste son apparence. Homme impitoyable, il ressemblait plus à un chevalier maraudeur qu’à la noble figure romantique du seigneur médiéval. Mais question musique, c’était sans compter son ouverture d’esprit, s’intéressant aux avancées techniques dans les différents pays qu’il a visité. Deux grands manuscrits compilés sous son égide (Innsbruck & Vienne) nous ont transmis ses oeuvres poétiques et musicales, c’est-à-dire 130 chansons. Entre tradition, expérimentation, simplicité et recherche, Oswald Von Wolkenstein ouvre la voie à la culture de la première Renaissance.
L’Ensemble Leones s’est donné pour mission d’enregistrer la pluralité de l’oeuvre d’Oswald ; ainsi trouve-t-on des rengaines populaires, des ballades monodiques narratives, de la polyphonie complexe, du contrepoint savant, ou encore des canons. De plus, certaines oeuvres présentes sur cet album furent rarement entendues jusqu’ici, demandant un nouveau travail de transcription effectué par Marc Lewon. Pour rendre vivant ce répertoire exigeant, les sonorités choisies par l’ensemble vont de la polyphonie a capella à la version instrumentale en passant par un savant dosage entre voix et instruments comme la vièle, le luth, la flûte traversière, et même la corne de vache. Peut-être pouvait-on s’en douter au vu des réalisations précédentes de cet ensemble, toujours est-il qu’il faut souligner d’emblée la qualité générale du projet. Sous l’égide de Marc Lewon, élève des non moins prestigieux Crawford Young (luth) ou Randall Cook (vièle à archet), sa recherche combine deux versants complémentaires, à savoir musicologie et pratique concertante. Son blog (en allemand) faisant état de ses recherches musicologiques est extrêmement passionnant.
Pour ce programme conçu tout en pertinence et en rigueur, il s’est adjoint les services de la chanteuse Els Janssens-Vanmunster, pleine d’affinités avec le répertoire car collaborant souvent avec ce microcosme d’ensembles allemands spécialisés dans la musique ancienne (pensons à l’ensemble Les Flamboyants), et tout à fait convaincante que ce soit dans les parties polyphoniques ou dans la fameuse chanson monodique Es seusst dort her von orient de onze minutes(piste 6). Autre figure connue et dont j’ai eu l’occasion de parler souvent est le délicat joueur de vièle Baptiste Romain, véritable pierre angulaire de ce projet avec le luth et le chant de Marc Lewon. Il faut à tout prix aussi mentionner les voix convaincantes de Miriam Andersén (qui joue de la harpe) et Tobie Miller, ainsi que la flûte traversière médiévale de Liane Ehlich, instrument rarement entendu mais qui déploie une palette de sons tout à fait chaleureuse. Nous savons combien cette musique peut être difficile et il est heureux de voir comme chaque protagoniste permet de rendre leur interprétation vivante et plausible grâce à leur conviction certes, mais aussi à un travail en amont de longue haleine.
En fait, et je le dis rarement , il n’y a rien à jeter dans ce disque dont le minutage - excusez du peu - atteint les 80 minutes sans donner un seul instant d’ennui. C’est une constante d’ailleurs dans la discographie de l’ensemble (celui-ci étant même dépassé dans le disque Agricola), à croire qu’il est un signe de la passion qui les anime, voulant partager leurs découvertes le plus abondamment possible avec le public.
Rien à jeter donc, entre la chanson monodique de douze minutes Durch aubenteuer tal und perg (piste 4) chantée par Marc Lewon, le canon Mit gunstlichem herzen (piste 14), la chanson polyphonique complexe a capellaWolf auff, wol an (piste 9) ou l’arrangement instrumental cistre-flûte traversière de Ain Gút Geboren Edel Man (piste 10) suivie de l’exquise chanson accompagnée à la harpe Wer ist, die da durchleuchtet (piste 12) pour ne citer que quelques passages remarquables ; montrant ainsi toute la cohérence et la diversité obtenues au sein de l’ensemble.
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The Cosmopolitan : Songs by Oswald von Wolkenstein (c.1376-1445)
Marc Lewon : chant, luth à plectre, cistre, vièle à archet & direction
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Je ne peux donc que vous conseiller d’aller plus loin en vous plongeant dans la discographie du groupe. Je retiens particulièrement deux enregistrements préparés avec le même soin : l’un paru en 2012 chez Naxos consacré à Neidhart (c.1185-1240), et l’autre paru l’année passée sur le label Christophorus présentant la musique instrumentale d’Alexandre Agricola (c.1445-1506).
Pour le premier cité, nous retrouvons Els Janssens-Vanmunster, Baptiste Romain et Marc Lewon autour du Minnesänger (troubadour allemand) Neidhart et du fragment ‘O’ du « Manuscrit de Francfort ». Entre chansons rustiques, érotiques voire violentes, ce disque donne à entendre des oeuvres appartenant à la lyrique courtoise allemande. Cependant, si ses contemporains se fondent dans les idéaux de l’amour courtois, Neidhart renverse la situation amoureuse et délaisse le monde de la cour pour un univers villageois.
Le programme se compose de six mélodies originales complétées par des pièces instrumentales. Du minimalisme de l’effectif se dégagent des interprétations raffinées de bout en bout. En effet, elles adoptent différents schémas, de la formation a capella au chanteur s’accompagnant lui-même ou accompagné par un/plusieurs instrument(s), la vièle étant le plus commun. Ne croyez pas mes éloges vains, il y a de quoi être conquis par cette esthétique pleine de poésie. Un magnifique disque - jugez par vous-même avec l’extrait ci-dessous - et qui plus est à petit prix !
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Neidhart (c.1185-c.1240)
A Minnesinger and his “Vale of Tears” : Songs & InterludesI. Willekome eyn sommerweter suze (Bienvenue au doux temps d’été)
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Quant au programme sorti en 2013 consacré à Alexandre Agricola, nous sommes plongés dans la période contemporaine de Johannes Ockeghem, c’est à dire la deuxième moitié du 15ème siècle. D’une façon différente de ce dernier, les rébus musicaux abondent dans la musique d’Agricola. Il repousse le style musical de son époque dans des régions inexplorées. Alors que certains auteurs du passé considéraient ces pièces comme des exercices de notations ou, pire encore, comme des démonstrations de sophistication intellectuelle - un peu à l’instar de ce qui s’est passé avec l’Ars Subtilior au tournant du 14ème siècle - le propos de l’Ensemble Leones est ici de démontrer que l’on peut aller au-delà des notes, rendant enfin justice aux lignes musicales qui caractérisent ce style. Le nom d’Agricola fut associé à un grand nombre de pièces sans textes, telles quePater meus ou Cecus non judicat, et c’est précisément sur ce type de compositions que cet enregistrement se concentre : sa musique instrumentale.
D’une beauté d’ensemble rarement atteinte dans ce répertoire, ce projet fait appel selon les effectifs au baryton Raitis Grigalis, à un violon renaissance (tenu par Baptiste Romain), une viole de gambe renaissance, trois viola d’arco, une harpe et un cornet, en plus du luth et de la guiterne tenus et dirigés par Marc Lewon. Un splendide tableau sonore qui, une fois de plus, n’ennuie pas sur la longueur et où je dois mentionner sans plus attendre le timbre moelleux du cornettiste Gawain Glenton et l’aisance du baryton cité plus haut. Justice est donc rendue !
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Colours In The Dark : The Instrumental Music of Alexander Agricola (c.1445-1506)
I. In minen Zin, à 3
II. Alexandre Agricola & Johannes Ghiselin (fl.1491-1507) : Duo, à 2
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