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Accueil du site > Tribune Libre > On est ce qu’on dit

On est ce qu’on dit

Ce qui suit n’est pas un article d’actualité, mais porte sur un sujet actuel. C’est un appel au bon sens populaire, au secours d’une cause toute simple. Il traite certes d’une tendance assez récente, de l’ordre de la dizaine d’années, ce qui peut sembler long à l’heure de la dictature de l’actualité elliptique et fugace de Twitter, mais demeure assez court en regard de la durée d’installation des règles du discours correct, puisque c’est de cela qu’il est question ici.

L’expression orale est, par nature, plus spontanée et moins surveillée que l’expression écrite. Il n’en reste pas moins que certaines professions, comme les avocats ou les enseignants, doivent surveiller la leur avec une attention toute particulière, et ils y réussissent en général assez bien pour le premiers, avec un bonheur plus inégal pour les seconds (dont la qualité de l’expression va souvent décroissant en descendant les degrés de l’enseignement supérieur vers le primaire, peut-être, entre autres, pour mieux se faire comprendre de leur auditoire, préférant ainsi descendre à son niveau que le hisser vers le progrès, mais cela est une autre histoire).

Il est cependant d’autres voix qui se font entendre d’un public plus large, et qui ont elles aussi, à ce titre, le devoir de s’exprimer dans un français qui, sans être nécessairement élégant ou éloquent (c’est rarement le cas, de toute façon), doit pourtant à tout prix être correct, même dans un entretien spontané, même dans un débat, même dans une discussion. Par leur exposition médiatique, par leur bagage de connaissances dans certains domaines ou par l’autorité qu’elles se sont construite, ces voix se posent en modèle pour les auditeurs ou spectateurs de leurs interventions : ce sont les voix des professionnels de la radio et de la télévision (émissions, fictions et publicité), mais aussi des intervenants ponctuels dans ces mêmes médias (politiques, économistes et « experts » de tous bords).

Or, loin de constituer un modèle, ces intervenants, et ce, quel que soit leur niveau d’instruction (j’insiste lourdement sur ce point), s’expriment la plupart du temps dans une langue qui, non contente d’être pauvre ou truffée d’anglicismes et d’inventions variées qui relèvent moins du désir d’enrichir son discours que de pallier une sécheresse de pensée et une absence de fond, est surtout bien souvent fautive. En effet, la langue orale recèle des pièges qui passent inaperçus à l’écrit, au premier rang desquels la prononciation des liaisons.

J’aimerais ainsi qu’on m’explique pourquoi, alors que personne ne commet ce hiatus dans des expressions comme « il a cent ans » ou « une maison de deux cents ans », ces quantités de cent, deux cents, quatre-vingts unités, etc. donnent subitement lieu à une rupture des plus choquantes à l’oral lorsqu’elles sont associées au mot magique « euro » (et, dans une moindre mesure, « habitant », « enfant », pour ne citer que les fautes les plus fréquentes). Pourquoi, en effet, traiter l’euro comme un nom précédé d’un « h » muet invisible et prononcer des énormités comme « cent (H)euros », « quatre-vingts [H]euros », « cinq cents [H]euros » ? Jusqu’à dix euros, il est à peu près admis que seules les personnes vraiment dépourvues d’instruction avalent ainsi la liaison (ce qui donne sur le marché des choses vraiment difficiles à comprendre comme « troiro », « deuro » ou « dyeuro ») et puis, subitement, comme par magie, même des personnes soi-disant éduquées font de même à partir de vingt euros (alors qu’elles-mêmes ne diraient jamais que leurs enfants ont « vin[H]ans »).

Ce qui me sidère dans ce phénomène, c’est autant l’absence de logique et de bon sens élémentaire que le fait que ces personnes ne réfléchissent même pas à leur expression. Or, ne pas réfléchir à la manière dont on parle est très grave, car c’est justement en parlant qu’on se présente à autrui. En perpétuant de telles prononciations fautives sans aucune raison sur les plateaux de télévision, dans les studios de radio, mais aussi sur les scènes des théâtres, dans la bouche de comédiens pourtant reconnus et qui ont dû prendre des cours de diction et de prononciation dans leur jeunesse, et qui devraient donc constituer des exemples, là encore, ce « cancer de la gorge » ne fait que se répandre.

Je me suis étendue sur la prononciation des sommes en euros parce que c’est la plus fréquente et la plus choquante, mais il est une autre victime de ce mélange de laisser-aller et d’ignorance crasse : l’accord du participe au féminin. Combien de fois entends-je, dans la bouche de femmes exerçant des professions dites « intellectuelles supérieures », « je me suis [mi] à l’écouter » ou « il m’a [pri] par la main ». On marche sur la tête ! À l’heure où on ajoute à tout bout de champ des articles ou des désinences personnelles artificiellement féminisées à des mots qui n’en ont nul besoin (comme, respectivement, « la » maire, ou « auteure », particulièrement horrible), une règle grammaticale simple de prise en considération du genre féminin passe totalement à la trappe !

On me dira : « quelle importance ? Tout cela n’est pas grave. » Eh bien si. La manière dont on s’exprime est importante. C’est grave de faire des fautes de prononciation qui n’auraient été commises que par des illettrés il y a quelques dizaines d’années et qu’on doit supporter dans la bouche d’une soi-disant élite aujourd’hui. Réfléchir à la manière dont on parle, y penser, ce n’est pas important, c’est capital, c’est essentiel. On est ce qu’on dit. Et ne pas réfléchir à la manière dont on exprime ses idées ne laisse pas présager grand-chose d’encourageant sur la qualité de la réflexion qui a accouché de ces dernières.


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15 réactions à cet article    


  • philoxera philoxera 29 octobre 2014 15:23

    Y’a pu d’saison ma bonne dame !


    • cevennevive cevennevive 29 octobre 2014 16:26

      Hélas !


      Cela me fait penser à cette chanson d’Eddy Mitchell :

      « Pas de boogie hoogie avant vos prières du soir »

      passée et repassée à la radio depuis... 20 ou 30 ans, où l’on entend :

      « ... Reprenez (R)avec moi tous en coeur »

      à chaque refrain.

      L’on peut se demander comment une telle erreur (horreur) est passée inaperçue des professionnels du disque, et pourquoi l’on continue à l’infliger aux auditeurs.

      A propos d’euro, j’ai maintes fois entendu « cent (z)euros »...


      • Anne Anne 29 octobre 2014 16:33

        Votre commentaire est tout à fait pertinent. De fait, quand je chante cette chanson chez moi, je rétablis toujours la bonne liaison, je trouve cela tellement dommage et, comme vous, incompréhensible.

        Quant aux « cent(z)euros », je pense qu’un grand pas serait fait si la plupart des locuteurs comprenaient que cette liaison fautive est tout aussi incorrecte que l’absence totale de liaison (et inversement...)


        • cevennevive cevennevive 29 octobre 2014 17:20

          Les termes « professeure, docteure, auteure », que je trouve, comme vous, très laids, reflètent la façon de parler de beaucoup de gens.


          Dans la rue, à la radio ou au bureau, vous entendez des :

          « Bonjoure », « un joure », « le contoure », etc, qui m’énervent un peu par leur répétition à l’infini.

          Et que pensez-vous de « déjner » ?

          Là, il faut prononcer le « e »...

          C’est dommage finalement. Tous ces gens dont la langue maternelle est le français et qui ne le parlent pas correctement, font concurrence aux comiques, aux chansonniers. Ils nous font parfois rire, alors qu’ils prétendent être sérieux.

          Un peu comme les « Précieuses ridicules » ou les « incoyables » des époques révolues.

          On prétend partout que la langue évolue. J’ai peur qu’elle n’évolue vers un « incoyable » sabir.

          Mais je suis de la vieille école.

          Bien à vous.
           





          • lsga lsga 29 octobre 2014 17:23

            Pour rappel, la population française roulait abondamment les « r » jusque dans les années 60.
            Aujourd’hui, vous ne parlez plus français, vous parlez le parisien mondialisé. 


          • cevennevive cevennevive 29 octobre 2014 17:47

            Isga,


            Rouler les « r » n’est pas une faute de français voyons !

            Mais vous avez un peu raison, nous parlons « le parisien mondialisé ».

            Heureusement, nous lui ajoutons souvent quelques régionalismes pour le pimenter un peu, du genre :

            « Isga, vous êtes »irètge« et vous »escagassez« tous les intervenants »



          • lsga lsga 29 octobre 2014 17:50

            home, yo soc mes pesat qu’el caganet. 


          • Ruut Ruut 29 octobre 2014 22:23

            Cela doit surement venir des comptes pour enfants bourrés de fautes de prononciations ou des nouveaux jouets pour enfants d’un Français plus que douteux.
            Nous récoltons ce que nous semons.
            .
            C’est un peut comme au JT parler de WEEK END au lieu de Fin de Semaine etc...

            Le Ministre de la Culture fait tout pour détruire la culture de la Francophonie en la saturant d’Anglicisme inutiles ou de traductions technologiques douteuses (sens imagé sans lien avec le sens technique).

            C’est aussi le résultat de l’expérimentation loupé de techniques de lectures inadaptées sur plusieurs générations qui sont maintenant parents.

            C’est aussi la fautes au Autorités françaises qui ne forcent pas les produits vendus en France a être en Français (ex : les jeux PS4 jamais en VF).


            • alinea alinea 29 octobre 2014 22:55

              J’ai adoré le coup de « l’auteur- eu » et du « il m’a pri par la main » !!
              Tout est dit ; mais c’est tellement compliqué qu’il faut simplifier l’orthographe !! Il y a pas un siècle, le moindre péquenot savait parler et écrire correctement ; aujourd’hui, c’est trop compliqué !
              Les fautes de français à la radio ?!! à une époque, je m’amusais à les collectionner !
              C’est une perte sèche ; la grammaire est si riche qui colle autant que possible au réel !
              Mais les gens de radio ne sont plus des professionnels !! ils parlent comme on parle quand on ne sait pas ce qu’on va dire derrière la prochaine virgule !! de l’impro, sans travail préalable, c’est minable !
              Au fait t’aurais pas cens euros ? smiley


              • Passante Passante 30 octobre 2014 09:20

                tout cela est très éloquent, femmes passant outre leur féminité grammaticale, où ne prenant plus garde à la situer, c’est dans l’air du temps, mascaras fondants...

                mais surtout, la vraie splendeur : tous ces gens sont en fait très instruits du fait que la liaison avec le rôt, ça ne se fait pas ! - c’est donc une fidélité de France qui refuse ce lien, car ne pas lier sur l’euro, c’est aussi avouer que l’entrée dans cette Europe demeure bel et bien impossible.

                • Anne Anne 30 octobre 2014 09:58

                  A propos des anglicismes qui ne servent à rien, voir http://francaissansfautes.wordpress.com/2012/02/03/les-anglicismes-qui-ne-servent-a-rien-ou-comment-faire-du-neuf-avec-du-vieux-a-moindre-cout/

                  En titrant ainsi cet article, je voulais insister également sur le fait que chacun puisse choisir (s’il utilise sa jugeote et qu’il y réfléchit une seconde) de s’exprimer correctement, sans se faire aspirer par la négligence ambiante (concernant ces fameuses liaisons) ou par les expressions à la mode dans les entreprises (je ne les ai pas abordées ici, mais les expressions de performance et de gestion employées dans les bureaux - y compris des administrations - sont elles aussi confondantes de ridicule (les verbes « manager » ou « forwarder », « deadline », et j’en passe).


                  • alinea alinea 30 octobre 2014 10:38

                    Ce qui est navrant, c’est pas que les gens fassent des fautes, on en fait tous ! Mais qu’il soit question de réduire l richesse d’un vocabulaire et d’une grammaire, comme si la langue se faisait et se défaisait par décret !
                    C’est encore une chose, la dernière sans doute possible, que l’on veut ôter au peuple ; cette merveille toujours en mouvement, sans auteur, anonyme, collective, spontanée, telle que devrait être notre vie en société !
                    Mal l’enseigner et l’appauvrir , n’est pas de ce ressort !


                  • FingerInZeNose FingerInZeNose 30 octobre 2014 11:46

                    Sans vouloir m’attirer les foudres de vous tous. Pensez-vous réellement que la façon dont nous nous exprimons soit le reflet de l’individu que nous sommes ? de nos compétences ? Ne pourrait-on pas juste accepter que la langue française évolue comme elle l’a toujours fait ? N’en déplaise aux conservateurs de la langue française ? En ne s’attachant qu’à la forme vous oubliez ce qui compte réellement, la pensée ! Notre niveau de langage ou de connaissance de celle-ci est-elle si importante que nous devions en oublier l’essentiel : la réflexion ? Je préfère largement débattre avec une personne qui fait des fautes d’orthographe à l’oral, qu’avec une personne lettrée et bien pensante sans intérêt. 


                    • alinea alinea 30 octobre 2014 12:17

                      La pensée et le langage sont les deux faces d’une même pièce : il est exactement là le problème d’une langue appauvrie !!
                      Le fonds et la forme sont liés, étroitement liés ! Vous êtes sûr qu’il y a réflexion en langue SMS ?


                    • Passante Passante 30 octobre 2014 21:00

                      Finger, il ne s’agit plus d’évolution dans ce cas ; 

                      sur des siècles la langue a évolué, et l’on sait ce que c’est... 
                      mais non, il s’agit bien là d’un énorme appauvrissement, réel, mesurable.

                      responsables directs ? 
                      le mamouth pris en convulsions de culpabilités maternalisantes, 
                      et surtout les medias.

                      un vrai travail de sape a eu lieu, sur des décennies, par des spécialistes en charcutage,
                      armés des lames les plus abjectes ; 
                      et le résultat est là :
                      on peut presque parler de génocide culturel, 
                      même si les assises du nuremberg concerné ne sont pas encore ouvertes.

                      non seulement la pensée s’appauvrit en conséquence, 
                      ne serait-ce qu’en nuances, et tout est là, mais c’est bien plus aussi.

                      Y ajouter le centre, le coeur de toute cette affaire : 
                      il n’est pas de corps sans oreille, 
                      tout appauvrissement verbal est d’abord dépossession de corps donc de subjectivité, 
                      l’affaire est politique -
                       
                      comment ? 
                      toute sensation que vous ne saurez nommer et différencier ne sera pas mémorisée, 
                      toute perte de puissance de mémoire est perte d’éveil et de conscience...

                      des titans d’il y a à peine un demi-siècle cèdent maintenant la place à des puces, 
                      c’est visible, lisible et surtout audible.

                      qu’importe les 2000 milliards de dette 
                      quand la perte des mots et du plaisir de parler sont sur le devant de la scène, 
                      car perdre le plaisir du bien parler, c’est changer de sol, de statut, et de corps ;
                      et cela n’est pas remboursable ou surmontable -
                      si vous perdez ce plaisir, c’est non seulmeent un goût qui saute (seule richesse réelle), 
                      mais c’est surtout une projection de pouvoir, une volonté de puissance, 
                      appelons les choses par leur nom... 
                      autrement dit, la perte langagière ne porte jamais que sur la vie même, 
                      quelle que soit la langue en question.

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