Des nouvelles de la planète Mars
Film De Dominik Moll avec François Damiens, Vincent Macaigne, Veerle Baetens, Jeanne Guittet, Tom Rivoire, Olivia Côte, Michel Aumont, Catherine Samie.
Ce film génial fait un petit démarrage, et c’est regrettable…
Des nouvelles de la planète Mars est un exemplaire unique et fou de la tragédie des gentils, traitée en burlesque intense ! Chapeau les artistes !
Philippe Mars est trop gentil, c’est son malheur. Etre gentil, c’est être du côté des gens. Il n’arrive pas à dire non, il aide, il rend service. Du coup, tout le monde dispose de lui à sa guise ; il serait faux de dire qu’il n’arrive pas à s’imposer ; il est lui-même, il s’exprime quand il accepte des efforts pour résoudre les problèmes des autres. Tout le monde empiète son monde (son appart) et sa vie : même l’amie psychotique de son collègue de bureau se mêle de l’éducation de son fils, passe devant ses conseils, dit qu’elle s’arrête et se tait alors qu’elle continue. Pourtant, elle squatte chez lui et lui a même pris son lit (il lui a laissé) !
La gentillesse est en principe une vertu. C’est la générosité. En fait, c’est un grand handicap. Le gentil, c’est un peu l’idiot de Dostoïevski, en effet. Les gentils se font gentiment casser la gueule et on leur reproche aisément ensuite de s’être mis dans cet état-là : « nous aussi, nous croisons des méchants et on ne se fait pas casser la gueule, c’est donc bien ta faute. » Se faire casser la gueule, cela arrive, au sens propre, à Philippe Mars. Le gentil, sauf miracle, meurt, il meurt dans un acte de gentillesse envers quelqu’un (voir dans un milieu social de déclassés précaires, la fin du géant égoïste de Clio Barnard). Dans Des nouvelles de la planète Mars, le miracle a lieu, nous sommes dans un monde irréaliste, surréaliste au sens ordinaire de ce terme, l’incroyable y est ordinaire, et réciproquement.
La déclaration de gentillesse est très proche du début du film. Un homme promène son chien et le laisse poser une grosse crotte au milieu du trottoir. Philippe Mars lui demande de l’enlever. L’homme regimbe, et finit par dire, en substance : « me prends pas la tête… avec tous les ennuis que j’ai en ce moment… _ Eh bien, justement, si tout le monde arrangeait les autres, tu aurais peut-être moins d’ennuis _ Ah tu vois ça comme ça, toi ? _ Parfaitement, je vois ça comme ça ! » Bien sûr, avec deux bouts de carton pris n’importe où, Philippe Mars nettoiera le trottoir.
Des nouvelles de la planète Mars raconte une histoire invraisemblable, peuplée de personnages farfelus. Néanmoins, le scenario est solide et tortueux à souhait. Bravo les scénaristes ! De nombreux points y trouvent leur place et surtout leur parcours, il ne faut pas trop les dire, ils sont dans des registres divers. Deux exemples, allez, deux : le vieux voisin, ancien chauffeur de Giscard, qui roule dans une des voitures de l’ex-Président, ne parle que de lui, faisant rejaillir sur lui la gloire présidentielle… Un moment, il raconte une improbable liaison entre Giscard et Brigitte Bardot, qu’il conduisait dans la forêt où le couple disparaissait, sans doute pour consommer leur intimité. Le vieux voisin a fait une photo, en cachette, qu’il présente comme compromettante… on voit cette photo, banale et illisible (on ne peut y reconnaitre personne) ! C’est un moment, une déviation, une boucle dans l’histoire, d’une grâce, d’une subtilité absolues. Le deuxième exemple parle de pari, de télévision, d’euros et de concombre… et traverse le film par petites séquences ; le « dénouement » se fera dans le trouble public de la mère-journaliste, comme si toute sa vie personnelle, familiale l’envahissait en tant que manque, refoulé revenant en raz-de-marée… là aussi, fugace moment volatile comme un parfum, un parfum frais comme des chairs d’enfants (Baudelaire), ses enfants qu’elle délaisse… C’est un film dans lequel on sauve des grenouilles de la dissection collégiale, et dans lequel on les sauve encore d’une explosion criminelle en forme de feu d’artifice qui a perdu sa route.
C’est un film merveilleux de délicatesse et de finesse. Avec des scènes de destructions du mobilier et des machines dans des crises de folie à appeler le SAMU. Avec des symboles de scaphandrier de l’espace gros comme un arbre poussant là exprès pour cacher une forêt. Tout le monde voit les gros sabots et personne ne voit la porcelaine qui fait l’ossature filée de la folie ambiante et le décor de la promenade, avec un propos humain fort de café.
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