• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Michel RENARD

sur Mahomet : les limites de la caricature


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Michel RENARD (---.---.217.178) 7 février 2006 14:10

Ma vérité sur les caricatures de Mahomet

Des caricatures, parues dans un journal danois en septembre 2005, ont vilipendé l’image du prophète Mahomet (Muhammad). Des musulmans disent leur colère, d’autres sont déjà passés aux actes. D’autres encore iront, peut-être, plus loin : fatwa d’appel au meurtre, assassinat comme cela a été accompli contre le cinéaste hollandais Théo Van Gogh... Est-il légitime qu’une conscience croyante aille jusqu’à de telles extrémités ? Non. Et pour plusieurs raisons.

1) Le dénigrement du Prophète est aussi vieux que le début de son action. Le Coran mentionne souvent les outrages verbaux subis par « l’Envoyé de Dieu ». Celui-ci a été traité de menteur (« Ils vont jusqu’à dire : un fagot de songes ! Encore les a-t-il inventés », XXI, 5) ; de faussaire (« Les dénégateurs ont dit : Ce n’est là que mystification, qu’il combine en se faisant aider par un groupe d’autres gens », XXV, 4) ; d’apocryphe (« Vont-ils prétendre que c’est de sa part discours d’apocryphe ? », LII, 33) ; de fou (« votre compagnon ne s’égare ni n’est fol », LIII, 2) ; d’égoïste (« Il en est encore parmi eux qui te dénigrent en matière d’aumônes. S’ils en recevaient une miette, ils seraient contents ; comme ils n’en reçoivent pas, les voilà enragés », IX, 58).

2) Un musulman pieux - je ne parle pas de celui pour qui l’islam n’est qu’une « identité » ou qu’un « programme politique » - lit ces termes tous les jours, ou presque. Cela n’attente pas à sa foi. Il sait que les adversaires de l’islam, ou simplement ceux qui se questionnent sur sa vérité, peuvent recourir au vocabulaire du dénigrement. Il sait aussi que dans le Coran, la sanction contre ceux qui dénigrent le Prophète appartient à Dieu : « ne savent-ils pas que quiconque fait front à Dieu (et à Son Envoyé), conséquemment sera châtié du feu de la Géhenne où il restera pour l’éternité ? » Le musulman pieux s’en remet donc à Dieu de laver l’affront.

3) On avance, dans la polémique en cours, que l’islam « interdit » la représentation du Prophète. Sous cette forme générale, cette assertion est une contre-vérité qui est régulièrement démentie mais tout aussi régulièrement répétée. Qu’une tradition dominante dans la pensée musulmane n’use pas de telles représentations, est vraie ; et cela relève plus d’un aniconisme que d’une prohibition iconoclaste (lire l’article de Pierre Lory paru dans Discours psychanalytique 2, octobre 1989). Mais il existe aussi toute une tradition artistique, en particulier d’origine persane et ottomane, qui a maintes fois représenté le Prophète, que cela soit avec le visage voilé et ceint de la mandorle (flamme de sacralité) ou avec des traits proprement humains. Cet héritage pictural est partie incontestable de la conscience musulmane et de sa sensibilité artistique. Un tel patrimoine relativise les discours qui prétendent interdire toute image du Prophète au nom de la foi, ou qui affirment que donner une représentation humaine du Prophète, « c’est déjà heurter la sensibilité musulmane » (laquelle ?). En réalité, il est moins question de foi que des effets de l’obscurantisme wahhabite et de sa répulsion foncière pour la culture.

4) Il est vrai que les caricatures en question n’ont pas grand chose de « culturel ». Mais, eussent-elles été des chefs d’œuvre d’art graphique, la réaction aurait été la même. Pouvoir s’inscrire dans le rôle de la victime permet aux fondamentalistes de drainer autour d’eux un capital de sympathie basé sur la « défense de la oumma assiégée ». Leur intolérance enferme l’image qu’ils entendent donner de l’islam entre les deux pôles de la religion maîtresse du monde à venir ou de la victime concentrant sur elle les menées occultes de forces immenses. Il est vrai aussi que le dessin le plus incriminé (la tête de Mahomet transformée en bombe à la mèche allumée) en dit long sur le désir de mort adressé à l’islam par l’auteur de cette image. À sa décharge, on comprendra l’effroi de ceux pour qui l’islam est d’abord représenté par les exactions et crimes des « jihadistes » depuis le 11 septembre 2001 : un islam porteur de violence sanguinaire. On se retrouve dans une relation spéculaire : instinct de mort contre « culture » de mort.

5) Ce qui me gêne dans la réaction outrée de certains militants musulmans aujourd’hui, c’est justement son côté unilatéral. Ils se disent blessés dans leurs convictions. D’accord. Ils parlent de « véritable déclaration de guerre à l’islam ». Bon... Mais quand un Zarqaoui égorge un captif, à genoux et les mains liés, devant une caméra qui diffuse ces images insoutenables sur internet, n’est-ce pas là une « véritable déclaration de guerre » contre un islam qualifié par ces mêmes militants de « religion de paix » ? N’est-ce pas ce genre de geste qui répand largement la « haine » contre les musulmans ? Où sont alors les communiqués de condamnations ? Où sont les rassemblements après la prière du vendredi ? Où sont les cris de colère ???

Michel Renard, directeur de l’ex-revue Islam de France, 6 février 2006

mise en ligne : http://recuerdo.macreablog.com/rub2448/index.html#20595


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès