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Commentaire de Vincent Jappi

sur L'Occident peine à réaliser ses buts de guerre en Bosnie…


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Vincent Jappi Vincent Jappi 7 novembre 2009 06:59
http://docs.google.com/Doc?id=dc2m8p62_456gm2sfcgk
http://pasta.cantbedone.org/pages/ZOpJPA.htm
http://www.bosnia.org.uk/news/news_body.cfm?newsid=2530
De Nuremberg au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie
Marko Attila Hoare, Globus, 12 décembre 2008, Bosnian Institute, 24 décembre 2008
 
Dans un article écrit pour Globus l’hebdomadaire de Zagreb, Marko Attila Hoare, auteur de trois ouvrages sur la Bosnie, jette un regard critique sur les résultats du TPIY, où il a travaillé quelque temps comme chargé de recherches.

 

Depuis la guerre en Bosnie-Herzégovine, on a vu se développer le phénomène des tribunaux internationaux en vue de poursuivre les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La création du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (ICTY) en 1993 a été suivie de la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda ; des chambres extraordinaires des Tribunaux du Cambodge ; la Cour spéciale pour le Sierra Leone ; et, surtout, la Cour Pénale Internationale. Cette dernière s’est particulièrement signalée cet été par son acte d’accusation contre le Président soudanais Omar Hassan el-Béchir. 
Pourtant pour toute appréciation de son rôle comme pionnier de la justice internationale, le TPIY est depuis sa création poursuivi par la polémique, et fortement critiqué pour sa manière de procéder, non seulement par ses adversaires mais également par ses partisans. Le plus frappant est le fait que Florence Hartmann, l’ancien porte-parole de la Procureure en Chef Carla del Ponte et l’un de ses champions les plus en vue, a elle-même a été poursuivie par le tribunal pour outrage à la cour, ayant prétendument divulgué des informations confidentielles ; Florence Hartmann tentait d’exposer la politique interne et les machinations du TPIY qui ont compromis sa recherche de la justice, surtout dans le procès de Slobodan Milošević. La poursuite contre Florence Hartmann symbolise la manière dont cette institution, par ses manquements, est aujourd’hui devenue la cible de ceux-là mêmes qui en attendaient le plus dans le passé.

Pour expliquer ces manquements du TPIY, il y a lieu de comparer celui-ci aux Tribunaux de Nuremberg qui, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, ont mené à bien les procès des criminels de guerre nazis, en particulier au Tribunal Militaire international (TMI), qui a jugé vingt et un des plus hauts dirigeants du socialisme national allemand. 
[Il se trouve en effet que] les différences entre les buts et l’organisation respectifs du TMI et du TPIY expliquent assez bien la différence entre leurs résultats.
Les Procès de Nuremberg se sont vus condamner par leurs critiques comme un exemple de « justice des vainqueurs ». Or en fait, ceux-ci représentaient l’option modérée pour les puissances alliées, qui avaient été victimes d’agression ou d’attaques de la part des Nazis et qui étaient bien décidées à ce que les dirigeants allemands soient punis.
Au début, Winston Churchill et Franklin D. Roosevelt envisageaient d’exécuter sommairement, sans jugement, des centaines voire des milliers de dirigeants allemands, ce à quoi l’opinion publique des pays alliés n’aurait pas été hostile. Pourtant à la fin, c’est la proposition de Henry Stimson, Secrétaire à la Guerre des Etats-Unis, de faire aux dirigeants nazis un procès équitable, qui a été retenue. 
C’est ainsi que les Procès de Nuremberg sont devenus un exemple de justice des vainqueurs et non de leur injustice. 
En effet, si on compare les résultats des Procès de Nuremberg à ceux du TPIY, on a bien l’impression que la justice des vainqueurs est la seule qui puisse être efficace.

Les Procès de Nuremberg avaient été organisés et menés à bien par des puissances alliées qui n’avaient absolument aucune intention de permettre aux dirigeants de l’Allemagne de s’en tirer impunément. Ces procès faisaient suite à une guerre d’une brutalité sans égale, au cours de laquelle les armées alliées, au prix d’énormes pertes, avaient totalement écrasé et occupé l’Allemagne nazie. C’est pourquoi il n’y avait aucune crainte, à la différence d’autres procès de ce genre avant et depuis, d’avoir à risquer la vie de soldats alliés pour appréhender des criminels de guerre ; pour battre les Nazis, le sacrifice avait été déjà fait, et les alliés pouvaient tout à fait arrêter les criminels de guerre sans risquer aucune perte supplémentaire en personnel militaire. 
Et naturellement il n’était pas davantage question de traîner en justice les dirigeants alliés pour tout crime de guerre qu’ils auraient pu commettre contre des Allemands ou d’autres civils innocents ; les Procès de Nuremberg partaient du principe que c’était l’Allemagne qui avait commencé la guerre, et que c’est sur elle que reposait l’intégralité de la faute : c’est cela qui allait décider de qui poursuivrait qui, et de quel pays on jugerait les dirigeants. 
Ces procès étaient là pour punir l’agresseur, et non pour dispenser une justice égale pour tous, et n’avaient certainement rien à faire de l’idée de ‘réconciliation’. Les rapports de force poussaient les alliés dans le sens de la sévérité, et non de la clémence.
C’était au premier chef le principe et l’injustice de la guerre, et non les crimes commis à cette occasion, qui avaient inspiré les dirigeants alliés pour instituer le TMI ; c’était pour le crime d’avoir conspiré contre la paix et pour avoir planifié, engagé et mené des guerres d’agression, que l’on jugeait les dirigeants de l’Allemagne, les crimes contre l’humanité – y compris l’Holocauste – passant au second plan.
On a présenté le TMI comme un tribunal multinational plutôt qu’international : ce sont les puissances alliées qui l’avaient directement mis en place, et non une organisation internationale du genre de l’ONU ; les alliés avaient ‘fait de concert ce que n’importe lequel d’entre eux aurait pu faire seul’.
Le TMI a poursuivi et jugé les principaux criminels de guerre, dont des dignitaires comme Karl Dönitz, que le Führer avait désigné comme son successeur ; Wilhelm Frick, Ministre de l’Intérieur ; Hermann Göring, Chef de la Luftwaffe ; Rudolf Hess, ancien Führer en second ; Alfred Jodl, Chef du haut commandement des opérations ; le Chef d’Etat-Major Général Wilhelm Keitel ; le Chef d’état-major de la Marine Erich Räder ; et le ministre des affaires étrangères Joachim von Ribbentrop. C’étaient ces gros poissons que les dirigeants alliés avaient envisagé de fusiller sans procès, et qui avaient été l’objet principal du TMI, alors que les criminels de moindre rang devaient être traités plus tard par des tribunaux nationaux montés par les Américains, les Allemands, les Polonais et autres. 
Des vingt et un prisonniers jugés par le TMI, dix-huit ont été condamnés dont onze à mort, alors que les autres recevaient des peines allant de dix ans à la prison à vie.

Le TPIY se distingue des tribunaux de Nuremberg sur presque tous ces points. Il ne faisait pas suite à une guerre victorieuse et n’a pas été imposé au vaincu par ses victimes, et n’a pas non plus été institué sous la pression massive de l’opinion et des classes dirigeantes en faveur d’une punition exemplaire. Bien au contraire, le TPIY n’a été conçu que comme un substitut à toute intervention réelle contre les Serbes qui avaient fomenté la guerre.
Les premières dispositions conduisant à l’institution du tribunal avaient été prises en 1992 par le gouvernement sortant de George Bush Sr, gouvernement qui, à part cela, n’avait pratiquement entrepris aucune mesure pour stopper l’agression de la Serbie ni pour punir ses chefs. 
Le TPIY était une concession à cette fraction de l’opinion politique occidentale —alors toujours minoritaire— qui s’indignait sincèrement de ce qui se passait en Bosnie et exigeait de l’action. Le TPIY a été institué par une résolution de 1993 du Conseil de Sécurité de l’ONU, alors que la complaisance occidentale vis-à-vis de la Serbie était à son comble, de sorte qu’on devrait à juste titre le considérer comme une feuille de vigne visant à dissimuler l’étendue de cette complaisance. 
C’est seulement vers la fin de l’été 1995 que son opposition au Congrès poussa le gouvernement de Bill Clinton à entreprendre, contraint et forcé, des mesures militaires sérieuses contre les forces serbes de Bosnie ; et néanmoins, la paix imposée par le gouvernement de Clinton à la Bosnie, sous forme des Accords de Dayton, a arraché une victoire serbe aux mâchoires de la défaite, en attribuant 49% de la Bosnie aux séparatistes serbes après avoir bloqué une poussée victorieuse des armées croate et bosnienne.
Collaborant avec l’envoyé de Clinton Richard Holbrooke pour imposer la paix aux Bosniens, on trouvait le principal architecte de la guerre : le Président serbe Slobodan Milošević lui-même. Milošević était disposé à signer l’Accord de Dayton, malgré le fait que celui-ci engageait toutes les autorités bosniennes, y compris les Serbes de Bosnie, à coopérer avec le TPIY. 
À ce stade, le Tribunal avait inculpé les dirigeants serbes de Bosnie Radovan Karadžić et Ratko Mladić — marionnettes de la rébellion pour le compte de Milošević, qui lui avaient désobéi au cours de la guerre — mais aucun dirigeant de la Serbie lui-même. Comme Milošević, Clinton et Holbrooke étaient prêts à sacrifier Karadžić et Mladić, mais ils ont continué à considérer Milošević comme un collaborateur et un pilier nécessaire de la paix.

Nous pouvons imaginer à quoi auraient ressemblé les Procès de Nuremberg s’ils s’étaient tenus à l’issue d’une guerre qui se serait terminée par l’attribution aux Nazis de 49% de la Pologne, et d’un accord de paix entre Hitler et les alliés, où Hitler aurait été considéré comme un partenaire essentiel. Un TMI organisé dans ces conditions, naturellement, n’aurait pas jugé et exécuté le Ministre de l’Intérieur de Hitler, ni son Ministre des affaires étrangères, ni son Chef d’Etat-major. 
Or, le TPIY, c’était cela produit des concessions, des compromis et de la collaboration, et non de la victoire et de la volonté de punir. 
Le TPIY n’a pas été imposé par les victimes à des vaincus, mais également aux victimes et aux agresseurs par des puissances extérieures. Il n’a en rien présumé de la justice ni des torts de la guerre dans son ensemble, en fait on ne l’a même pas laissé juger les crimes contre la paix ni les crimes d’agression. A la place, on ne l’a mandaté que pour ne juger que des criminels de guerre individuels de tous les côtés. Même sur cette base limitée, seuls les Etats-Unis, parmi les puissances occidentales majeures les plus impliquées dans la guerre, ont en fait montré quelque intérêt pour le projet ; de la part de la Grande-Bretagne et de la France le tribunal a souffert, en ses premières années d’existence, d’un défaut presque complet de soutien, et même d’obstruction.
Le TMI avait été mis en place par les puissances alliées elles-mêmes ; il a procédé promptement et efficacement, les exécutions expédiées une année après le début des procès, et une année et demie après la fin de la guerre. En revanche, le TPIY était une dépendance de l’ONU —organisation synonyme d’inefficacité, de bureaucratie, de corruption et de népotisme. Quinze ans après la création du tribunal, et treize années après la fin de la guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, les procès vont toujours cahotant lourdement ; certains d’entre eux n’ont même pas encore commencé. Le procès de Milošević a duré quatre ans et s’est terminé, inachevé, par sa mort en prison de causes naturelles. Ceci a eu l’effet inévitable d’atténuer l’intérêt du public pour ces procès, surtout dans le monde extérieur à l’ex-Yougoslavie. 
Le puissant mouvement d’opinion en Occident, surtout aux Etats-Unis, scandalisé par ce qui se passait en Bosnie, qui avait été le catalyseur décisif pour l’apparition du Tribunal, s’est en grande partie éteint au fil des années ; ce qui demeure est une bureaucratie judiciaire soumise à son propre élan. Comme institution à part dans les affaires mondiales, il n’a pas eu l’appui que le TMI avait reçu des alliés victorieux ; ainsi que Hartmann le raconte ses mémoires, la Procureure en Chef Carla del Ponte a dû se battre pour attirer l’attention et obtenir l’appui des puissances occidentales.
Sans idée directrice sur la partie qui était coupable, sur lesquels de ses dirigeants avaient orchestré l’assassinat de masse et devaient de ce fait être punis, le ministère public du TPIY a entrepris d’inculper des individus singuliers sur une base fragmentaire et aléatoire, commençant par du menu fretin comme le gardien de camp de concentration Dušan Tadić, et laisser tranquilles la plupart des principaux dirigeants de la Serbie. 
Le bureau du procureur a certes commencé une phase plus ambitieuse lors de la guerre du Kosovo en 1999, quand il a inculpé, pour des crimes de guerre contre des Kosovars, Milošević en tant que président de la Yougoslavie, en même temps que le Président de la Serbie [Milan Milutinović], le Premier Ministre de la Yougoslavie [Nikola Šainović], le Ministre de l’Intérieur de Serbie [Vlajko Stojiljković] et le Chef d’Etat-major de l’Armée de Yougoslavie [Dragoljub Ojdanić]. 
Cependant, ceci a été l’exception plutôt que la règle. Non seulement le TPIY n’a eu aucun mandat pour juger les crimes d’agression, mais c’est sur des crimes commis par leurs auteurs dans leur propre état, et non contre les habitants des états voisins que les poursuites ont principalement porté. 
Si les hauts dirigeants serbes susmentionnés ont été inculpés de crimes de guerre contre les habitants albanais du Kosovo, c’est parce que celui-ci [passait alors pour] une province de la Serbie.

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