• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de easy

sur Mais qui a cassé « Piss Christ » ?


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

easy easy 24 avril 2011 11:51

Le marketing, le buzz, le business par la provocation, tout le monde ici et ailleurs l’aura déjà dit et répété.


Je vais paradoxer.

Chacun essaye de traiter la mort qui le menace de la manière qu’il peut en s’accrochant, en se projetant en s’incluant dans toutes sortes d’infinitudes ou éternitudes susceptibles de lui survivre, de transporter quelque chose de lui dans l’infini du temps et de l’espace. Ecrire un livre, proposer une chanson, inventer une machine, effrayer les gens ou provoquer un scandale font partie des solutions pour exorciser notre propre angoisse de mort en implantant une part de nous (la part intellectuelle le plus souvent) dans l’Esprit des temps. Tuer JFK est une des solutions les plus expéditives pour être transporté dans la sur-vie, dans l’au-delà de la mortalité.

Comme toutes nos croyances sont auto-enfumage, elles sont toutes fragiles et au fond, nous ne faisons rien d’autre que d’essayer en permanence soit d’en rajouter (comme le faisait au quotidien le facteur Cheval) soit d’en déchirer, mais en tous cas nous travaillons, nous pétrissons constamment notre auto-enfumage. Nous recherchons constamment notre solution de postérité ou d’immortalité.

La solution consistant à tripoter des transcendances d’éternité bien établies est tout à fait logique. Comme le biais de l’art est certainement le biais qui, de nos jours, est celui qui offre le plus de liberté morale en même temps que pas mal de fric, il est logique que certains d’entre nous se classent artistes pour effectuer ces tripotages.





Pour en venir plus exactement à ces cas de tripotage vandalisme portant sur les religions, elles produisent chez les croyants au moins deux sentiments paradoxaux.
Un sentiment (plutôt triste) de devoir de protection envers son Dieu qui colle avec le devoir de protéger son auto-enfumage. Inutile de développer.
Mais aussi un sentiment d’exaltation (plutôt gai) puisqu’on sort du plan-plan ennuyeux et de l’empoussièrement pour passer à l’action mobilisatrice, à la croisade (au sens très large).

JFK avait été tué par « un des nôtres » et n’avait donc pas trop provoqué de mobilisation (gaie). Il aurait été tué par « un pakomnou » ça aurait été une aubaine pour se mobiliser (gaiement)

Les avions de 2001 s’étant écrasés sur des symboles trop Big-money et trop Big-brother, le résultat a été mitigé et divise de plus en plus les Occidentaux. 
Ils se seraient écrasés seulement sur la Statue de la Liberté, le résultat aurait été beaucoup plus fédérateur (donc gai) pour tout le bloc libertiste et archangiste.


Concernant plus précisément l’image du Christ, toute atteinte à son symbole réalisée sous une forme tout aussi symbolique, ne peut pas manquer d’exalter la puissance du symbolisme. Une croix dans l’urine ce n’est pas un caillou dans l’urine. L’utilisation, le ciblage du symbole de la Croix par un vandale atteste sa puissance, prouve que malgré les siècles et le laïcisme, elle est intacte. 

Et par dessus le marché, ce symbole synthétisant tout le message du Christ qui est que l’Homme rejoint Dieu par la souffrance, par le martyr accepté (martyr imposé par l’intolérance) se retrouve, dans tous les cas où il est saccagé, mutilé et où l’on expose la mutilation de la mutilation, mis en abyme.

C’est qu’il est paradoxal de placer le symbole du martyr du Christ dans du velours et des ors.

Lorsqu’à l’occasion d’une bataille quelconque, un Christ (forcément en croix) se retrouve brisé au pied d’un autel, il n’est pas très logique de le réparer, de lui reconstituer le bras ou la tête arrachée. C’est sous la forme « encore et toujours martyrisée » qu’il représente le mieux la situation actuelle. Il faudrait exposer le Christ brûlé d’Oradour-sur-Glane en l’état.

Plutôt qu’un bénitier, c’est un urinoir qu’il conviendrait de placer à l’entrée des églises. Avec la croix à la place de la mouche. C’est ainsi qu’on exprimera le mieux le fait que le martyr du Christ est sans fin, infini.

De la même façon, dans les mosquées, c’est un Coran en feu qui devrait être exposé en bonne place. 




Quittons le religieux et passons à d’autres transcendances (toujours porteuses d’infinis)

A partir du moment où l’on constate que la valeur France (Outchh c’est fort vague et bien fourre-tout mais passons) est martyrisée, on doit sur-dire et sur-montrer en quoi elle est attaquée et mutilée. C’est cela que nous faisons, les uns les autres, à longueur de medias et de forums. 

Si l’on constate que la langue française subit une mutilation et qu’on a soi-même investi dans sa perpétuation pour sur-vivre, on s’accomplit gaiement en écrivant et en parlant en « bon » français, mais aussi en exposant des exemples de « mauvais français ».

Si l’on veut faire la promotion de l’architecture, on peut faire une exposition où l’on montre de « belles réalisations » et en vis-à-vis, des « réalisations hideuses »


Quand on veut promouvoir la tolérance, on peut certes faire un film sur Gladys Aylwards, George Hogg, le Franciscain de Bourges, Nelson Mandela ou Norman Bethune qui en démontrent l’avantage mais on peut aussi faire un film sur la Shoah ou le massacre du Rwanda. 


Kadhafi n’a donc pas eu forcément tort de conserver en l’état les immeubles de Tripoli que les Américains avaient bombardés. Mais les Anglais auraient dû conserver la carcasse de Lockerbie.

Ainsi, le bilan du Piss Christ n’est pas forcément défavorable à ceux qui ont investi dans le christianisme et ils devraient songer à créer une exposition regroupant tous les Christ brisés et incendiés.







Lorsque j’étais un gamin comme celui de « Jeux interdits », à Saigon, j’avais trouvé par terre un Christ de 6 cm, originellement placé sur une croix mais là, il se retrouvait sans sa croix. Comme j’étais bricoleur, j’avais immédiatement entrepris de fabriquer une croix en bois d’hévéa et au moment de clouer la statuette de ferraille sur ma croix, j’ai ressenti une énorme confusion de sentiments.
J’étais trop gamin, pas assez éduqué à la pensée artistique pour reconsidérer l’opération et j’ai donc planté mes trois petits clous sans entrevoir d’autres options. N’empêche que c’est très troublant et je recommande à chacun de vivre cette opération, ça lui offrira un voyage dans les insondables arcanes de l’âme.

Claude Monet avait vécu ce genre de trouble en peignant sa bien-aimée Camille, morte.
Et je ne doute pas du trouble important qu’a ressenti Andres Serrano en réalisant ce geste. Trop souvent, quand nous regardons une opération de ce genre, nous oublions de considérer l’intense émotion, la lévitation, l’infinitude, qu’a ressenti celui qui l’a réalisée. C’est pourtant essentiel pour lui. 


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès