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Commentaire de easy

sur Hopper et le pomp-art


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easy easy 2 décembre 2012 00:15

@ Volt,

De tous nos sens, c’est la vue qui est la plus renseignante de notre environnement en termes prudentiels (anti-mort) Grâce à nos yeux, nous pouvons voir le danger à des kilomètres.

Et s’il y avait des organes à nous ajouter, ce serait non pas un nez de plus, non pas deux oreilles de plus, non pas une peau de plus mais deux yeux de plus, derrière notre tête.
Du coup, en terme d’urbanité, le plus important dans nos comportements, c’est notre apparence visuelle où les vêtements comptent mais aussi le moindre de nos rictus, la manière même dont nous regardons celui qui nous regarde.

C’est par la vue qu’à distance déjà, nous établissons le plus d’immédiateté (contact direct)
Un type nous regarde fixement à 100 m et c’est déjà un ressenti d’immédiateté.

Comme cette immediateté visuelle est très signifiante (elle nous vise sans ambiguïté) elle nous pose des problèmes et nous interposons des tas de bidules pour la négocier. Les mots ont été inventés non pas pour plus d’immédiateté mais au contraire pour amortir l’immédiateté du regard silencieux. Dès que l’interlocuteur parle, on se sent déjà mieux que quand il nous fixe sans rien dire.
Les mots sont des étouffoirs de la relation directe.

La peinture ressort alors comme étant l’art qui nous interpelle le plus. Non seulement c’est une représentation de soi ou de l’autre, avec couleurs et mise en contexte mais la chose ne parle pas. Le contact est direct, cru. (Il est déjà amoindri quand on regarde une toile en compagnie d’une amie bavarde)
Regarder une toile en étant seul, c’est dur si ça représente des personnes et plus encore si elles nous regardent. Et c’est ultra dur si ce sont des personnes de notre époque. (Nous ne regardons donc pas les portraits de Louis XIV comme ses contemporains les regardaient)

Que fait le peintre, quand il ne peint pas sur commande, quand il peint librement ?
Il peint non seulement l’homme nu, dépouillé de ses amortisseurs de contact mais en plus il nous oblige à regarder cette crudité en silence. Ouille !

Oui, il est assassin comme vous le dites. Oui les peintres ont toujours tué quelque chose et cette chose c’est l’amortisseur, le media, l’urbanité, les bonnes manières, la politesse, en particulier le mot, le verbe.

Reste à savoir si ces peintres qui assassinent les bonnes manières en pratiquant le regard silencieux de face souffrent eux-mêmes de cette confrontation trop immédiate.
Il me semble que ça les épuise en tous cas. 

Il est impossible de peindre un esclave noir regardant le peintre plein face sans qu’ensuite le spectateur blanc n’en soit pas choqué à regarder ce tableau, surtout s’il est seul dans la pièce, surtout s’il est à poil. 
D’autant que le spectateur blanc sait que le peintre l’a fait exprès (Là je parle quasiment comme Poe) 

Si sur un tableau, il ya deux protagonistes qui se regardent, nous en tant que tiers voyeur, nous nous sentons à l’abri et c’est très supportable. La peinture classique était ainsi conçue que les personnages regardaient généralement ailleurs ou nous regardaient en toute urbanité (très costumés).
Mais quand la composition est telle qu’on sent être le seul interpellé et par une personne peu habillée ou aux manières non urbaines, du genre Saturne dévorant un de ses enfants ou Olympia, ouille ! 

Ca fait que oui, les peintres qui soignent la crudité relationnelle, qui interpellent trop directement sont souvent persécutés.

Mais voyez-vous, c’est ce sort que les peintres ont de commun à travers les siècles, pas la grammaire qu’ils utilisent qui, elle, est contextuelle.

Modigliani avait tendance à peindre des portraits pleine face un mètre de distance, ce qui est déjà rude. Et il ajoutait un truc bien à lui en termes de grammaire, la rougeur des joues, donc l’émotion. A nous faire rougir nous-mêmes. Choc qui ne se produit évidemment pas si l’oeuvre représente un paysage.

Bernard Buffet, c’est très dur à regarder, ses clowns compris



Mondrian, Delaunay (Robert & Sonia), Vasarely, Mathieu et autres Klein ont saisi ce qu’ils pouvaient tirer de la nouvelle filière haute-couture. Ils ont refusé ce choc du face à face avec l’autre-soi, avec l’homme cru. Ils ont peint carrément un media, un décor, un mot, un motif, une marchandise, une production humaine (plutôt rangée, carrée, régulière, géométrique ou gestuelle). A tel point que leurs oeuvres sont passées en papier peint et rideaux. Moins miroir-agressif ya pas. Ils n’ont pas été maudits et se sont fait du blé tout de suite.

Tàpies est sur le même créneau non agressif mais avec des motifs tout de même plus misèrabilistes


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