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Commentaire de Henrique Diaz

sur Tirage au sort ou élection ? Démocratie ou aristocratie ?


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Henrique Diaz Henrique Diaz 18 février 2007 20:27

Peut-être que l’introduction d’un peu de stochocratie permettrait de rendre du pouvoir aux citoyens, car effectivement il y a un problème à ce niveau dans nos démocraties, mais ce n’est certainement pas la solution générale.

Un point factuel d’abord : dire que pour Aristote, le tirage au sort serait « incontournable » pour la démocratie laisse entendre que ce fondateur avec Platon de la pensée politique aurait été favorable à ce régime, ce qui est faux. J’ai dû lire quelque part sur votre site, Etienne, cette citation d’Aristote : « il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu’elles soient électives, comme démocratiques qu’elles ne dépendent pas d’un cens et comme oligarchique qu’elles dépendent d’un cens » (Politiques IV, 9, 4). Mais il faut lire la suite : « Il sera donc aristocratique et propre au gouvernement constitutionnel de prendre de chacun des deux côtés : à l’oligarchie le fait d’avoir des magistratures électives, à la démocratie l’absence de cens. Voilà donc la manière dont se fait le mélange. Le critère indiquant que démocratie et oligarchie ont été heureusement mélangées, c’est quand on peut dire une même constitution démocratie et oligarchie... On ressent aussi cela comme un juste milieu, car il y apparaît chacun des extrêmes » : On sait l’attachement d’Aristote (et de l’occident qui en hérite) à cette notion de juste milieu, comme critère de justice. La République, qui est le meilleur des régimes selon Aristote, (et non la Démokratia qui n’est que le moins mauvais) est l’expression de ce juste milieu. Ce qui différencie la monarchie de la tyrannie, l’aristocratie de l’oligarchie, la république de la démocratie, les deuxièmes étant les formes perverties des premières, c’est la présence d’une constitution au dessus des individus et de leurs passions égoïstes, garantissant autant que possible la poursuite de l’intérêt général.

Du coup, j’ai un doute aussi pour la référence à Montesquieu et Rousseau, il faudrait vérifier de plus près ces références qui ont leur importance dans votre discours. Quant à Spinoza qui a été cité dans un commentaire, il est le premier grand philosophe moderne explicitement favorable à la démocratie, il n’a malheureusement pas pu terminer son Traité Politique, le dernier chapitre portant sur la démocratie, mais il dit dans le Traité théologico-politique : « dans cet État personne ne transfère à un autre son droit naturel, de telle sorte qu’il ne puisse plus délibérer à l’avenir ; il ne s’en démet qu’en faveur de la majorité de la société tout entière, dont il est l’une des parties » : l’idée de majorité qui est indiquée ici montre bien qu’il n’envisage pas le hasard comme critère de sélection des magistrats mais plutôt l’élection. D’ailleurs, s’il favorise la démocratie à tout autre régime, c’est que c’est le régime le plus rationnel, c’est-à-dire celui où les notions communes à tous les membres d’une société civile peuvent le mieux s’exercer. S’en remettre au hasard serait au contraire renoncer à toute idée d’une rationalité immanente à la collectivité. Enfin, dans le Traité Politique, chapitre un, Spinoza montre effectivement qu’il faut des institutions qui permettent d’éviter la corruption du pouvoir mais il faut également prendre garde du fait que la politique n’est pas une science abstraite dont l’application serait une garantie de justice, ce qui me semble un peu la tentation des sites Cléocratie et Stochocratie avec l’impression d’avoir trouvé la panacée dans une lotocratie généralisée, la politique efficace reste celle qui est au fait de l’expérience, ce qui implique des hommes politiques expérimentés.

Aussi, pour en revenir à Aristote, il reprochait à Platon de n’avoir parlé que des maux dont son régime de communisme des biens, des femmes et des enfants, était sensé nous libérer (le chacun pour soi, l’ignorance de l’intérêt de la cité), il n’avait pas parlé des maux qu’un tel régime apportait (on se dispute plus facilement à propos d’un bien commun que d’une propriété privée) ni des biens dont ils nous privaient (la liberté de jouir de ses biens, femme et enfant). Je trouve que c’est un peu aussi le reproche qu’on pourrait vous faire.

Dans une stochocratie, cléocratie ou lotocratie généralisées, il n’y aurait plus de sens à plus ou moins long terme à ce qu’il y ait des débats, l’exercice d’une raison citoyenne, puisque ce serait au final le hasard qui déciderait et non le jugement collectif issu d’un débat. Sachant que pour qu’il y ait sens à ce qu’il y ait un délibération collective, il faut que cela donne lieu à l’exercice d’un choix concret, le vote en l’occurrence.

D’ailleurs, statistiquement, même avec quelques filtrages au départ, je vois mal comment éviter qu’une population majoritairement de gauche à un moment donné, ne puisse se retrouver avec une majorité de « porte-parole » de droite ou inversement... A moins encore, comme vous semblez le suggérer dans votre article de remplacer le Sénat par une chambre de citoyens tirés au sort, son pouvoir étant limité à un pouvoir de véto, d’enquête et d’initiative des lois (mais là, d’accord, ce serait juste une dose de stochocratie, comme il faudrait aussi une dose de proportionnelle au parlement élu).

Comment la population, pourrait se reconnaître dans des représentants tirés au sort qui une fois le pouvoir en main révèleraient forcément leurs partis pris, pas forcément identiques à ceux qu’ils sont censés représenter ?

D’autre part, un peuple ne sait pas a priori ce qu’il veut en matière de choix à faire en politique, comme le montre l’évolution permanente des sondages. Il faut bien que différents hommes incarnent extérieurement à ses regards des choix possibles pour qu’il se rende compte, à l’expérience, de ce qu’il veut vraiment ou à peu près. Pour que ces hommes puissent faire cela, il leur faut des doctrines d’ensemble, susceptibles de fédérer autour d’eux de façon cohérente, constituer des équipes pour faire passer une idée, autrement dit des partis, qui restent le seul moyen naturel, présent à toute époque, de fédérer des énergies concernant des choix importants de société. Or s’il faut peut-être trouver des moyens de réduire leur importance, il me semble que vous avez tendance à faire de leur existence même une des causes principale des problèmes institutionnels, et par voie de conséquence politiques, sociaux et économiques du pays.

Enfin, mais ceci est lié aux trois points précédents, avec des représentants désignés par hasard, comment rassembler un pays autour d’un choix de société cohérent ? (Bien sûr l’élection n’est pas la garantie que cela se fasse, il suffit de voir le programme décousu d’une Ségolène Royal, qui fait du social sans s’attaquer au capital (pas touche aux baisses d’impôt de la droite..., mais au moins c’est possible).

Pour conclure, il me semble que le problème de la représentativité est d’une redoutable complexité, que vous avez raison de dénoncer le manque d’imagination de ceux qui se résignent à ce que la démocratie soit « le pire des régimes à l’exception de tous les autres », mais il faut insister sur le fait que si une dose de tirage au sort pouvait être introduite pour pallier certains dysfonctionnement de l’élection, elle ne saurait s’y substituer en termes de légitimité. Aussi, et pour finir, il faudrait s’interroger sur les raisons qui ont conduit la Grèce à renoncer aux tirages au sort...


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