Connaissez-vous le çavapétisme ?
Et vous-même, êtes-vous çavapétiste ?
Vendredi 19 décembre 2014 :
Le déclinisme débouche
sur le « çavapétisme ».
C’est l’hiver des espoirs. Les milieux économiques et financiers
parisiens ne trouvent « plus aucun motif » de
croire que la situation du pays va aller mieux. Et d’égrener les
déceptions : les réformes vont s’arrêter sitôt votée la loi
Macron. Regardez Valls qui se range à gauche et Hollande qui prépare
« le rassemblement » de son camp avant la
bataille de 2017.
Le pétrole qui chute, le dollar qui monte sont des bonnes
nouvelles venues d’ailleurs pour Noël. On s’y accroche, mais pour en
mesurer immédiatement l’insuffisance. Idem, on évoque le succès
confirmé des grands groupes, mais pour souligner que 2014 aura été
l’année de beaucoup de départs, pas de sièges sociaux, mais de
dirigeants et de services entiers. On se réjouit des « successfull
start-up » françaises, comme Lending Club la semaine passée,
mais pour en déplorer l’exceptionnalité.
L’Europe s’enfonce. La croissance allemande s’est étouffée, elle
végète à 1 % et Berlin n’a pas la moindre intention d’engager
une politique de relance. Le plan Junker montre l’impuissance des
Etats membres à trouver « du vrai argent »,
comme dit le même Macron, pour faire redémarrer le PIB. La cause
profonde du mal européen est cernée : « la
distanciation qui s’est installée » entre Paris et
Berlin, comme l’avoue l’ancien Premier ministre germanophile
Jean-Marc Ayrault lui-même. Partout l’extrême-droite grimpe,
l’extrême-gauche aussi, dans les pays méditerranéens. En Europe,
mais surtout en France, grossissent les peurs, les replis sur soi,
les ressentiments et les exaspérations.
Encore deux ans et demi à tenir, comme çà, avant 2017 ?
Est-ce possible ? Voilà plusieurs années que les déclinistes
ont décrit cette France qui glisse doucement vers le bas,
irrémédiablement. Ses corps constitués sont arthrosés, paralysés,
incapables du sursaut que dicte la situation. La classe politique est
prisonnière du déclin, voire incompétente et couarde. Le lent
déclin est finalement accepté comme moins douloureux que la remise
en cause des avantages acquis, des rentes, des habitudes. Après
tout, les deux tiers des Français, les « in », ceux qui
ont un CDI dans une grande entreprise ou qui sont fonctionnaires,
vivent bien, leurs salaires augmentent… La France a une préférence
pour le déclin.
Dans les rangs des déprimés, aux déclinistes s’ajoute
aujourd’hui une nouvelle catégorie : les « çavapétistes »,
selon le bon mot que m’a soufflé le dirigeant d’un grand organisme
public. Les « çavapétistes » pensent que « ça
ne peut pas durer », « ça va péter ». La
France n’est pas le pays des réformes, mais le pays des révolutions,
expliquent-ils. Nous en vivons la confirmation, attention donc à
celle qui vient, elle est pour très bientôt, la colère monte, elle
est à nos portes.
Où ? D’où viendra-t-elle ? C’est le mystère des
révolutions. On ne sait jamais avant ce qui met le feu aux poudres.
Mais les « çavapétistes » ont tout de même cinq
scénarios.
1- D’abord la rue. Chaque usine qui ferme, chaque réforme
provoque son défilé. Ouvriers, taxis, médecins, notaires… Les
« anti » ne font pas masse, chacun reste de son côté.
Mais les Français ont les nerfs à fleur de peau, leurs
exaspérations sont telles qu’une coagulation opportuniste est
possible. Un jour, tous unis contre… L’année 2015 sans sortie du
tunnel va encore échauffer les esprits aigris. Sait-on où cela
mènera ?
2- Ensuite les jeunes. François Hollande voulait en faire la
priorité de son quinquennat, mais la jeunesse ne lui en fait aucun
gré. L’habite un mélange de profond désintérêt pour la politique
et un haut degré inflammatoire. Les crédits qui manquent ici, les
suppressions d’enseignement là… et le feu prend. A Nanterre, en
1968, tout est parti de l’accès au dortoir des filles… et
l’immense de Gaulle, à la fin, tomba.
3- La surprise. Les bonnets rouges qui mobilisent toute la
Bretagne ? Les « zadistes » écolos qui font école
pour bloquer toute atteinte aux grenouilles des marais ?
Ailleurs ? N’importe où ? Veillez aux étincelles…
4- Les marchés
financiers. C’est bien entendu la thèse de beaucoup. La France
sans réforme, la France des déficits qui glissent, des promesses
toujours démenties, la France bloquée joue avec un autre feu :
celui de ses taux
d’intérêt. Quand la Fed américaine va relever les siens, la
planète financière sera entièrement secouée et nul ne peut en
prédire les conséquences. Même si la BCE se met à racheter des
dettes des Etats, comme prévu au printemps 2015, elle ne pourra pas
empêcher le « spread » entre France et Allemagne de
s’écarter et le coût des emprunts de s’alourdir de plusieurs
milliards. Il faudra immédiatement couper dans les dépenses
d’autant, mais le risque sera gros de s’engager dans la spirale qui a
mené l’Italie ou l’Espagne vers le gouffre, en 2010. Ce serait le
début de « la crise française » et, regardez en Russie,
tout se passe alors très vite, la crédibilité de la France peut
aller au tapis en quelques jours et le gouvernement avec.
5- Dernier scénario, qui commence à prendre corps, curieusement,
dans les milieux économiques : une victoire de Marine Le Pen. Ce
serait le moyen de « lever l’hypothèque ».
Comme elle mettrait la France à genoux, par dévaluations massives
et nationalisations de force, elle ne tiendrait pas six mois. Le
paysage politique pourrait enfin se reconstruire autour des
réformistes de gauche et de droite.
Le « çavapétisme » est une forme de dernier espoir.
Du chaos renaîtra une France redevenue normale, ayant enfin décidé
d’épouser son époque et de se remettre en avant. Mais il est bien
triste d’en arriver à souhaiter la crise. Le pays n’a-t-il plus
assez de forces, d’atouts, de responsables courageux, pour s’éviter
une catharsis ?
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