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Commentaire de frx75

sur Les reçus-collés de la fonction publique territoriale, une initiative louable ?


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frx75 7 avril 2006 19:18

Dans le jargon en ligne de Linux-france on trouve la définition suivante :

« Un Troll est donc sur l’Usenet [les newsgroups], soit (1) un sujet qui fâche (par exemple : « Mac ou PC ? »), soit (2) un individu qui persiste à lancer des discussions sur des sujets qui fâchent. »

Cette définition reste à développer, car les sujets polémiques ne sont pas nécessairement des sujets à trolls. Et qu’en dehors du sale temps qu’il fait (et encore...) il y a peu de sujets qui ne fâchent pas. On rencontre en effet des trolls en dehors de l’Usenet.

Pour l’instant, il suffit de savoir qu’un troll désigne, dans l’imagerie de l’internet, un personnage malfaisant dont le but est de perturber le fonctionnement des forums de discussion en multipliant les messages sans intérêt (ou, plus subtilement, en provoquant leur multiplication). La règle première des forums est en effet que, lorsque le nombre de messages sans intérêt devient trop important par rapport à celui des messages pertinents, le forum est considéré comme mort : il est dès lors impossible (trop de choses inutiles à lire, interface surchargée, temps de chargement du forum rédhibitoire...) d’y trouver l’information intéressante.

Est-il utile de rappeler que le verbe correspondant à l’activité du troll est troller (« alors, encore en train de troller ? ») ? Toutes les déclinaisons imaginables sont autorisées (« il va nous exploser le trollomètre », « c’est plus un forum, c’est un trollodrome »...)

Dans un premier temps, restituons les sources, puisque le filtre anglo-saxon déforme aussi bien le bestiaire dans sa relecture folklorique que le terme imagé pour désigner un sujet provocateur, c’est-à-dire dont le but ne consiste qu’à déclencher des réactions en pure perte.

L’étymologie mythologique du troll L’origine du terme « troll », sur l’internet, se perd dans la nuit des temps, et constitue d’ailleurs un excellent sujet de débat pour les trolls. En règle générale, on utilise l’étymologie anglaise du terme dans la description objective du comportement, et l’étymologie mythologique pour son aspect imagé. Mais tout bon troll se doit de connaître quelques autres origines, s’il veut passer pour un troll savant.

jötunn, urs, tröll

Le Géant en vieux norrois est jötunn (eoten en vieil anglais). Les Géants habitent Útgarr (« monde extérieur », « espace situé en dehors »), par opposition à Ásgarr (« demeures des Ases », des dieux) et Migarr (« demeure du milieu ») où habitent les hommes. Ils ont un rôle central dans la mythologie nordique (cosmologie, généalogie, etc.) et sont une menace permanente aussi bien pour les dieux (les Ases et les Vanes) que pour les hommes. C’est pourquoi le dieu Ase órr (Thórr) les chasse. Il est bien équipé à l’aide de sa ceinture de force, un gant de fer et son célèbre marteau (Mjöllnir) [1].

úrs, tout comme tröll désigne les géants malfaisants et démoniaques. C’est également le nom d’une rune qui produit un effet maléfique ou bénéfique : séduire les femmes [2].

Le mot tröll désigne exclusivement le géant en tant que monstre hostile, et à partir du moyen âge des esprits maléfiques particuliers. Notamment, ils sont associés au pouvoir de provoquer des maladies. On trouve également une sorte de lutins, le hudrefolk, qui intervient dans les légendes d’enfants incubes.

Le géant entendu en ce sens est donc une créature sale, poilue, laide, stupide et surtout bruyante. Malfaisante et violente donc, mais assez facile à vaincre à cause de sa bêtise. Voilà qui donne une image sympathique du bon gros pénible qui va troller dans les forums de discussion...

Cependant un troll dans un forum de discussion, car c’est avant tout l’usage qui nous intéresse ici, provoque au contraire des dégâts : pollution du forum par une saturations de messages, oubli de la discussion (au cas où le troll ne soit pas initiateur du sujet de discussion) et finalement impossibilité de poursuivre.

to troll

To troll, en anglais, consiste à pêcher à la cuiller (on apprendra d’ailleurs que la cuiller est un leurre métallique de forme creuse et incurvée). Par passage sur l’internet, il s’agit de poster des messages ineptes (des leurres) en espérant obtenir d’autres messages. Certaines sources indiquent que le terme dériverait de to trawl, pêcher au chalut ou à la traîne. Dans certaines FAQ anglophones, on explique ainsi que troller équivaut à partir à la pêche aux messages incendiaires (« fishing for flames »).

Étymologie pour bon gros troll

On pourra avantageusement poursuivre cette analyse passionnante de l’étymologie en évoquant d’autres origines...

Le lecteur pourra se rendre sur langue-française, et découvrira par exemple que le verbe troller existe en ancien français. Troller, v. n. Terme de vénerie, quêter au hasard (in. Lexique de l’Ancien Français, Frédéric Godefroy, Paris, Honoré Champion, 1994). Un autre intervenant de ce site indique que le verbe « trôler », en français, serait issu du latin populaire trahere (« suivre à la trace ») et signifierait « aller de ça, de là », « mener, promener de tous côtés » et encore « tenir des propos inconsidérés ».

Le présent article tournant résolument au gang bang sur colléoptères, n’hésitons pas à signaler une autre étymologie possible (fournie par le Lexique des termes employés sur Usenet) : passant du scandinave au hollandais, puis du hollandais au français, le « tröll » serait devenu le « drolle », un être malfaisant jouant des tours, mais que l’on ne pouvait prendre au sérieux. Finalement, le sens et l’orthographe se sont fixés sur la version « drôle » que nous connaissons désormais.

Signalons encore l’allemand : Troll (Kobold) lutin ; et la forme verbale sich trollen : décamper, déguerpir, détaler [3].

Le troll, un peu plus loin Venons maintenant plus directement à l’objet de cet article. On a vu que le troll tire son origine des newsgroups.

Cependant, les newsgroups étant moins utilisés par le grand public et étant déjà totalement pollués par la publicité, ils sont devenus un espace de jeu beaucoup moins attractif pour le troll.

Les nouveaux territoires de prédilection du troll sont désormais :

les listes de discussion par email ; il s’agit ici des listes publiques, auxquelles tout le monde peut s’abonner, et non modérées (c’est-à-dire que les messages sont repercutés à l’ensemble des abonnés dès qu’ils sont envoyés, sans validation par un administrateur) ;

les forums de discussion sur le Web. La permanence de ces forums (les messages restent indéfiniment en ligne) et leur forte fréquentation les rendent terriblement attractifs.

Si l’activité trollesque dans les newsgroups est largement documentée, celle qui s’attaque aux listes de discussion (mailing-lists) et aux forums du Web est peu traitée par les experts ès trolls.

Les messages des trolls Évidemment, le troll se reconnaît à ses messages (messages dont le seul but est, rappelons-le, la pollution du forum en provoquant une avalanche de réponses sans intérêt). Les caractéristiques des messages trollesques sont les suivantes :

À l’origine, sur les newsgroups, la stratégie principale est le crosspost, c’est-à-dire l’envoi d’un message sur plusieurs forums aux sujets différents (ou, mieux, contradictoires). Il s’agit de mélanger des discussions aux thèmes opposés, et de provoquer ainsi une flame war (guerre de messages incendiaires) entre des interlocuteurs qui ne devaient pas, à l’origine, discuter ensemble (car leurs préoccupations sont différentes). Un groupe de trolls a ainsi déclenché une invraissemblable guerre en mélangeant les messages des listes alt.smokers (les fumeurs), can.talk.smoking, alt.support.non-smokers (non-fumeurs), asthma (asthmatiques). Sur le Web et dans les mailing-lists, de telles stratégies sont plus difficiles à mettre en place.

Cependant, de cette stratégie du mélange des sujets, le troll du Web et des mailing-lists conserve cet usage immodéré du message hors thème. C’est même la principale stratégie de pollution : dans un forum consacré à Vivendi, un interminable message rappelant tout l’historique du mouvement trotskyste.

Basique : la bonne grosse provocation et l’insulte. L’idéal, pour encore plus d’efficacité, consiste à utiliser une image qui insulte un autre groupe humain. Par exemple : « espèce de sale australien, bâtard de fils de putes et de taulards, résidus de la lie de l’Empire » va immédiatement faire intervenir de bonnes âmes persuadées qu’il est passionnant, dans un forum consacré à la culture des figues en Ontario, de défendre l’honneur des australiens, des taulards et des victimes de la prostitution ; on peut également espérer un historique complet de l’Empire anglais, puis une dénonciation virulente de l’impérialisme contemporain...

Les réponses systématiques. Toute réponse creuse à un message creux permet d’entretenir la dynamique du groupe. De fait, on constate le plus souvent que les victimes d’un troll, en répondant à son message et en se lançant dans d’interminables débats oiseux, deviennent à leur tour des trolls. L’aspect plus ou moins systématique des réponses permet au passage de différencier le troll bête du troll méchant (voir ces notions ci-après) : le troll bête répond à tous les messages qui suivent son message initial, à l’inverse du troll méchant qui se contente d’entretenir le mouvement par quelques interventions très ciblées (il y a donc, chez le troll méchant, une sorte d’économie de moyens qu’il faut porter à son crédit).

Les messages trollesques refusent systématiquement d’aborder le fond et privilégient la forme des messages : « mais pourquoi tu me tutoies... », « moi je ne t’ai pas agressé alors pourquoi tu m’agresses » ; « t’as vu comment il m’a causé l’autre... tu trouves pas qu’il exagère ? » ; « purée, les fautes d’orthographe ! » ; « c’est nul de critiquer ton interlocuteur parce qu’il fait des fautes »...

Très faciles, les messages qui commentent la gestion du forum au lieu de l’objet de la discussion : « on peut pas corriger ses messages ? » ; « je crois qu’on m’a sucré mon message, mais il est revenu » ; « ah ah, je vois comment vous fonctionnez sur ce forum ! ».

Dans son refus d’aborder le fond, de privilégier la forme et de débattre sans fin de la gestion des forums, le troll a une propension inimaginable à se placer dans l’affectif. Ses messages deviennent un jeu subtile de connivences, de divisions, de recherche d’alliés et d’ennemis. Il se croit ou se prétend copain avec Untel, alors que Machin est méchant et le persécute, et Bidule est maqué avec Truc, puis Trucmuche s’est engueulé avec ses Bisounours. En fin de compte, on obtient des messages très constructifs sur le thème : « Machin a raison parce qu’il est gentil, Truc a tort parce qu’il est méchant ».

Nous avons dit plus haut que la technique du crosspost (mélange des messages sur plusieurs forums) était rare sur les mailing-lists et les forums du Web ; en réalité, on en trouve une variante qui consiste à diversifier ses supports. Troller sur le forum public, se plaindre de l’accueil peu sympathique qu’on y a reçu dans les forums privés ou publics, lettres aux admins, lettres de plainte sur la mailing-list associés au même site, etc.

Une fois parfaitement identifié, et ses thèmes de discussion épuisés, le dernier sujet du troll est de se prétendre victime d’atteintes inadmissibles à sa liberté d’expression. Sujet qui, lui-même, ne sera jamais abordé sur le fond, mais sur la forme, la gestion des forums par les méchants administrateurs qui ne m’aiment pas, le manque de politesse des intervenants.

Phase ultime : les messages de sabotage, avec au pire : tentatives de destruction physique du forum (virus dans une mailing-list, messages « hors format » sur le Web pour faire exploser la page, etc.).


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