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Selon
vous, la prochaine crise de l’euro sera-t-elle fatale à la monnaie
unique européenne ? Finalement, cette dernière n’a-t-elle pas montré
qu’elle était capable de survivre à la plus grande crise financière
depuis quatre-vingts ans ?
David Cayla : La Banque centrale
européenne s’est montrée capable d’un grand pragmatisme en plusieurs
occasions. Elle a su se prêter à une interprétation hétérodoxe des
traités et mener une politique accommodante visant à éviter l’entrée de
l’eurozone en déflation. Cela n’a pas manqué d’ailleurs de provoquer des
tensions avec les dirigeants allemands de la Bundesbank, qui ont
résisté à toute force. La BCE s’est également montrée féroce pendant
toute la durée de la crise grecque de janvier à juillet 2015. C’est son
action, pour une large part, qui a provoqué la reddition de Tsipras
après que les banques hellènes ont été délibérément mises à genoux. Le
problème c’est qu’en prenant de sa propre initiative des décisions aussi
lourdes, la Banque centrale européenne sort du champ technique et se
transforme en acteur politique à part entière. Or une Banque centrale
qui n’est soumise à personne (puisqu’elle n’est adossée à aucun État),
qui ne rend de comptes à personne….ça pose quand même un problème
démocratique majeur. Dans un futur proche et pour répondre à votre
question, il est probable que l’efficacité de la politique monétaire
finisse par atteindre ses limites. La BCE ne peut pas tout. Les taux
d’intérêt sur les dettes souveraines sont en train de remonter, les
phénomènes de polarisation conduisent à une divergence de plus en plus
grande des trajectoires économiques des pays. Tous les économistes le
savent : l’euro en l’état n’est pas viable. Certains, comme Michel
Aglietta, proposent des transferts budgétaires massifs. D’autres, comme Olivier Passet,
proposent de renégocier les traités. Nous nous attachons pour notre
part à démontrer pourquoi il est illusoire d’espérer que de telles
solutions soient jamais mises en œuvre….
Constater que la crise des migrants a davantage fait que
l’austérité pour précipiter l’agonie de l’Union européenne ne titille
pas les essayistes classés à gauche que vous êtes ?
Coralie Delaume : Pourquoi ? Il y aurait des
questions politiques classées à gauche comme l’économie, et d’autres
classées à droite comme les migrations ? La crise migratoire est une
crise majeure qui a joué un rôle de révélateur. Comme nous l’expliquons,
elle a montré que le principe intangible de la libre circulation des
personnes, l’une des « quatre libertés » garanties par le Marché unique,
pose des problèmes auxquels l’Europe n’a pas forcément réfléchi,
obnubilée justement par l’objectif de s’intégrer économiquement, et ne
voyant dans la circulation sans entrave des hommes qu’une manière de
faire circuler le facteur de production « travail ». De plus la crise
des migrants a souligné avec une intensité inédite l’incapacité des pays
européens à coopérer, alors qu’ils sont engagés depuis plusieurs
décennies dans un processus d’intégration supranationale qui génère en
lui-même de la divergence et fabrique de la compétition. Il faut dire
que cette crise a eu la particularité de se déclencher brutalement et de
toucher tous les pays en même temps, alors que les politiques
d’austérité sont plus lentes à produire leurs effets, et les produisent
de manière très différenciées selon les pays. Il ne faut pas minorer
pour autant l’impact de l’austérité et la manière dont celle-ci a
contribué à rendre le problème insoluble. Les deux principaux pays
d’entrée des flux migratoires sont la Grèce et l’Italie. En somme, il
s’agit d’un pays dont l’économie a été volontairement pulvérisée et d’un
autre pays, l’Italie, dont la croissance n’a pas bougé d’un pouce
depuis 2000, c’est à dire depuis la mise en place de l’euro. C’est à eux
qu’on demande prioritairement de faire face. Et on s’attend à ce qu’ils
y parviennent ?
Angela Merkel demeure encore très populaire dans son pays
malgré la montée de l’AfD et de Pegida. Sa réélection probable
n’est-elle pas porteuse du statut quo pour quelques années encore ?
Coralie Delaume : Difficile à dire. D’abord parce
qu’il y a d’autres élections importantes en 2017 comme les législatives
aux Pays-Bas et la présidentielle française. Dès 2018 se tiendront
également les législatives italiennes (si elles n’ont pas lieu en
anticipé d’ici-là). L’Allemagne se positionnera forcément par rapport à
ce qui se passera dans son voisinage. D’ailleurs, elle peut tout à fait
durcir encore ses positions… Sur le plan intérieur, il faut aussi savoir
que le parti de la chancelière, la CDU, devra trouver des partenaires
de coalition pour former un gouvernement. Or là comme ailleurs, le
paysage politique se fragmente. Les alliances seront peut-être
difficiles à nouer, la question européenne étant évidemment appelée à
jouer un rôle important dans les marchandages entre formations. La Fin de l’Union européenne – Editions Michalon