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Commentaire de Marcel Patoulatchi

sur Le doute en question


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Marcel Patoulatchi (---.---.103.59) 20 avril 2006 17:29

Après avoir vue la prestation du Juge Burgaud lors de son audition devant la commission, après avoir entendu parler de son refus de se prêter de bonne grâce aux auditions des services d’inspection disciplinaire, on peut estimer peu probable que le problème de ce magistrat est un problème d’expérience. Pour ma part, je tablerais sur le manque de rigueur et un très faible de degré de compréhension des responsabilités qui vont de pair avec tout pouvoir coercitif.

Pour le reste, il parait évident que ceux qui se prêtent le mieux aux erreurs judiciaires sont ceux qui semblent frustes, frustes dans leur expression et parfois dans leur reflexion.

Cela ressort très bien dans certains documentaires (notamment « délits flagrants » de Depardon) où l’on constate que certains sont absolument inconscients de ce qui nuit à leur image, ils semblent sauter à pieds-joints dans la catastrophe en adoptant la posture du client idéal, du coupable par essence. Et toute la difficulté pour la justice devient alors de se demander si l’accusé est réellement coupable de ce dont on l’accuse ou s’il ne fait qu’avoir le profil pour l’avoir commis... avec la tentation, injuste en matière de droit mais néanmoins compréhensible, de sanctionner le profil et non l’acte, ce qui au fond constitue une lecture jusqu’au-boutiste du concept de personnalisation des peines.

Si l’on regarde « Outreau 2 », on voit que certains accusés ont manifestement le profil de ce dont on les accuse. Ils couchent entre frères et soeurs par pulsions physiques, c’est clairement un contexte favorable pour la commission de viols d’enfants, puisqu’il y a déjà certains tabous majeurs relatif à la sexualité qui ont sauté. Bien entendu, comme le dira Dupond-Moretti, s’il n’y a pas d’infraction, en dépit de l’avis moral que l’on peut avoir, il ne doit pas y avoir de condamnation. Néanmoins, tout ceci fait qu’il existe des doutes très défavorables aux accusés. Et lorsque ceux-ci s’avèrent incapables de s’exprimer (combien d’entre-eux furent décrits comme des débiles léger ?), il devient franchement dur de savoir s’ils sont coupables ou s’ils n’ont que le profil (avec les erreurs que peuvent induire le concept même de profil).

Je me rappelle également d’un documentaire qui interviewait les Legrand (« les fantomes d’Outreau », si ma mémoire est bonne), ils me semblaient de bonne foi mais il m’apparaissait également manifeste que leur expression leur desservait. Ils venaient d’un monde ouvrier où l’on disait les choses simplement et où l’on imaginait même pas que certaines vérités ont besoin d’être soutenues en finesse pour éclater promptement. Il me semble limpide qu’ils n’ont pas su trouver comment s’aider, que leurs avocats en furent totalement incapables également (incompétence ?) et que le magistrat instructeur les a complètement plombés.

Il ne parait pas envisageable d’imaginer que certains innocents auront le profil, ne sauront pas quoi faire pour s’aider. Il ne me parait pas envisageable d’imaginer que tous les avocats seront désormais compétents et motivés. On peut espérer par contre que certains ajustements réduiront le pouvoir de nuisance de certains magistrats instructeurs.

Mais il serait naïf de croire l’erreur judiciaire absolument impossible, dans un sens ou dans l’autre... Car tant que certains auront le profil et que certains indices matériels ou témoignages accuseront, subsistera une suspicion qui imposera une enquête forcément désagréable. Ce qui importe, c’est d’en réduire les effets néfastes (en encadrant plus strictement la durée de la détention provisoire, par exemple) tout en permettant aux services enquêteurs de travailler dans de bonnes conditions (conditions qui ne sont pas sans influence sur le temps nécessaire aux enquêtes). Ce qui importe, c’est de faire en sorte que le voeux de célérité de la justice ne soit pas pieux, surtout lorsque la justice fait usage de coercition.

En ce sens, imposer aux magistrats instructeurs et aux services enquêteurs du doute à tous les étages et sur tout est sans doute contre-productif. Ce qui importe, c’est qu’ils fouillent toutes les pistes trouvées, avec loyauté, selon leurs suspicions et selon les suggestions qui leurs sont faites, et qu’au plus tôt, une juridiction étudie l’affaire et juge (ou renvoie vers l’instruction si l’affaire n’est manifestement pas en état d’être jugée, s’il subsiste des pistes pertinentes). Ce n’est pas un drame si un policier ou un juge d’instruction a une opinion sur l’affaire sur laquelle il enquête - à vrai dire, son avis peut-être intéressant mais ses doutes et certitudes devraient être quasi-indifférents à la procédure. Ce qui importe, c’est qu’il ne laisse aucune piste au hasard, y compris les pistes qui ne vont pas selon son opinion première (et on pourrait envisager que ne pas suivre des pistes vraisemblables soit assimilé à une faute disciplinaire, voire pénale). Ce qui importe, c’est que si une mesure coercitive (toutes mesures privatives ou restrictives de liberté) affecte les mis en cause, il existe des délais clairs.


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