« The Tree of Life » : un film follement ambitieux

The Tree of Life (L’arbre de vie), le dernier Malick est arrivé, après cinq ans d’attente et son sublime Le Nouveau Monde (2006), que j’avais ardemment défendu ici – c’est l’un des mes films préférés*. On attendait beaucoup de la dernière moisson filmique du dernier des Mohicans à Hollywood. C’est un grand cinéaste, épique et lyrique. Animé par un mysticisme qui le fait lorgner du côté du cinéma fordien et des auteurs transcendantalistes tels que Thoreau, Whitman et Emerson. J’aime Malick parce que ce n’est pas un fonctionnaire de la caméra, il ne pond pas les films comme des produits. Il croit en la puissance du cinéma pour capter le monde et tenter de rendre à l’écran, par petites touches sensorielles, ce qu’il perçoit de celui-ci. Quand il y parvient, c’est magique. Et Malick est un artiste, un vrai, il ne se prostitue pas. Il fait son film comme une profession de foi. The Tree of Life, il a fait son film, tel un architecte qui a construit sa maison, et il ne se soucie pas de venir faire le service après-vente dans le décorum factice et capitalistique de Cannes. Et quand il est assailli par des doutes, concernant sa trajectoire d’homme ou son rapport à la machinerie hollywoodienne, il se retranche du monde. Il va voir ailleurs, se fait philosophe. On sait qu’il y a eu vingt ans d’absence entre son deuxième film, le solaire Les Moissons du ciel (1978), et son troisième,
Que nous raconte The Tree of Life ? A mon humble avis, le cinéaste-philosophe continue, de film en film, de creuser son sillon, de labourer le même champ pour développer une vision panthéiste du monde. L’homme est un élément parmi un grand Tout,
En scrutant la famille O’Brien, Malick réalise un film follement ambitieux. Il vient parler des fondamentaux : l’éducation, l’amour, le bien et le mal, l’intime et l’universel, l’origine de la vie, la place de l’homme dans l’univers. Alors, c’est sûr, certains n’y verront que grandiloquence et prétention, voire pompiérisme. Mais c’est selon moi se voiler la face. Malick considère que le cinéma est un art et il vise haut. Comment le lui reprocher ? Il intervient en philosophe, en peintre, en poète, ne s’interdisant pas à être ici l’égal des grands maîtres de l’Histoire de l’art, et il prend des risques incroyables. Comment ne pas admirer le virage à 180° qu’il prend lorsqu’au bout d’une vingtaine de minutes (on était avec la famille O’Brien), il nous embarque dans le cosmos pour remonter jusqu’à la genèse du monde (le big bang) ? Il a dans son film deux des plus grandes stars internationales du moment mais il les laisse un long moment, ne donnant pas plus d’importance à une star qu’à une branche d’arbre, des ombres portées sur le bitume, un bébé dinosaure ou un oiseau dans le ciel. Cette liberté de regard et de geste artistique est admirable. C’est ça Malick, plus deux ou trois choses encore : une voix off telle une litanie ; un film se faisant chant élégiaque ; un filmage lent à mille lieues du montage Formule 1 des productions standardisées actuelles ; des cadres en contre-plongée – humilité du regard qui regarde la terre et le ciel vus d’en bas – venant capter la lumière du soleil dans les feuilles d’arbre ; des plans qui sont comme autant de glissements de caméra pour dire le monde et ses épiphanies. En outre, Malick prend un grand risque en passant de l’intime (famille) à l’universel : celui de perdre en route le spectateur, de perdre l’humain, ni plus ni moins. Son Tree of Life est à deux doigts de tomber dans cet écueil, à savoir celui de regarder le monde de haut, en démiurge, sans penser à revenir ici-bas côtoyer l’homme. Regarder le monde d’en haut, selon la politique des hauteurs, filmer la terre de sa nacelle en cadastrant le territoire et en ne filmant plus les territoires comme des lieux de vie commune : c’est ce que fait froidement Yann Arthus-Bertrand avec son Home (2009) qui, à force de s’élever dans les airs, en oublie l’homme. Mais Malick, lui, n’oublie pas l’homme. Dans son film, sans arrêt, il revient se pencher, à hauteur d’herbes, sur la famille middle class O’Brien pour capter ses joies et ses peines. Et pour filmer l’humain, un regard tendre, l’enfance en vadrouille, l’amour, Malick ne craint personne. Filmer aussi bien l’amour maternel, pour ma part, je n’avais pas vu ça depuis le très beau A. I. (2001) de Spielberg. Comme ce dernier, ou surtout comme le Kubrick de 2001, Malick, s’il part très loin, n’en oublie pas pour autant de revenir à l’humain pour voir comment celui-ci parvient ou non à s’inscrire dans le monde.
Alors attention, The Tree of Life est loin d’être exempt de défauts (certaines images sont atteintes d’une joliesse gênante, dignes de pubs pour parfums ou de toiles sulpiciennes du Dalí commercial des années 50), et je dois avouer que c’est le film de Malick que j’aime le moins ; je le place en dessous de tous ses précédents films. Toutefois, un film de Terrence Malick, même en deçà de ce qu’il crée d’ordinaire, reste, à l’heure actuelle du robinet à images tous azimuts, à des années-lumière de la médiocrité visuelle ambiante. Son film nous lave le regard. Il laisse, dans ses images et marges (ellipses), des points de suspension pour permettre de nous interroger sur nous-mêmes. The Tree of Life, je n’ai pas vu de… film-trip pareil depuis Enter The Void (2010, Noé) et Film Socialisme (2010, Godard). Aussi, rien que pour sa liberté d’invention et même si on ne tient pas là selon moi un nouveau chef-d’œuvre signé Malick, je mets 5 sur 5 à The Tree of Life.
* Somme d’articles ici : Avant Tree of Life : Les Moissons du ciel (http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/avant-tree-of-life-les-moissons-du-78442) ; Mes dix films préférés des années 2000, et vous ? (http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/mes-10-films-preferes-des-annees-68192) ; Le Nouveau Monde : une expérience cinématographique hors limites (http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-nouveau-monde-une-experience-39357).
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