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Asp Explorer Asp Explorer 28 décembre 2006 18:50

Bonjour,

En voyageant sur le portail Europa du site du même nom ; celui de l’Union européenne, on peut y lire que l’UE compte 20 langues officielles, qu’elle travaille donc dans les langues choisies par les gouvernements des états membres et non dans une langue unique ou dans quelques langues qu’elle aurait elle même choisies et qu’une bonne partie de ses citoyens ne pourraient pas comprendre, que ce choix du multilinguisme officiel en tant qu’outil de gouvernance économique est unique au monde...

Il suffit toutefois d’avoir quelques notions de mathématiques pour comprendre que ce modèle est voué à l’échec. Le nombre de traducteurs nécessaires pour traduire n langues est égal à (n x (n -1))/2, il en résulte qu’avec 20 langues de travail, il faudrait 190 traducteurs en permanence dans chaque instance européenne. Pour trouver des traducteurs français/allemand, ça va, mais allez-donc trouver un traducteur protugais/slovène...

Rassuré d’être au cœur d’un modèle aussi original et si soucieux de ses citoyens, vous voulez sans tarder communiquer avec vos frères des autres pays européens et vous vous rendez sur la page « jumelages » . Surprise : le texte n’est plus affiché que dans dix langues et on vous explique que les projets de jumelage de villes sont désormais gérés par une agence exécutive que vous pouvez joindre en cliquant sur un lien. Et la, seconde surprise, vous tombez sur un texte en anglais. L’an dernier la demande de subvention pouvait être faite en anglais, français ou allemand !! Les réclamations ne pouvaient être faites qu’en anglais !

Pour la raison ci-dessus explicitée, il est impossible de traduire toute la pléthore de documents émise quotidiennement par l’UE. Il en résulte que tous les documents ne sont évidemment pas traduits dans toutes les langues, et que certains, peu usités, ne sont disponibles que dans une langue. En l’occurrence, quand c’est le cas, c’est l’anglais, car il se trouve que c’est la seule langue que tous les fonctionnaires européens ont en commun.

Les citoyens des nouveaux pays membres le savent depuis des années : la commission européenne ne s’adressait à eux qu’en anglais et quand ils voulaient réclamer des fonds européens , ils étaient et continuent d’être priés de le faire en anglais ! Donc, comme souvent s’agissant de la construction européenne, il y a les contes d’Andersen pour amuser les schtroumfs et la réalité qui n’est pas du même tonneau. La réalité est que l’anglais est en train de devenir progressivement la seule langue de travail de l’UE et la notion de langue officielle est remisée au rang des armoiries qui ornent les murs des châteaux dans le Royaume de sa gracieuse majesté .

« Les citoyens » ont rarement l’occasion de demander des subventions à l’UE. Ces procédures administratives sont principalement le fait des administrations nationales et locales ainsi que des entreprises où, faut-il au moins l’espérer, on trouve toujours une secrétaire se débrouillant en langue de Shakespeare. Quelle était l’alternative ? Faire un effort budgétaire pour traduire en Slovaque chaque formulaire de subvention à l’hectare de bagasse de topinambourg cultivé ? Tirer équitablement au sort dans quelles langues on va traduire les formulaires, quitte à envoyer des papiers en grec à des agriculteurs Danois ?

Qu’en dit la classe politique française ? La pantalonnade atteint des sommets .Alors qu’au début des années 90 Jacques Toubon , manifestement immunisé contre le virus du ridicule , faisait traduire « pins » par « épinglette » et menaçait des pires foudres tout fonctionnaire qui utiliserait des termes anglais ( notons au passage que les deux tiers de l’anglais viennent quand même du français !) on a fait un virage à 180° ! Même le très moyenâgeux baron Ernest Antoine Seillière ose narguer notre Président préféré en s’exprimant en anglais, la « langue des entreprises ». Dans ce monde « bobotisé » ceux qui s’inquiètent des menaces pesant sur l’usage de la langue française sont voués à la ringardisation. D’ailleurs , si seuls ceux qui parlent anglais avaient eu le droit de vote, on n’aurait pas vu le Non l’emporter au référendum ! L’usage de la langue peut être réservé et toléré s’agissant d’exercices « druidesques » comme les dictées de Pivot ! Mais quand les choses deviennent sérieuses, il faut savoir vivre avec son temps

C’est un procédé commun mais peu glorieux que de se vanter d’être anticonformiste pour justifier un discours qui va parfaitement dans le sens de la pensée dominante. Vous avez toutefois raison de parler de pantalonnade et de ridicule à propos des consternantes particularités législatives françaises qui font que les radios et télévisions sont obligées par la loi de diffuser un quota de chansons francophones aux heures de grande écoute, et où les annonceurs sont obligés de rajouter un « *juste fais-le » au-dessous d’un slogan diffusé à l’échelle mondiale pour complaire à des règlements liberticides, démagogiques, inefficaces et de surcroît, qui donnent la mesure du peu d’estime dans laquelle nos dirigeants nous tiennent.

Mon propos n’est pas de rejoindre dans la défense de la langue française une Académie française décatie qui , en rigidifiant son usage, a été largement responsable de son déclin. Ce qui est en cause, c’est simplement le droit du citoyen d’exercer sa citoyenneté dans sa langue maternelle. Je ferai simplement un certain nombre de remarques.

Je vous rejoins.

Il fut une époque où les gouvernants s’adressaient, en français, au peuple des bouseux qui lui, parlait anglais : c’était l’Angleterre du moyen-age. Il fut une autre époque où , sous d’autres cieux, quand on s’exprimait en français, on avait droit à un cinglant « speak white ! » : c’était le Québec des années cinquante ! Il n’existe aucun exemple d’Etat démocratique qui ait pu durablement fonctionner en usant, comme langue officielle , de la langue maternelle d’une seule partie de ses citoyens. Les seuls cas existants opposables sont d’anciennes colonies et la langue du colonisateur y fut imposée par la force dans un contexte où les langues locales n’étaient parfois même pas écrites et où les populations étaient analphabètes. L’URSS qui avait imposé l’usage du russe s’est effondrée.

A cause de la pratique du russe ?

On mesure à quel point la langue est un paramètre essentiel du fonctionnement de la démocratie. Le Canada n’a survécu que parce que les anglophones ont eu l’intelligence de faire des concessions aux québécois. La Belgique est secouée par l’opposition entre Wallons et Flamands les premiers ne comprenant pas les seconds et vice versa .Il n’y a à vrai dire que la Suisse qui ait réussi à maîtriser cette marmite avec il est vrai , une forte tradition de fédéralisme.

Les racines du conflit sont plus profondes. Longtemps, le pouvoir en Belgique a été aux mains des riches et francophones du sud, les gens du nord, néerlandophones, n’ayant que le droit de trimer dans leurs usines. Depuis, la situation s’est inversée, le nord est prospère dans le sillage des Pays-Bas et de l’Allemagne, et le sud largement touché par la désindustrialisation. Des tensions de même nature existent en Italie où pourtant, l’argument linguistique n’existe pas.

Quelles sont les motifs de tout cela ? Certainement pas la difficulté du dialogue entre les peuples : les allemands parlent rarement le français et les français encore plus rarement l’allemand ce qui n’a pas empêché le développement d’un sentiment de sympathie entre ces peuples autrefois ennemis. La véritable raison peut s’énoncer ainsi :

1.la démocratie est un système qui s’équilibre en aménageant des compromis entre des intérêtsdifférents. 2.Or pour que ces compromis soient acceptés, il faut que chacun puisse avoir été à même défendre ses intérêts et qu’il acquiesce à la nature du compromis. 3.On ne défend bien ses intérêts que lorsqu’on peut le faire dans sa langue maternelle.

Le point 3 me semble un peu péremptoire. Car comment un anglophone natif peut-il faire valoir son point de vue en utilisant une langue recherchée face à des anglophones plus lacunaires ? Aucune chance. Il souffre d’un handicap équivalent, il doit abaisser le niveau de son langage jusqu’à pouvoir se faire comprendre sans susciter la méfiance. Nous avons tous fait l’expérience, je crois, qu’il est plus facile de s’entendre en anglais avec un Allemand, un Indien ou un Espagnol qu’avec un anglo-américain de souche. Ne sera-ce pas, dans ces conditions, l’Anglais qui se sentira exclu ?

Il en résulte qu’une Union européenne qui serait composée, d’une part, d’une aristocratie parlant anglais , d’autre part de multiples plèbes s’exprimant en français , italien ou polonais, n’est promise à aucun développement durable , pour utiliser la logorrhée chère aux eurocrates. Pour l’instant, la réalité est cachée aux citoyens : le Parlement européen , pour inutile qu’il soit, continue à bénéficier d’une traduction simultanée dans les vingt langues ( même s’il faut passer par l’anglais pour aller du portugais au slovène, ce qui fait que les slovènes reçoivent une traduction décalée dans le temps). A la Commission , en revanche , l’usage de l’anglais devient la règle entre fonctionnaires et tout le monde sait que là est le siège du pouvoir !

Comment s’étonner ensuite que surgisse un jour une directive Bolkestein. Ce n’est pas Jacques Barrot qui risque de s’en apercevoir : il ne parle pas anglais ! Nos députés européens non plus d’ailleurs...

Je ne pense pas que la mauvaise compréhension des textes ou la distraction de nos gouvernants soit la raison profonde de l’adoption de mesures d’inspiration néolibérales que l’on fait semblant de découvrir avec effroi lorsqu’elles franchissent le Quiévrain. Mais c’est un autre débat.

Il faudrait demander à Royal , avocate du Oui, quel espace existerait pour sa démocratie participative quand les citoyens devraient poser les questions en anglais tandis qu’on leur répondrait en anglais.

Je ne me souviens pas que madame Royal ai jamais préconisé que l’anglais devînt langue officielle de la France. Le concept de démocratie participative ayant une vocation nationale parfois, locale le plus souvent, votre argument me semble un brin caricatural.

La dite madame Royal répondrait peut être, si elle a lu le projet de traité que celui ci disposait justement que tout citoyen a droit à ce qu’on lui réponde dans sa propre langue. Réponse exacte, par écrit !! sous quinzaine !!! Etre citoyen, dans un Etat démocratique , ce n’est pas, en effet , pouvoir entendre et être entendu dans sa langue maternelle ( ce qui constituait le minimum même aux temps de Philippe Auguste et Jean sans Terre avant de faire intervenir les archers du Roy) . Etre citoyen c’est pouvoir participer au dialogue public dans toutes sers dimensions, pouvoir porter un débat contradictoire, pouvoir interpeller les gouvernants. Il est vrai que si Lionel Jospin avait parlé anglais en 2002, ses interlocuteurs, victime d’un plan de licenciement, n’auraient pas entendu que l’Etat ne pouvait pas tout faire ! De même aurait on pu attribuer l’engagement de Sarkozy de ne pas privatiser GDF à une erreur de l’interprète . En envoyant Olivier Duhamel et quelques éclopés du suffrage universel à Strasbourg, on ne peut pas dire que l’UMPS crée un « désir d’Europe » mais ces gens la imaginent ils un seul instant que les citoyens puissent accepter demain sans broncher que ceux qui fabriquent la norme, rue de la Loi, ne sont pas en mesure de les entendre car ils ne comprennent pas leur langue ! Retournons un seul instant au mythe fondateur du contrat social : Comment peut on imaginer que les citoyens remettent les clés de l’exercice du pouvoir à des gens avec lesquels ils ne se comprennent pas !

Une bonne occasion pour que la France se dote d’une corporation inconnue chez nous mais qui rend de fiers services dans de nombreux pays de par le monde : des journalistes. Il me semble en effet que c’est leur métier de rendre intelligible la politique. Ce qui du reste, ne dépend que peu de la langue, et beaucoup de l’utilisation qu’on en fait. Ainsi, après le référendum, lorsque le président Chirac expliqua (en excellent français) que le chômage était la préoccupation majeure des Français et qu’il allait en faire la priorité absolue de son prochain gouvernement, tout le monde applaudit. Parce que personne - en tout cas aucun journaliste - n’a eu la bonne idée de traduire à destination du bas-peuple la pensée du chef de l’Etat : « On va revenir sur les 35 heures, les acquis sociaux et le code du travail pour faire plaisir aux patrons, en priant pour que la baisse naturelle du chômage dûe à la démographie nous donne raison ». Le naufrage du CPE était donc lisible dans le discours chiraquien avant même l’arrivée de Villepin. Là encore, pas besoin de se draper dans le voile d’une langue étrangère pour duper les gens.

Mais il faut aller plus loin : l’omnipotence de l’anglais n’est pas sans influence sur les politiques. Une langue est d’abord le produit d’une culture et véhicule une vision du monde ; une "Weltanschauung » comme disent les allemands. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’Europe des années soixante ne ressemble pas à celle du début de ce siècle. Le tarif douanier extérieur commun (en fait la préférence communautaire)est une dimension majeure de la première .Avec l’entrée du Royaume Uni commence une longue dérive libre échangiste et environnementaliste liée à l’histoire économique et religieuse des pays anglo-saxons. La mondialisation est sans doute un facteur de cette dérive mais elle n’est pas la seule . Le fait que l’on ait réfléchi et travaillé dans la langue des thatcheriens n’y a pas peu contribué !

Examinons rationnellement les deux hypothèses : la votre pose que la langue anglaise introduit, par son seul emploi, une évolution dans les mentalités. La mienne considère que les anglo-saxons dominant l’économie mondiale, leur influence se fait sentir simultanément dans le domaine des langues et dans le domaine économique. En toute honnêteté, lequel de ces deux points de vue vous semble-t-il le plus proche de la réalité ?

Le malaise né des deux Nons au référendum a mis à mal l’image d’Epinal d’une Europe créatrice de richesse et welfariste. L’Europe , c’est d’abord l’avenir promis du sous développement durable ; en tout cas c’est que ressentent confusément les citoyens quand on veut bien leur demander leur avis. Alors, si ce doit être plus de cette Europe là et que dans le même temps quatre vingt pour cent de ses citoyens soient cantonnés dans le rôle d’une sorte de Tiers -Etat linguistique, les europhilles devraient avoir du souci à se faire !

Que l’UE soit une construction politique boîteuse, c’est un fait que personne ne cherche à contester. Que la cacophonie linguistique en soit une des raisons, c’est bien possible. Que l’adoption de l’anglais comme langue commune fasse de nous des vassaux de l’Angleterre, ça me semble bien plus discutable. L’histoire humaine ne marche pas comme ça, le fait de parler la même langue, par exemple, n’a pas empêché les Américains de se libérer de la tutelle britannique quand il a été temps pour eux de prendre leur destin en main. Lorsque les Indiens ont accédé à l’indépendance, ils inscrivirent l’anglais parmi leurs langues officielles, pour la simple raison que c’était leur seule langue commune. Peut-on soupçonner Nehru d’avoir voulu vendre son pays aux Anglais ?

Il est gênant en terme de démocratie, comme vous le soulignez à juste titre, que le peuple ne comprenne pas la langue de ses élites. Toutefois, j’attirerai votre attention sur le fait qu’un grand nombre d’Européens, et en particulier de Français, parlent anglais, même si c’est souvent un anglais pauvre. Je pense qu’il doit être à la portée d’un bon tiers des Français de lire un texte de loi rédigé en anglais, pour peu qu’il ai un peu de temps devant lui et un dictionnaire sous la main. C’est peu ? Oui, mais combien seraient capables de comprendre le même texte en français ? La plupart des gens n’ont aucune raison ni aucune intention de s’adresser à l’Europe, pas plus qu’ils n’en auraient de lire chaque semaine le Journal Officiel. Et ceux qui doivent régulèrement traiter avec l’UE, dans leur immense majorité, parlent déjà anglais. Le problème est donc assez marginal.

Et pour remplacer l’anglais tout-puissant, que proposez-vous ? Pour des raisons pratiques, le multilinguisme ne fonctionnera pas tant qu’on n’aura pas réussi à faire parler 20 langues à tous les citoyens du continent. Il y a bien d’aimables plaisantins pour proposer l’espéranto, c’est à dire rajouter une 21e langue que n’apprendront que ceux qui y seront obligés par leur activité, et on en reviendra à la situation que vous dénoncez, en remplaçant toutefois une langue parlée par 45% des français par une autre parlée par 0,03% des français.

Si l’anglais s’impose, s’il s’est imposé (car ce débat est d’arrière-garde), ce n’est par hasard, mais par la conjonction de facteurs favorables, qui sont :

  • le besoin d’une langue commune
  • la facilité d’apprentissage de l’anglais « de base »
  • l’influence économique Américaine
  • la présence d’une culture anglo-saxonne vivante et attractive
  • la préexistence d’une forte population de locuteurs

    Comme aucun de ces points n’a de chance d’évoluer notablement dans les années qui viennent, je vous suggère un petit stage chez wall street institute.

    Alors je vous le demande, à part sortir de l’UE, y a-t-il une alternative crédible à l’anglais ?


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