Je suis de gauche
Voilà c'est comme ça, moi pourtant fière comme un pouil qui n'aime rien devoir à personne, qui supporterais d'être issue d'une génération spontanée, je ne peux que me rendre à l'évidence : je suis de gauche parce que c'est comme ça, parce que l'évidence traînait partout depuis toujours dans les premiers sillages, dans mes premiers sillons, ceux qui imprègnent le plus profondément le petit être fragile que j'ai bien dû être !
Être de gauche, c'est savoir qu'il y a eux et nous ; ceux qui nous exploitent, qui nous font du mal, qui ont ou prennent le pouvoir, qui nous humilient, nous méprisent nous ignorent ; et nous, nous sommes les gentils, nous nous entraidons et nous nous battons quand il le faut.
Les gens de gauche sont courageux, ils bravent les forts, qu'ils soient les Résistants, ou les Révolutionnaires, ils donnent leur vie pour se libérer et libérer les leurs, pour contrer le pouvoir qui les oppresse et conquérir des droits , ceux qui nous ont donné cette aise dont nous avons joui jusqu'ici, jusqu'à ce que des gens de droite s'en emparent à nouveau, nous réduisant en esclavage comme jamais...
Les gens de droite prennent le pouvoir par surprise, achètent leurs alliés, n'ont pas de parole, trahissent, ne cherchent que la puissance de l'argent, se foutent comme d'une guigne des autres qu'ils spolient à qui mieux mieux.
Les gens de gauche se reconnaissent, au son de la voix, au premier coup d'oeil, à la première parole prononcée ; c'est une marque de fabrique, quelque chose qui s'étale généreusement, ceux avec qui nous sommes à l'aise ; pas de ronds de jambe nécessaires pour les approcher, pas de révérence ou d'introduction, pas de passe-droit ou de cérémonie, les gens de gauche sont simples, généreux et hospitaliers ; quand il y en a pour trois il y en a pour quatre.
Avec les gens de droite c'est toujours compliqué ; il faut être invité, introduit, montrer patte blanche, « êtes-vous sûr qu'elle est de bonne famille ? Que ses mœurs sont droits ?... » ; on fait toujours des taches sur la moquette, on est malhabile avec les patins, mais quand on est de gauche on est bien élevé et on la ramène pas. Mais on est content d'en partir, de chez les gens de droite.
Les profs de gauche sont proches de leurs élèves, ils sont enthousiastes, ils veulent réveiller les jeunes têtes ignorantes ou innocentes, les encouragent, les stimulent, leur donnent des défis et leur montrent un respect et une grande confiance. Les élèves sont éminemment valorisés par de tels profs, ils vivent des heures formidables en leur compagnie et en restent éblouis jusqu'à la fin de leur vie.
Les profs de droite sont cul-serré, exigeants, pointilleux, se perdent dans des détails de formes, ne supportent pas que quoique ce soit les dépasse, ils ont peur des débordements, les enrayent avant même qu'ils ne pointent ; ils sont sur la défensive, prêts à dégainer au moindre mot qu'ils interprètent de travers. Les profs de droite peuvent aussi être passionnés par leur matière, mais en général ils aiment s'en faire admirer et ils recueillent les lauriers de la réussite de l'un ou de l'autre de leurs élèves, s'en sentant à 100% responsables. En revanche, quand ça foire, c'est forcément que l'élève est con ou bien ses parents, mais pas eux, non, pas eux.
Les parents des copains, quand ils sont de gauche, c'est vraiment chouette ; chez eux on se sent à l'aise et, comme on est bien élevé, on n'en profite pas pour vider le frigo ou finir les bouteilles, mais on se sent accueilli sans chichis, sans déranger, libre et pas suspicieusement surveillé.
Mais chez ceux qui sont de droite, rien de tel ; on marche sur la tête dans les couloirs pour ne pas salir, on s'enferme dans la chambre avec l'amie avec qui on est sensé travailler et c'est juste pour l'anniversaire que la mère fait un goûter auquel on se sent comme un gougnafier et qu'on n'en ose rien manger. Les parents nous parlent toujours comme à un enfant, ils connaissent les résultats scolaires et on est bienvenu que s'ils sont bons ; sinon, il vaut mieux ne pas rêver revenir. D'ailleurs on n'en rêve pas. Les ambiances compassées, merci !
Tous les gens qui ont fait des trucs bien, aventureux, pionniers, sont des gens de gauche ; les chanteurs qu'on aime sont de gauche, les cinéastes, pareil ; les gens de droite ont collaboré, ils ont dénoncé et quand ils écrivent des bouquins, ils sont vraiment chiants.
Pas un seul instant , dans cet imaginaire donné du fond des âges, je n'associe la générosité, au sens de pitié et charité, la religion et son bon cœur misérabiliste, à la gauche ; c'est le pendant droit de l'évidente égalité entre tous les êtres qui règne à gauche !Mais c'est toujours pareil d'ailleurs, ce dédain, cette hauteur des dames patronnesses, mêmes revisitées en faiseurs de soupe chez Coluche, me donnent des frissons d'effroi. ( vous avez dit patron ? Cela me rappelle peut-être l'ambiance malsaine des patronages où on me collait le jeudi pour laisser souffler ma mère ! Mais je répète ici , que je ne suis pas la seule à fonder ma vie et les valeurs qui lui donnent forme, sur des données et des ajouts reçus, il y a bien longtemps !!)
Pour moi le concept de s'occuper des autres est foncièrement « droitiste » ; je ne saurais dire réactionnaire ou conservateur, non, je donne à ces deux termes d'autres sens ; droitiste : du côté du pouvoir, qu'on le détienne, qu'on le convoite ou qu'on le serve ! C'est ça la droite ! La droite a engendré le droit, c'est tout dire : « avoir le droit » nous est forcément octroyé par quelqu'un, qui se trouve au dessus de nous puisqu'il peut dire : tu as le droit ou tu n'as pas le droit ! La droite prétend que chaque être humain n'est pas à même de savoir ça tout seul, elle s'arrange pour le dresser ainsi.
S'occuper des autres, qui ne sont pas des enfants, des malades ou des vieillards, c'est se pencher, s'abaisser, donc les considérer comme plus bas, donc se situer au-dessus !
Il y a un côté bon enfant chez les gens de gauche qui les empêche, même quand ils font des choses sérieuses, de se prendre au sérieux.
Et les gens de gauche sont beaucoup moins accrochés aux biens matériels, aux apparences, au luxe et aux paillettes !
Les gens de gauche se reconnaissent entre eux, c'est un air de famille, une estampille de fabrication, un petit quelque chose dans une démarche, un sourire, qui fait connivence ; cette famille là n'a rien à voir avec les élections, les bulletins et les urnes ; c'est une philosophie de vie, pourtant aussi différente que celle des militants purs et durs ou bien celle des anars non-violents : une famille ne comporte pas que des clones !
On reconnaît les droitistes aussi d'ailleurs, et s'il y a hésitation sur une personne, c'est qu'elle est de droite ; si la droite est une famille aussi, ce ne sont pas des réunions entre frères et cousins, mais entre grands-parents, parents, enfants, avec une hiérarchie bien orchestrée Les familles ne conçoivent pas que frères amis, il y a les traîtres, et puis les serviteurs, et les femmes !!
Ainsi forte de ma fantasmagorie, pour ne pas dire mon bestiaire, en cette époque où il est de bon goût de se situer nulle part, faire bande à part, se démarquer, se singulariser, probablement par nécessité de se rehausser, je ne suis pas la mode et m'ancre.
Cet ancrage est une velléité de trouver fratrie, la solitude ne me sied guère qui fait, elle, partie de mon réel ; j'ai souvent noté d'ailleurs que la sécurité excessive donne toujours des rêves de démarrage tandis que la précarité vraie cherche vainement la bitte d'amarrage, au contraire.
Mais on voit bien que cette description ne correspond en rien à une réalité « démocratique », les étiquettes sont mensongères et le produit indéfini ; à nous d'être clairs.
Aussi quand je lis chez Michéa que la terminologie gauche/droite n'a plus vraiment raison d'être, je ne peux qu'être d'accord.
Parce qu'en réalité il est question de passé et de futur.
Mes débordements ne sont pas qu'affectifs et nostalgiques d'une période ou d'une jeunesse perdues ! Ils ancre « ma » gauche, dans un quotidien, une manière d'être que j'ai pu identifier plus tard dans ma lecture des anarchistes, des anarcho-socialistes. C'est pourquoi Michéa, dans sa déconstruction de la gauche ( Le Complexe d'Orphée) m'a tout à fait entraînée à sa suite, les choses s'éclairaient puisque ma tête n'avait jamais été marxiste, ni productiviste, que mon vécu n'avait jamais été à l'usine mais au contraire dans la proximité des petites gens ordinaires.
Je me situe donc dans cette gauche orwellienne dont les préoccupations semblent être dédaignées et bien en deçà de celles de la gauche militante. Les choses sont flagrantes aujourd'hui et le chaos apparent inclassable : il est fini les temps des discours stéréotypés, décelables à la première voyelle, rassurants ; on est de gauche, on est de droite, on est des bourges, on est des prolos, naviguent là au travers quelques étudiants quelques intellos, et la société est bouclée, le tour est joué. Aujourd'hui le monde est devenu binaire de bien des manières, une simplification extrême née avec et que n'arrange pas l'informatique, mais par ailleurs, les consciences politiques s'entrecroisent davantage pour tous ceux bien sûr qui ne sont pas sectaires. C'est ainsi que l'on peut entendre, à droite extrême, des vérités ou en tous cas des prises de positions que l'on n'a pas envie d'attaquer ; reste à la vigilance de faire le tri car plus rien ne semble devoir correspondre à soi-même entièrement. Le bon temps de l'endoctrinement ne marche aujourd'hui que pour l'ultra libéralisme capitaliste et semble nous rappeler que le lavage de cerveau ne date pas d'hier ! Mais on entend à gauche des inepties insensées jusqu'à ce que l'on s'aperçoive qu'on est à droite en réalité !
Ce mélange des genres crée des embarras ; je pense notamment à l'extradition de R. Balme du PG, pour péché d'ouverture d'esprit qui paraissait douteuse aux tenants de la doctrine ; ce qui tend à prouver que la confiance règne ici comme ailleurs et que si on n'utilise pas tous la même lessive qui lave-plus- blanc, on est proscrit !
C'est comme un anachronisme, un résidu du temps passé, à moins qu'il s'agisse de la nécessité d'avoir ses troupes en ordre ! Dans les deux cas je ne peux m'empêcher de voir un jugement et une condamnation peu compatibles avec ma gauche ! Quand madame Le Pen s'attaque à la délinquance en col blanc ou à telle ou telle décision de nos deux gouvernements successifs, je ne ressens pas la nécessité de vanter ou mettre en doute immédiatement ce qui n'est que paroles ou, pire, de les rejeter d'un air dégoûté, alors que j'ai dit la même chose la veille !! Je peux même faire cette confidence que la bande à Sarko m'a toujours été bien plus insupportable que cette femme-là ; il faut dire aussi qu'il est extrêmement rare que je l'entende, aussi rare que j'entende les autres parce que je prends un peu soin de moi !
Bien entendu, il y a des frontières, indépassables, celle entre autres de s'arrêter à un symptôme, d'en faire la maladie et sa cause ; car alors c'est le manque de réflexion, d'honnêteté qui entache tout le reste du discours. Et parce que je suis de gauche, quand la Gauche déraille, à mon sens, je finis par m'en remettre ! Mais elle ne déraille jamais sur ce point : ses tactiques, ses choix d'actions ne me conviennent pas toujours, mais le fond du discours reste sain, honnête et proche de mes convictions ( je n'aime pas ce mot-là non plus, mais je n'en trouve pas d'autres de plus commodes), en tout cas une plus juste adéquation entre ce que je suis et ce que j'entends.
Autant dire qu'il est difficile de trouver sa famille mais que cela a probablement toujours été le cas, c'est pour cette raison sans doute que l'amour inconditionnel est, sinon, exigé par les autres, du moins proposé par soi-même comme nécessaire ! Et l'amour inconditionnel est aveugle, il crée des liens indéfectibles, une fidélité parfois handicapante ! Ces familles, ces groupes soudés, c'est bien beau, mais ils ralentissent la progression, en interdisant tout dialogue : il y a à mes yeux comme un jeu dans cette manière commune de hurler pour s'empêcher d'entendre ce que l'autre pourrait dire de juste ou de partageable ! Et j'ai idée que les élections sont une sorte de foire commerciale très onéreuse et tapageuse, qui nécessite moult publicitaires et qui propose des produits qui doivent, si possible être le plus distinguables possible ! Ce n'est pas toujours le cas ; je me surprends à être d'accord avec le contenu des toutes les professions de foi, puisqu'elles veulent toutes mon bonheur, jusqu'à ce que je remarque qu'ils disent tous « je », sauf Sarkozy qui a une équipe de com du tonnerre de Dieu !
Vous voyez ! Tout le monde croit que c'est le meilleur système parce que l'immonde Churchill l'a dit ; ha ha !!
Ce qui prouve que même le meilleur système peut être dévoyé, il me paraît donc urgent, si les centrales nucléaires antiques et mal entretenues qui nous entourent, nous en laissent le temps, de nettoyer la démocratie, de fond en comble et si réellement on laisse le peuple s'exprimer, et si l'on fait taire les petits chefs imbus d'ambition, il y a gros à parier que le clivage gauche/droite, oui, s'estompera de lui-même mais il y a gros à parier aussi qu'une société qui offrirait plus d'espace et de temps à sa population n'aurait pas à résoudre la plupart des problèmes qu'une société injuste et mortifère engendre.
Ainsi en toutes choses il est bon d'aller bien en amont de l'évidence et bien en aval de l'emplâtre décidée pour la langue de bois !
Mais aussi bien savoir qu'à l'âge de quatre ans, nous ne somme peut-être pas finis, mais que tout ce qui a été mis avant reste inscrit de manière indélébile et qu'aucun être au monde ne pourrait se défaire de cette influence. Aussi, inutile d'insister, je suis de gauche de manière aussi tangible et irréparable que je suis femme et il ne sert à rien que je me batte avec celle ou celui qui est tombé dans le bain de droite ! En revanche, je suis sûre qu'une multitude de choses aussi primordiales que les besoins, ou des goûts, une lecture ou une musique plus probablement, sont à partager ! Et qu'une constituante n'aurait pas besoin d'être écrite sous les mitraillettes d'une gauche inquiète de trahisons. Les êtres humains de bonne volonté ont toujours réussi à s'entendre ; à condition de ne pas écouter les manipulateurs.
Cette phrase peut bien paraître mièvre à souhait, vous la détailler raisonnablement serait trop long mais en attendant, cette certitude me donne plus d'aise pour accepter l'autre, à défaut de m'en faire accepter ! Je ne pense donc pas nécessaire de spécifier qu'outre une configuration identitaire, un vocabulaire dont l'histoire semble vouloir se défaire, être de gauche est aussi une étude, une érudition pour certains, une exigence intellectuelle, et peut-être plus que tout un esprit critique qui nourrit la créativité, donnée théoriquement à tous.
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