Dans mon
article précédent j’essayais de démontrer que l’identité nationale et l’immigration étaient deux problèmes différents. J’essayais ensuite de trouver un fondement à cette identité.
Le danger que représentent une invasion de musulmans qui ne s’intègrent pas ne saurait servir de définition de l’identité française. Cette position était représentée par un certain Big Mac qui écrivait :
· Ah oui c’est vrai la France est envahie d’Américains.
Suis-je bête tout ça c’est les américains : les banlieues, les émeutes, les centaines de milliers de véhicules incendiés, les pans entiers de territoire annexés, les rues de Paris interdites aux riverains, le soutien au terrorisme, les burkas, le refus de la mixité dans les piscines dans les écoles, dans les hôpitaux, les menus halal imposés aux non-musulmans, etc.
Dites l’auteur, c’est du second degré ou vous êtes sérieux ?
Et cette réponse était la plus approuvée (25 votes). Par ailleurs près de 60 % des lecteurs d’Agoravox ont voté « oui » à la question : « approuvez vous le vote des Suisses d’interdire les minarets ? ». Tandis que selon le
sondage de l’Ifop pour
Le Figaro, 41 % des Français se disent opposés à l’édification de mosquées. Et, dans le
sondage réalisé par l’institut BVA pour Canal+, 54 % des Français considèrent qu’organiser un référendum sur l’interdiction de minarets à l’instar de la Suisse ne serait pas une bonne chose. Mais s’il venait à se faire, 55 % voterait contre l’interdiction. Les lecteurs d’Agoravox seraient ils plus proches de Le Pen que la moyenne nationale ?
Quoiqu’il en soit je m’adresse ici aux 40 % qui ont voté « non » et j’aimerais que les adeptes de Le Pen et consorts ne répandent pas leur fiel dans la discussion. Ça va on a compris : les affreux musulmans voilent leur femmes quand ils ne les lapident pas, ils sentent mauvais, construisent d’affreux minarets, refusent la laïcité, ne sont là que pour toucher les allocs etc. etc. Ce discours on le connait par cœur et cela ne fait guère avancer le débat.
Je n’ai pas changé d’avis : quelque soit le danger que représente l’islam en France dénoncer ce danger ne saurait servir de réponse à la question de l’identité. Imaginons un professeur de sciences naturelles qui demande à ses élèves de définir le mouton. Réponse de l’élève : « mais les ours sont dangereux : ils attaquent les troupeaux de moutons ; il faut donc les éradiquer. » Or, même si cette dernière assertion est exacte, elle n’est pas une réponse à la question. Dans ce débat aussi. La question est : qu’est-ce qu’un Français ? Qu’est-ce qu’être français ?
La réponse des Big Mac et alii appelle deux commentaires.
Le premier est que ce rejet de l’islam est général. Cela va du rejet violent et viscéral des Lepénistes à une attitude plus modérée du style « s’ils veulent voiler leurs femmes c’est leur problème du moment qu’ils me foutent la paix ». Mais personne en France, personne, même les plus modérés, n’est attiré par les idées de l’islam. Or, il n’y a danger pour une identité nationale que lorsque la population est attirée par des idées étrangères : changement de langue, conversion à une nouvelle religion, etc. Ainsi lorsque les Gaulois commencèrent à parler latin, à imiter les mœurs des Romains, etc.
Pour illustrer mon point de vue je vais donner un exemple : un début de christianisation au Japon :
En août 1550, saint François-Xavier débarque au Japon. Les conversions débutent puis s’accélèrent. Les années qui vont de 1601 à 1613 voient même une véritable expansion de l’Église. À Nagasaki, siège de l’évêque, la cathédrale de l’Assomption est achevée en 1602 ; quarante mille catholiques et onze églises font de la ville une « petite Rome ». Arima (une autre ville) possède un séminaire et un collège qui compte une quarantaine d’étudiants en 1607. À Kyoto, sept prêtres administrent en moyenne cinq mille baptêmes par an. Bref le catholicisme se répand comme une trainée de poudre. Oui il y avait bien danger pour l’identité japonaise faite d’une symbiose de bouddhisme et de shintoïsme. Le pouvoir finit par en prendre conscience.
Un édit de 1614 a pour but la suppression pure et simple du catholicisme. Les daimyos (gouverneurs) locaux doivent renvoyer tous les missionnaires sur Nagasaki, puis de là vers Macao ; les chrétiens japonais doivent abjurer et retourner aux religions nationales. Ce texte en quinze articles est apposé dans tous les temples, lesquels donnent à leurs adeptes des certificats prouvant qu’ils ne sont pas chrétiens. Au cours de l’année 1614, soixante-deux jésuites sont embarqués sur un navire portugais.
A partir de 1623, le shogun (premier ministre) ferme le pays de manière presque complète et soumet les chrétiens à la répression la plus farouche. Les martyres se succèdent : à Yedo, en 1623, deux missionnaires et quarante-huit chrétiens sont brûlés ; en 1624 ont lieu des exécutions massives, qui font deux cents victimes ; les chrétiens sont systématiquement privés de leur emploi ou de leurs biens. Le daimyo d’Arima entreprend une campagne d’extermination et met au point de nouveaux types de torture.
L’Église japonaise est décapitée : en 1638, cinq religieux, jésuites et franciscains restés cachés dans l’archipel, sont arrêtés et torturés. La fermeture du pays est pratiquement intégrale entre 1639 et 1854.
En même temps sévit une véritable réaction en matière culturelle. Les livres sortis de l’ancienne imprimerie jésuite sont systématiquement détruits ; à partir de 1630, les livres composés en chinois par des missionnaires jésuites de Chine sont interdits sur le sol japonais, et comme certains lettrés continuent à les lire, un décret de 1658 précise que quiconque importera ces ouvrages sera mis à mort. La « chasse aux livres » complète et parfois même remplace la chasse aux chrétiens.
Le Japon manque de livres, en particulier concernant les sciences occidentales. Ces dernières repénètrent au Japon grâce aux vaisseaux de la compagnie néerlandaise des Indes orientales. Des ouvrages de science et de technologie, le plus souvent composés par des auteurs allemands ou néerlandais, parviennent de manière clandestine à Nagasaki à la fin du XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, les autorités tolèrent ces ouvrages, à condition bien sûr que tout prosélytisme en soit absent.
(Pour tous renseignements :
Tout ceci pour comparer avec la France d’aujourd’hui. Il n’y aurait danger pour l’identité nationale que si les Français « de souche » se convertissaient à l’islam. Or ce n’est pas le cas, loin de là : c’est même le contraire : un rejet total viscéral et massif et cela dans toutes les couches de la société. Donc l’islam ne représente pas un danger pour l’identité nationale. 40000 chrétiens à Nagasaki, principal port d’accès au sud du Japon (dont la population était passé de 2500 habitants à 25 000 entre 1575 et 1600) c’est énorme. C’est comme si, toutes proportions gardées, nous avions aujourd’hui plusieurs millions de convertis (je dis bien de convertis pas d’immigrés) musulmans à Marseille. Mais il n’y en a pas un seul.
Quand un peuple rejette une greffe étrangère il la rejette. L’Espagne a connu huit siècles d’occupation arabe et est restée catholique et hispanophone. La Grèce a connu trois siècles d’occupation ottomane et n’a jamais renié ni la langue grecque ni l’orthodoxie.
Donc puisqu’il n’y a pas danger pourquoi ces lepénistes font-ils une fixation sur l’islam ?
La seconde est : pourquoi ces lepénistes ne sont-ils pas capables de définir cette nation française qu’ils prétendent défendre ? Est-ce si difficile de dire la France c’est ceci ou cela, c’est A+B+C+D ? Il faut croire que oui. Haïr l’autre ne veut pas dire s’aimer soi-même.
Alors comment définir l’identité nationale de façon positive ? Et pourquoi n’y arrivent-ils pas ?
Dans mon article précédent je disais que :
1 ) Le premier critère est la langue. S’il y a malaise en matière d’identité c’est parce qu’il y a un recul extraordinaire du français en France même et ce pour deux raisons :
a) le première est le recul du français face à l’anglais (tous ce scientifiques qui publient en anglais, les entreprises françaises qui communiquent entre elles en anglais à l’intérieur de l’Hexagone et celles qui ont même adopté la langue d’outre Manche pour leur communication intérieure, sans parler des programmes EMILE).
b) La seconde est la baisse de niveau. Je ne vais pas rentrer dans les polémiques sur « le niveau baisse » d’une façon générale mais il est un fait que 15 % des enfants qui entrent en 6ème ont de grosses difficultés de lecture. Tous les chefs d’entreprise vous diront qu’ils reçoivent des messages incompréhensibles de personnes qui ne maitrisent pas leur langue maternelle. Selon une étude de l’INSEE publiée le 6 aout la part de la presse et du livre dans le budget des ménages a diminué de d’un tiers depuis 1970. Un tiers c’est énorme !.
2 ) Il est évident que, si la langue est essentielle, elle ne suffit pas. Les Québécois sont francophones mais ce ne sont pas des Français. Ce qui définit ensuite une nation c’est une culture. Il faut entendre ce mot au sens large c’est-à-dire un ensemble de productions artistiques, de coutumes etc. qui caractérisent ladite nation : cela va de la gastronomie à l‘architecture en passant par la littérature, la peinture et même le droit. Lorsqu’on regarde les palais de Florence, les cathédrales gothiques et le château de Versailles on reconnaît tout de suite un style, un pays, une époque. C’est cela l’identité.
Après mai 1968 la gauche s’est violemment attaquée à la culture au prétexte qu’elle était bourgeoise et source de sélection sociale. On s’en est tout d’abord pris aux humanités classiques, au latin et au grec. Or l’héritage gréco-latin n’est-il pas un des fondements de notre identité nationale ? On s’en est aussi pris à la religion non pas en tant que religion mais en tant que sujet du savoir. Or comment déchiffrer la plupart des tableaux lorsqu’on ne connait ni la mythologie gréco-latine ni la religion chrétienne ?
Or cette politique n’a jamais rien donné : il y a toujours autant d’inégalités sociales.
Je comprends un peu le raisonnement de la gauche à l’époque quoique je ne l’approuve pas : l’État-nation à base linguistique du XIXème siècle était dominé par les bourgeoisies nationales qui s’arc-boutaient sur leurs barrières douanières pour protéger leurs intérêts. Et la culture nationale était bourgeoise. Ce n’était pas une raison pour la rejeter.
Mais aujourd’hui la bourgeoisie s’est convertie à la mondialisation et n’a plus rien à faire des cultures nationales. Du coup la droite a repris le flambeau demandant par exemple la suppression d’épreuves de culture générale à certains concours. À quoi sert d’avoir lu La Princesse de Clèves pour être facteur ou agent de la RATP ? Le problème c’est qu’avec des raisonnements pareils il n’y aurait jamais eu de culture. A quoi servent le les palais de Florence, les cathédrales gothiques et le château de Versailles ? On aurait mieux fait de construire des HLM ! Mais la culture c’est ce qui ne sert à rien. Et un peuple qui ne fait pas des choses qui ne servent à rien est un peuple entré en décadence.
C’est cette nouvelle bourgeoisie mondialisée qui veut nous imposer une Europe anglo-saxonne et hyper-libérale. Nous avions voté « non » et on nous a forcé la main. Ces nouvelles élites sont incapables d’imaginer une Europe européenne et elles cherchent à copier le seul modèle qui trouve grâce à leurs yeux : les Etats-Unis. Or pour acquérir une identité face à eux l’Europe aurait du choisir un autre modèle que les USA et une autre langue que l’anglais.
Résultat la France est franchement entrée en décadence.
1 Finie la philosophie avec Sartre et Merleau Ponty, fini les sciences humaines avec Lacan, Dumézil et Lévi-Strauss, fini la littérature avec Camus et Julien Gracq, fini l’architecture avec Le Corbusier, fini l’époque où Paris était le point de convergence des peintres et des artistes. D’aucuns diront que Le Clézio vient d’obtenir le prix Nobel. Certes il y a encore quelques beaux restes, mais c’en est fini d’un rayonnement qui avait commencé à la Renaissance et n’avait cessé depuis.
2 Et ce qui est vrai pour la culture savante l’est encore plus pour la culture populaire. Avec 75 % de chansons en anglais sur certaines chaines (et encore parce qu’il y a des quotas !). Et Nike, les séries B, Mac Donald, Mickey etc.
Quel est le vrai danger ? La France s’acculture et en même temps elle s’inculture car il faut voir le niveau des paroles de ces chansons pop, rap, rock et que sais-je encore. Et comparer avec Barbara, Brassens ou Gainsbourg. Il faut comparer les séries américaines avec Truffaut, Mac Do avec la gastronomie française, Nike avec le travail des grands couturiers et Coca Cola avec les vins. (Et ici aussi il y a quelques beaux restes comme la BD). C’est cela qui est nouveau, les valeurs que véhiculent les Américains du Nord sont de la non-culture. Je m’explique : l’anglais par exemple n’est pas la langue de Shakespeare. C’est un jargon international qui n’est pas lié à une histoire, une littérature, une poésie, un théâtre, une philosophie. Et l’anglais est la langue des États-Unis, le pays le plus représentatif de l’utilitarisme, du « à quoi ça sert ? ».
C’est ainsi : la culture vis-à-vis de laquelle la France fait des complexes d’infériorité est la culture de la non-culture, de l’utilitarisme terre à terre. Business as usual.
Alors d’où vient le danger ? Des Arabes ou d’une sous-culture américaine ? Qui le shogun doit-il donner l’ordre d’exterminer cette fois-ci ? A quoi les Français se convertissent-ils ? A l’islam ou à Clint Eastwood, Madonna et Mickael Jackson ?
Alors pourquoi Big Mac (le choix de ce pseudo est hautement significatif) n’est-il pas capable de définir une identité française ? Parce que la plupart de ceux qui tiennent ce discours paranoïaque anti-musulman ne connaissent pas bien la culture française. Leur paranoïa anti-musulmane leur sert de culture de remplacement.
Ma conclusion reste la même : à quoi ça sert de lire La Princesse de Clèves ? Mais tout simplement à acquérir une identité ! Il n’y a pas de culture mondiale. L’américanisation-mondialisation c’est la fin de la culture et de toutes les identités nationales. Et c’est sur ce modèle qu’on veut nous imposer la France et l’Europe :
Dommage ! Si la France était restée ce qu’elle était elle aurait un rôle à jouer entre le fanatisme d’un Ben Laden et la vulgarité américaine… Mais cela ne sert à rien d’être passéiste. Nous allons devenir Américains un point c’est tout.
Patrick Kaplanian